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En tout cet univers, et l'aller parcourant*,
Dans les citrouilles je la treuve.

Un Villageois, considérant

Combien ce fruit est gros et sa tige menue :
« A quoi songeoit, dit-il, l'auteur de tout cela?
Il a bien mal placé cette citrouille-là!

Hé parbleu! je l'aurois pendue

A l'un des chênes que voilà ;
C'eût été justement l'affaire :

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.

C'est dommage, Garo', que tu n'es point entré
Au conseil de celui que prêche ton curé:

Tout en eût été mieux; car pourquoi, par exemple,

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4. C'est la périphrase verbale relevée ci-dessus, p. 352, note 7; mais ici aller peut se prendre au sens propre.

5. Voyez, livre II, fable xx, vers 35; livre V, fable 11, vers 25; et passim; Molière, Dom Garcie, vers 1820; le Misanthrope, vers 226; et les Lexiques de Malherbe, de Racine, de la Rochefoucauld.

6. Le recueil de 1671, les deux textes de 1679 et toutes les anciennes éditions donnent ainsi parbleu. Dans la fable du Meunier, son Fils, et l'Ane (livre III, fable 1, vers 64), les textes originaux ont parbieu, qui semblerait convenir ici également, dans la bouche d'un villageois voyez tome I, p. 202, note 22; et comparez le conte v de la IV partie, vers 122.

7. Garo est bien l'orthographe de nos anciennes éditions, qui, plus loin (vers 18-19), fait rimer ce nom à l'œil avec quiproquo. Il ne finit en eau que dans celle de 1709; chez Cyrano de Bergerac, qui le donne à un des personnages de son Pédant joué, représenté en 1645, il y a (Matthieu) Gareau (païsar). Dans l'Étymologie ou Explication des proverbes françois, par Fleury de Bellingen (la Haye, 1656), il est question, p. 296, d'un (Thibau) Garrau, être fort insociable, « qui faisoit toujours son cas part, » et menait << une vie toute particulière. »

8. On connaît le mot attribué à Alphonse X, roi de Portugal: « Si j'eusse été au conseil de Dieu quand il voulut former le monde,

a Voyez au tome VIII de Molière la note i de la page 519.

C'est, comme on verra plus bas aux notes 16 et 17, le prénom que Voltaire ajoute aussi au nom de Garo, auquel se borne le fabuliste.

Le Gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt, 15 Ne pend-il pas en cet endroit ?

Dieu s'est mépris : plus je contemple

Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo'

Que l'on a fait un quiproquo.

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Cette réflexion embarrassant 10 notre homme :

« On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit.
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme".
Un Gland tombe : le nez du dormeur en pâtit.
Il s'éveille; et, portant la main sur son visage,
Il trouve encor le Gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage.

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« Oh! oh!12 dit-il, je saigne! et que seroit-ce donc 13

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bien des choses eussent été mieux ordonnées. » « On pense, dit Geruzez, que ce n'est pas cette vanterie qui lui a fait donner le surnom de Sage. »

9. Garo, qui s'est déjà apostrophé lui-même comme un tiers au vers 12, remplace ici également le maigre pronom je par son nom; c'est comme s'il disait à ma sage personne, à l'avisé Garo. Il y a de beaux exemples de remplacement semblable, dans le style noble, au vers 1614 du Polyeucte de Corneille (acte V, scène III), et dans cette apostrophe de l'Aveugle d'André Chénier (vers 2-3): Ô Sminthée Apollon, je périrai sans doute,

Si tu ne sers de guide à cet aveugle errant.

Cette substitution de la troisième personne à la première en rappelle une, assez fréquente en grec, à la seconde, celle du pronom démonstratif outos, « celui-ci, » à có, tu ou toi.

10. Dans un sens analogue à celui où Regnier a dit, dans la satire xv, vers 136:

Tant de philosophie embarrasse l'esprit.

11. « Garo, au bout de deux minutes, dit M. Taine (p. 158), se trouve las d'avoir réfléchi sur le Gland et la Citrouille..., et il va dormir; un bon somme vaut mieux que tous les raisonnements du

monde. >>

12. Voyez ci-dessus, p. 278, note 17, et, en outre, les fables v du livre IV, vers 26, et v du livre X, vers 25.

13. M. Albrecht Weber, dans sa dissertation sur les fables (In

S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde,

Et que ce Gland eût été gourde"?

Dieu ne l'a pas voulu sans doute 15 il eut raison; 30 J'en vois bien à présent la cause 16.

dische Studien, tome III, note de la page 368), met en regard de notre apologue une petite narration du moraliste indien Bhartrihari (11 centaine, stance 86), où il y a une très-probante réponse de fait au « Que seroit-ce donc ? » de Garo, et qui nous montre, dans la création, un arbre autrement constitué que le chêne, faisant contraste avec lui quant aux fruits : il se nomme en sanscrit bilva ou vilva: Un homme chauve, qui a cherché un abri sous son feuillage, a le crâne fracassé par la chute d'une des « lourdes masses» (du grand fruit, dit le texte) que porte cet arbre. Voyez ci-après la note 16.

14. Gourde (latin cucurbita), contraction de la forme ancienne, qui se trouve encore au dix-septième siècle, cougourde ou coucourde, ne se dit plus, comme dans ce vers, du fruit en tout état, mais seulement d'une calebasse ou courge séchée et vidée. Voyez sur ce mot Littré, à l'article GOURDE, Étymologie.

15. Sans doute n'a pas ici le sens atténué, qu'il a fort souvent, de « très-probablement »; c'est une affirmation résolue : « certainement ». — - Dans le Lynx et la Taupe de la Motte (livre II, fable Iv), la Taupe parle comme maintenant Garo:

Je n'ai point d'yeux; est-ce un sujet

D'accuser Jupiter? Croyez-m'en, sur mon âme,
Il a bien fait ce qu'il a fait.

A-t-il besoin qu'on le conseille?

16. Dans l'article CALEBASSE du Dictionnaire philosophique (tome XXVII des OEuvres, p. 446), Voltaire fait spirituellement ressortir ce qu'il y a de comique égoïsme dans cette conclusion toute déduite du risque qu'a couru Garo : « ...... Matthieu Garo, qui croit avoir eu tort, en Europe, de trouver mauvais que les citrouilles rampent à terre et ne soient pas pendues au haut des arbres, aurait eu raison au Mexique. Il aurait eu encore raison dans l'Inde, où les cocos sont fort élevés (Nodier fait une remarque analogue). Cela prouve qu'il ne faut jamais se hâter de conclure. Dieu fait bien ce qu'il fait, sans doute; mais il n'a pas mis les citrouilles à terre dans

a C'est l'agle marmelos, grand arbre natif des montagnes du Coromandel; il porte un gros fruit à dure écorce: voyez Roxburgh, Flora indica, tome II, p. 579.

En louant Dieu de toute chose 17,
Garo retourne à la maison 18.

nos climats de peur qu'en tombant de haut elles n'écrasent le nez de Matthieu Garo. » — Voyez les notes 13 et 18 de la fable, et comparez ci-dessus (p. 14 et note 12) la morale de la fable iv du livre VI.

17. Voltaire se souvient encore de Garo dans son discours Sur la Nature de l'Homme, vi des discours en vers Sur l'Homme, tome XII des OEuvres, p. 93:

Matthieu Garo, chez nous, eut l'esprit plus flexible;

Il loua Dieu de tout.

18. « De ce qu'un gland, et non pas une citrouille, tombe sur le nez de Garo, s'ensuit-il, demande Marmontel, que tout soit bien? » (Éléments de littérature, à l'article FABLE, tome VII, p. 395, des OEuvres complètes, 1787.) Il n'y a pas lieu ici à cette si sérieuse question, ni à la réplique, plus grave encore, qu'y fait l'abbé Guillon. Voltaire borne mieux la critique dans les deux passages cités aux notes 16 et 17. Garo se sent tout simplement prêt à trouver tout bien dans la création et, qu'il comprenne ou non, à ne plus chicaner le Créateur. Il ne proclame pas pour cela, gravement, avec le Sage, le Cuncta fecit bona de l'Ecclésiaste (chapitre III, verset 11), ou le Omnia opera Domini bona de l'Ecclésiastique (chapitre xxxix, verset 39), ni, avec Sénèque (épître LXXIV, § 20), la sentence des Stoïciens Placeat homini quidquid Deo placuit.

FABLE V.

L'ÉCOLIER, LE PÉDANT, ET LE MAÎTRE D'UN JARDIN.

On n'a pas trouvé de source à indiquer pour cet apologue. Quelques traits peut-être, mais non pas l'ensemble, peuvent avoir été empruntés à Rabelais et à Montaigne (voyez, ci-après, la note du vers 4). « Après les avares, dit Chamfort, ce sont les pédants contre lesquels la Fontaine s'emporte avec le plus de vivacité; » et le même critique fait ensuite remarquer, comme, au reste, presque tous les commentateurs, que « cette fable rentre absolument dans la même moralité que celle du Jardinier et son Seigneur » (livre IV, fable Iv), et qu'elle est inférieure à l'autre. On peut encore la rapprocher, pour la peinture du Pédant, et surtout, à la fin, l'inopportunité de son éloquence, de la fable xix du livre I, l'Enfant et le Maitre d'école; et de l'épigramme Contre un Pédant de college, tome V M.-L., p. 196.

M. Taine, qui s'étend avec complaisance sur les défauts du Pédant (p. 148-150), dans le passage où il parle à la fois de cette fable et de la XIX du livre I (voyez notre tome I, p. 116, note 5), termine son commentaire par ces lignes qu'en notre qualité de commentateur nous aurions mauvaise grâce à ne pas citer : « Il commente, et s'il était dans l'eau lui-même, il commenterait encore. Avis aux commentateurs de la Fontaine! et plaise à Dieu qu'ils puissent en profiter! Il me faut une grâce d'état spéciale, et je cours risque d'être un des personnages de mon auteur. »

Certain Enfant qui sentoit son collége1,
Doublement sot et doublement fripon
Par le jeune âge' et par le privilége

I. Emploi analogue de ce verbe au tome III M.-L., p. 322, en prose, et dans le vers 3 de la fable v du livre V :

Sentant son renard d'une lieue.

2. Voyez la fable 11 de ce livre, vers 54, et note 19.

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