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La bigarrure plaît. Partant chacun le vit;

Mais ce fut bientôt fait; bientôt chacun sortit.
Le Singe, de sa part', disoit : « Venez, de grâce;
Venez, Messieurs, je fais cent tours de passe-passe.
Cette diversité dont on vous parle tant,
Mon voisin Léopard l'a sur soi seulement;
Moi, je l'ai dans l'esprit. Votre serviteur Gille,
Cousin et gendre de Bertrand,

Singe du Pape en son vivant,
Tout fraîchement en cette ville

Arrive en trois bateaux 10, exprès pour vous parler;

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6. Par conséquent, comme au vers 14 de la fable 1 du livre VII. 7. De son côté (ci-dessus, p. 260, note 10); peut-être ici avec la nuance « à son tour; » les baladins, comme on sait, ne commencent d'ordinaire leurs parades qu'à tour de rôle. Pour les mots : « Le Singe.... disoit », voyez la note 1.

8. Ce nom propre, parfois synonyme de « niais », et qui est également le nom du Singe de Jupiter, « à ce que dit l'histoire >> (fable xxi du livre XII, vers 7), est ainsi expliqué par Littré : « Personnage du théâtre de la foire, le niais. » Bertrand, qui suit, est aussi le nom du singe de la fable xvii du livre IX (vers 1, 7, 14, 24) et, avec la particule, sans doute là monastique, Dom, du singe du Thésauriseur de la fable II du livre XII (vers 19 et 24).

9. Le tour est un peu douteux : « de son vivant » se rapporte t-il à Bertrand ou au Pape? Bien plutôt à Bertrand, c'est-à-dire, la locution l'implique, à feu Bertrand. Les mots « singe du Pape » font de lui un personnage, comme du fou ou bouffon quand on dit: : « fou du Roi ». Le fabuliste a pu songer au Singe du pape Jules II auquel Simon Maioli, cité dans la notice de la fable xvi du livre IX, le Singe et le Chat, fait remonter historiquement l'anecdote des marrons tirés du feu, sujet de cette fable.

10. Expression familière et proverbiale, marquant une arrivée pompeuse, avec grande suite et propre à faire ridiculement sensation. Rabelais, au chapitre xvi de Gargantua (tome I, p. 63), dit, en parlant de la jument envoyée par Fayoles à Grandgousier : << Fut amenee par mer en troys carracques et un brigantin. » Mme de Montmorency, dans une lettre du 6 avril 1670 (Correspondance de Bussy-Rabutin, 1858, tome I, p. 254), rapporte un mot de Mme de Monglas sur Bussy où cette locution a un tout autre

Car il parle, on l'entend": il sait danser, baller12,
Faire des tours de toute sorte 13,

Passer en des cerceaux; et le tout pour six blancs":
Non, Messieurs, pour un sou; si vous n'êtes contents,
Nous rendrons à chacun son argent à la porte". »

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emploi et sert à marquer rareté : « Il faut avouer que notre ami est très-agréable, et que de ces gens-là il n'en vient que deux en

trois bateaux. »

11. C'est-à-dire parle intelligiblement, de manière à être compris.

12. Dans Joconde (conte i de la Ir partie, vers 518) :

Il fut dansé, sauté, ballé.

Les dictionnaires s'accordent à faire du vieux mot baller un simple synonyme de danser, tout en citant des exemples où, comme dans ceux-ci, les deux verbes se trouvent ensemble. Ces répétitions montrent qu'il y avait une nuance de signification. Le Dictionnaire de l'ancienne langue française de M. Godefroy donne, parmi les sens de bal, celui de « mouvement, agitation ». Baller devait sans doute avoir gardé quelque chose de cette acception générale et équivaloir, plus ou moins, à « se trémousser; » ici, pour notre Singe, « s'agiter en toute sorte de gambades. »

13. Comparez le vers 204 du Petit Chien, conte XIII de la III' partie :

Il entend tout, il parle, il danse, il fait cent tours.

14. « Blanc, monnoie, dit Richelet (1680), dont il ne reste plus que le nom. » Le blanc valant cinq deniers et le sou douze, six blancs valaient deux sols et demi; mais ce terme, « en ce sens, dit l'Académie (1694),... n'a plus d'usage au singulier, et on ne s'en sert ordinairement qu'au pluriel, au nombre de trois et de six.> Avec six, il n'est pas encore entièrement inusité parmi le peuple.

15. C'est une parade, un véritable boniment, comme on dit vulgairement aujourd'hui, tel que la Fontaine avait pu en entendre sur le Pont-Neuf ou à la foire Saint-Germain. Il est bien plus vrai, mieux imité que celui du Singe de Florian (livre II, fable vii), qui montre la lanterne magique et termine ainsi sa harangue :

Entrez, entrez, Messieurs, criait notre Jacqueau;
C'est ici, c'est ici qu'un spectacle nouveau

Vous charmera gratis. Oui, Messieurs, à la porte

On ne prend point d'argent : je fais tout pour l'honneur.

Le Singe avoit raison. Ce n'est pas sur l'habit
Que la diversité me plaît; c'est dans l'esprit :
L'une fournit toujours des choses agréables;
L'autre, en moins d'un moment, lasse les regardants 16.
Oh!
que de grands seigneurs, au Léopard semblables,
N'ont que l'habit pour tous talents 17!

16. Nous rencontrons le même participe, pris substantivement, comme ici, au pluriel, aux livres III, fable x, vers 5; X, fable II, vers 31; et à la fin du conte III de la III' partie, vers 208. 17. L'édition de 1679 portait d'abord :

Bigarrés en dehors, ne sont rien en dedans.

L'auteur lui-même substitua à cette leçon le vers actuel au moyen d'un carton, mais ce carton manque à certains exemplaires; c'est ce qui explique comment l'édition de 1682 donne le vers primitif, tandis que celles de 1688, 1708, 1709, 1729 ont le vers corrigé. « C'est peut-être cette jolie épigramme, dit l'abbé Guillon, qui a inspiré la charmante épître de M. Sedaine: A mon habit. » Au moins peut-on dire que son épître n'est que le développement du mot de la Fontaine. Avianus termine ainsi sa fable:

Miremurque magis quos munera mentis adornant
Quam qui corporeis enituere bonis.

Car un laid saige est plus prisé

Que n'est un biau fol desguisé. (YSOPET-AVIONNET.

Comparez la Motte, livre IV, fable 1x, les Deux Livres :

Du sage mal vêtu le grand seigneur rougit :
Et cependant l'un est un homme,

L'autre n'est souvent qu'un habit.

« Avec le Léopard, dit Saint-Marc Girardin dans sa xive leçon (tome II, p. 3-4), le fabuliste peint les habits brodés.... Et peu importe que la forme ou la couleur de l'habit vienne à changer; peu importe même que l'habit devienne une carmagnole ou une blouse. Ils (les courtisans) porteront la carmagnole, la blouse ou l'habit doré avec le même air de satisfaction: ne sont-ils pas de la cour? » Voyez la fable xiv du livre VIII, vers 17-21. Notre épilogue fait penser aussi à celui de la fable xiv du livre IV.

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Boniface et le Pédant, comédie en prose, imitée de l'italien de Bruno Nolano, acte V, scène xx : voyez particulièrement, dans cette scène xx, la question de Momus à Mercure et la réponse de celui-ci, sur les citrouilles et les noix. - Tabarin, OEuvres complètes, tome II, p. 175-177 (édition Jannet, 1858): les Rencontres, fantaisies, et coqa-lasnes facetieux du baron de Grattelard, etc., demande vir : Si la nature fait quelque chose de mauvais, transcrite par M. Moland dans son édition de la Fontaine. Voici la partie du dialogue, entre Grattelard et le Maître, où l'exemple destiné à montrer « l'union et le lien qui va conjoignant et subalternant les choses de la nature » est identique avec le nôtre : « GRATTELARD. En me promenant, comme je vous ai déjà dit, dans le jardin, j'ai aperçu une grosse citrouille (par ma foi, c'étoit un vrai tambour de Suisse) qui étoit pendue en l'air. J'admirois comme la nature avoit eu si peu d'esprit de dire qu'un si gros fruit fût soutenu d'une si petite queue qui, au moindre vent, pouvoit se rompre. LE MAÎTRE. Tu accusois la nature sur ce sujet. GRATTELARD. Je l'accusois d'indiscrétion, comme de vrai il y doit avoir une proportion inter sustinens et sustentum. Mais, quand j'ai été plus avant dans le bois qui est à l'autre extrémité du jardin, j'ai bien changé d'avis et d'opinion. LE MAÎTRE. Tu as reconnu enfin que la nature ne produit rien qu'avec grande considération. GRATTELARD. Par la mordienne! j'étois perdu si elle eût fait autrement; car, en passant par-dessous un grand chêne, j'entendois chanter un oiseau qui, par son doux ramage, m'arrêta tout court, et, comme je voulois regarder en haut,

1. Glan dans toutes nos éditions, ici et plus bas, bien que les Dictionnaires de Nicot (dès 1606), de Furetière (1690), de l'Académie (1694) écrivent gland; même celui de Richelet (1680), qui d'ordinaire supprime les lettres non prononcées.

2. Le texte italien a été imprimé à Paris en 1582; l'imitation française en 1633: voyez M. Moland, Molière et la Comédie italienne, p. 105-106.

un gland me tomba sur le nez. Je fus contraint alors d'avouer que la nature avoit bien fait; car, si elle eût mis une citrouille au sommet du chêne, cela m'eût cassé le nez. LE MAÎTRE. Il eût fait beau te voir, avec ton nez en écharpe, boire à la bouteille, Grattelard. GRATTELARD. Je vous jure les Géorgiques de Virgile, mon maître, c'étoit le moyen par où la nature me pouvoit empêcher de porter des lunettes en ma vieillesse. »

que

Cette fable parut, pour la première fois, en 1671, dans le recueil de Fables nouvelles, p. 16, avec ce titre du Glan et de la Citrouille, qui est aussi celui de l'édition d'Amsterdam (1679); elle est la sixième du recueil de 1671, achevé d'imprimer le 12 mars, et dont Mme de Sévigné annonçait la publication à la date du 13 (tome II des Lettres, p. 109 et note 20; voyez aussi ibidem, p. 195).

Il est fort probable que la source de cet apologue est un des deux ouvrages que nous citons ci-dessus. Peut-être aussi la Fontaine le recueillit-il débité de vive voix, sur le Pont-Neuf, par un des charlatans héritiers de Tabarin.

Robert (tome II, p. 206) rapproche une phrase de Raulin (de Matrimonio, sermo III) qui exprime aussi, avec étonnement, un contraste, mais de tout autre intention, entre le chêne, comparé à la vigne, et les fruits des deux plantes : Quercus enim, pulchra et alta, non fert nisi glandem pro fructu: qui fructus est porcorum; vitis vero, vilis arbor et tortuosa, fert optimum vinum, Deum et homines lætificans.

« Le simple bon sens qui a dicté cet apologue, dit Chamfort, est supérieur à toutes les subtilités philosophiques ou théologiques qui remplissent des milliers de volumes sur des matières impénétrables à l'esprit humain. Le paysan Matthieu Garo est plus célèbre que tous les docteurs qui ont argumenté contre la Providence. »> Voyez, dans la notice de la fable xvii de ce livre, une citation de Mme de Sévigné relative à cette fable-ci; et, dans la xiir leçon (tome I, p. 442-445) de Saint-Marc Girardin, les réflexions qu'elle a suggérées au spirituel critique.

Dieu fait bien ce qu'il fait3. Sans en chercher la

preuve

3. Mots répétés, avec changement de temps du verbe, au vers 42 de la fable VIII du livre XII :

Dieu fit bien ce qu'il fit.

Voyez ci-après les notes 13, 16, 18.

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