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Abstemius, après l'exclamation du Paysan, s'appliquant aux eaux mêmes (voyez la notice), interprète l'allégorie en ces termes dans son affabulation: Hac admonemur fabula ut minus verbosos et quam quietos extimescamus. Camerarius confirme la leçon par un exemple historique: Non esse periculum fabula docet a clamatoribus et minacibus, sed a mussitantibus et taciturnis. Cæsarem etiam dicere solitum accepimus, non metui a se Antonium et Dolabellam corpulentos et rubicundos, sed Cassii et Bruti maciem et pallorem.

FABLE XXIV.

L'ÉDUCATION.

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Ésope, fab. 92, Kúves (Coray, p. 53); fab. 394, Aów Exúλaxeç (Coray, p. 257-258, sous deux formes, dont la seconde est empruntée à Plutarque; nous en donnons un extrait). — Haudent, 1o partie, fab. 74, de Deux Chiens. Le Noble, fab. 4, des Aiglons et des petits Corbeaux. L'Éducation'.

Mythologia sopica Neveleti, p. 164.

« Lycurgus.... prit un iour deux ieunes chiens nez de mesme pere et de mesme mere, et les nourrit si diuersement, qu'il en rendit l'un gourmand et goulu, ne sachant faire autre chose que mal, et l'autre bon à la chasse et à la queste; puis un iour que les Lacedæmoniens estoyent tous assemblez sur la place, en conseil de ville, il leur parla en ceste maniere: « C'est chose de tres grande « importance, Seigneurs Lacedæmoniens, pour engendrer la vertu << au cœur des hommes, que la nourriture, l'accoustumance et la << discipline, ainsi come ie vous ferai voir et toucher au doigt tout « à ceste heure. » En disant cela, il amena deuant toute l'assistance les deux chiens, leur mettant au deuant un plat de soupe et un lieure vif. L'un des chiens s'en courut incontinent après le lieure, et l'autre se ietta aussi tôt sur le plat de soupe. Les Lacedæmoniens n'entendoyent point encore où il vouloit venir, ne que cela vouloit dire, iusques à ce qu'il leur dit : « Ces deux chiens << sont nez de mesme pere et de mesme mere; mais ayans esté << nourris diuersement, l'un est deuenu gourmand, et l'autre chas« seur.» (PLUTARQUE, Comment il faut nourrir les enfans, tome I, p. 5, des OEuvres morales, traduction d'Amyot. Voyez ibidem, les Dits notables des Lacedæmoniens, p. 694-695.)

La même idée a fourni à Fénelon le sujet d'une de ses plus jolies fables (la 29o), les Deux Lionceaux (tome XIX des OEuvres,

1. Notre auteur, comme l'on voit, s'est contenté de ce mot abstrait pour titre de sa fable: comparez les titres des fables Iv et xix de ce livre et de la fable x1 du livre IX.

p. 75). - Dans la fable 92 d'Ésope, imitée par Haudent, le Chien qui chasse se plaint que celui qui reste à la maison partage avec lui le gibier qu'il n'a pas pris : « Ne t'en prends, lui répond celui-ci, qu'à notre maitre qui ne m'a pas appris à travailler, mais à manger le travail d'autrui, » τὸν δεσπότην μέμφου ὃς οὐ πονεῖν με ἐδίδαξεν, ἀλλὰ πόνους ἀλλοτρίους ἐσθίειν.

Chamfort considère la fable de l'Éducation comme « une des meilleures de la Fontaine. » La morale surtout lui en semble excellente. « Sans croire, dit-il, comme certains philosophes, que la nature partage également bien tous ses enfants, il est pourtant certain que c'est l'éducation qui met entre un homme et un autre l'énorme différence qui s'y trouve quelquefois : c'est d'ailleurs une opinion que l'on ne saurait trop répandre, parce qu'elle est le meilleur moyen d'encourager les réformes que l'on peut faire dans l'éducation, réformes sans lesquelles il est impossible de changer les fausses opinions et les mauvaises mœurs. » Voyez les allusions que Mme de Sévigné fait à cette fable, dans trois lettres de 1679 et une de 1689, tomes VI, p. 30, 110 et 115, et IX, p. 239.

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Laridon et César, frères dont l'origine

Venoit de chiens fameux, beaux, bien faits, et hardis,
A deux maîtres divers échus au temps jadis,

Hantoient, l'un les forêts, et l'autre la cuisine 2.
Ils avoient eu d'abord chacun un autre nom;
Mais la diverse nourriture 3

3

Fortifiant en l'un cette heureuse nature,
En l'autre l'altérant, un certain marmiton
Nomma celui-ci Laridon*.

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2. Dans les deux textes de 1678 ce vers a cette construction, incorrecte après ce qui précède :

L'un hantoit les forêts, et l'autre la cuisine;

mais elle est corrigée dans l'Errata, et là telle que nous la donnons. 3. Au sens d'« éducation », qu'a de même le mot grec correspondant poh. Voyez la citation de Plutarque dans la notice, et la plupart des Lexiques de la Collection.

4. Nom tiré de laridum, vieille forme du mot latin lardum, « lard » ; ou plutôt c'est laridum même, écrit et prononcé à la française.

Son frère, ayant couru mainte haute aventure,
Mis maint cerf aux abois, maint sanglier" abattu,
Fut le premier César que la gent chienne ait eu.
On eut soin d'empêcher qu'une indigne maîtresse
Ne fit en ses enfants dégénérer son sang.
Laridon négligé témoignoit sa tendresse
A l'objet le premier passant.

Il peupla tout de son engeance :
Tournebroches & par lui rendus communs en France
Y font un corps à part, gens fuyants' les hasards,

Peuple antipode 10 des Césars.

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5. Sanglier de deux syllabes, suivant l'usage constant de la Fontaine, qui était encore l'usage le plus ordinaire, bien que déjà on commençât à faire de trois ce mot et quelques autres : ouvrier, bouclier, etc., comme s'en plaignait Desmarets, dans la préface de son Clovis. Voyez livre II, fable xix, vers 4, et, dans ce livre-ci, fable xxvii, vers 18 et 30. Nous trouvons cette même mesure, jusqu'à dix fois, dans le poëme d'Adonis (vers 189, 240, etc.), et en outre au tome V M.-L., p. 131. On prononçait sans doute sanglé ou plutôt sanlié, comme dans le Berry; c'est ce que dit Littré, qui cite à l'Étymologie et à l'Historique de l'article SANGLIER des exemples avec les finales archaïques ou dialectiques lez, lé, lai.

6. Toujours le même art de relever les sujets on sait que le nom du dictateur Jules César devint, après lui, celui des premiers empereurs romains, puis des héritiers présomptifs de l'Empire, et qu'il s'est conservé dans le mot allemand Kaiser, « empereur ».

7. Dans les allusions de Mme de Sévigné que cite la notice, la seconde et la dernière se rapportent à ce vers 15.

8. Il est plaisant, dit Chamfort, d'avoir supposé que nos chiens appelés tourne-broches viennent de cette belle origine, comme d'avoir fait honneur au marmiton du surnom de son élève. » Le mot << tournebroche », chien qu'on mettait dans une roue pour tourner la broche, est aussi dans la fable xvii de Fénelon (tome XIX des OEuvres, p. 53).

9. Nous avons cet accord, malgré le régime, dans les anciennes éditions, sauf celle de 1682, qui a, selon la règle actuelle, « fuyant ».

10. Littré, avec cet exemple d' « antipode, » au figuré, n'en donne que deux autres, l'un de Molière, l'autre de Fénelon, ayant tous deux, ce qui est remarquable, le même complément ; « de la

11

On ne suit pas 11 toujours12 ses aïeux ni son père :

13

Le peu de soin 13, le temps, tout fait qu'on dégénère : Faute de cultiver la nature et ses dons,

Oh! combien de Césars deviendront Laridons "!

raison. » Mme de Sévigné dit au tome VII, p. 259 : « l'antipode de notre beau-père. »

11. On ne marche pas toujours sur les traces de, on n'imite pas, au sens du latin sequi, dans cet hémistiche de Virgile :

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Même acception, avec un nom de chose pour complément, au vers 34 de la fable xiv de ce livre (p. 283 et note 16).

12. « Pas toujours » : c'est une exception, dont nous verrons que l'auteur ne tient pas compte quand il nous dit, comme maxime générale, vers 48 de la fable vii du livre IX :

On tient toujours du lieu dont on vient.

Voyez la note sur ce vers.

13. Le défaut de soin, de culture, negligentia; il a dit au vers 15 « Laridon négligé ».

14. Chamfort trouve ces quatre derniers vers « parfaits. »> Voyez la même idée appliquée aux chevaux dans la satire v de Boileau, vers 32-35. Horace a exprimé admirablement la force du sang et les deux effets contraires de l'éducation dans l'ode iv du livre IV, vers 29-36:

Fortes creantur fortibus et bonis;
Est in juvencis, est in equis, patrum
Virtus; neque imbellem feroces
Progenerant aquila columbam.
Doctrina sed vim promovet insitam,
Rectique cultus pectora roborant;
Utcumque defecere mores,

Dedecorant bene nata culpæ.

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