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Les Lions n'ont point d'autre temple.

On entendit, à son exemple,

Rugir en leurs patois Messieurs les courtisans.
Je définis la cour un pays où les gens,

Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,

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Sont ce qu'il plaît au Prince, ou, s'ils ne peuvent l'être, Tâchent au moins de le parêtre":

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sée. » Comparez un redoublement analogue, mais avec une intention comique, à la fin de la fable xvi du livre III.

5. En leur patois. (1688, 1708.) Dans les deux textes de 1678, il y a bien le pluriel leurs, leçon préférable au singulier leur, et rappelant mieux qu'on est venu de toutes les provinces rugir aux obsèques, « chacun dans son patois. >>

6. « Cette définition épigrammatique, dit Geruzez, prouve surabondamment que la Fontaine n'était pas courtisan. Il était trop nonchalant et trop sincère pour cette vie de contrainte et de faux semblants. » Cela ne l'empêchait pas de bien connaitre ceux auxquels il ressemblait si peu. Avant lui, Alain Chartier (dans son Curial), peu de temps après lui la Bruyère, sans parler de beaucoup d'autres, ont exprimé les mêmes idées; mais nous doutons qu'elles l'aient été par aucun d'une manière plus vraie, plus achevée et complète en sa brièveté, et en même temps plus expressive, plus incisive que dans les sept vers intercalés ici par le fabuliste. Citons toutefois ce passage énergique de Chartier (édition du Chesne, Paris, 1617, in-4°, p. 399) : « La cour, affin que tu l'entendes, est un couvent de gens qui, soubs faintise du bien commun, se assemblent pour eux entretromper » ; et celui-ci, plein de sens aussi, de la Bruyère (de la Cour, no 2 et 3, tome I, p. 298) : « Un homme qui sait la cour est maître de son geste, de ses yeux et de son visage; il est profond, impénétrable; il dissimule les mauvais offices, sourit à ses ennemis, contraint son humeur, déguise ses passions, dément son cœur, parle, agit contre ses sentiments. Tout ce grand raffinement n'est qu'un vice, que l'on appelle fausseté.... Qui peut nommer de certaines couleurs changeantes, et qui sont diverses selon les divers jours dont on les regarde? de même qui peut définir la cour? » Cette dernière phrase développe bien la figure contenue au vers 21 : « Peuple caméléon. »

7. Telle est l'orthographe des deux textes de 1678 qui font ainsi rimer le verbe pour l'œil, imparfaitement, avec estre, sans qu'il soit tenu compte de maitre (ainsi, sans s) qui termine le vers suivant.

Peuple caméléon, peuple singe du maître';

On diroit qu'un esprit anime mille corps :
C'est bien là que les gens sont de simples ressorts 1o.

8. Rabelais, parlant d'un animal fabuleux qu'il compare au caméléon, a indirectement décrit la propriété singulière de celui-ci. « Il représente la couleur.... de toutes choses qu'il approche. Cela lui est commun.... auecques le chameleon, qui est une espèce de lizart.... Si est-ce que ie l'ay veu couleur changer, non à l'approche seulement des choses colorées, mais de soy-mesme, selon la paour et affections qu'il auoit. » (Le quart livre, fin du chapitre II, tome II, p. 275.)-A propos du caméléon, devenu l'emblème de la versatilité intéressée ou naïve, l'abbé Guillon rapporte aussi le passage suivant de Plutarque (les OEuvres morales, Genève, 1613, traduction d'Amyot, p. 130), Comment on pourra discerner le flatteur d'avec l'ami : « Le flatteur fait tout à la même sorte que le chameleon, lequel se rend semblable, et prend toute couleur, fors que la blanche. » — Louise Labé dit, dans le dialogue du Débat de Folie et d'Amour, auquel la Fontaine a emprunté le sujet de sa fable xiv du livre XII: « Quand bon me semble, il n'y ha œil d'aigle ou de serpent épidaurien qui me sache aperceuoir; et ne plus ne moins que le cameleon, ie pren quelquefois la semblance de ceus aupres desquelz ie suis» (p. 15-16 de l'édition de 1555). Chez Gabriel Naudé (Considérations politiques sur les coups d'Estat, Rome, 1639, chapitre Iv, p. 154) la comparaison passe de la cour à la populace : « .... Aussi savons-nous que cette populace est comparée à une mer suiette à toutes sortes de vents et de tempestes; au caméléon qui peut recevoir toutes sortes de couleurs excepté la blanche; et à la sentine et cloaque dans laquelle coulent toutes les ordures de la maison. »> La Bruyère (tome I, p. 373) joint le mot à Protée, comme à un synonyme : « Le ministre ou le plénipotentiaire est un caméléon, est un Protée. » Dans la moralité de sa fable du Caméléon (la 1x du livre II), la Motte fait de cette habitude de prendre la couleur voisine une application ingénieuse, tout autre que celle de ces citations et de notre vers 21.

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9. Ce vers nous offre deux fois ce tour dont nous avons vu et verrons de fréquents et heureux emplois et qui consiste à apposer comme des sortes d'adjectifs des noms à d'autres noms.

10. Allusion à la doctrine cartésienne qui faisait des bêtes de simples machines. On verra plus loin, à la suite du livre IX, Discours à Mme de la Sablière, comment la Fontaine combat cette doctrine. « Les roues, dit la Bruyère (de la Cour, no 65, tome I,

Pour revenir à notre affaire,

Le Cerf ne pleura point. Comment eut-il pu faire"? 25
Cette mort le vengeoit : la Reine avoit jadis
Étranglé sa femme et son fils 12.

Bref, il ne pleura point. Un flatteur l'alla dire,

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La colère du Roi, comme dit Salomon 1,
Est terrible, et surtout celle du roi Lion;
Mais ce Cerf n'avoit pas accoutumé de lire 15.
Le Monarque lui dit : « Chétif hôte des bois,
Tu ris, tu ne suis 16 pas ces gémissantes voix.
Nous n'appliquerons point sur tes membres profanes 35
Nos sacrés ongles 17: venez, Loups,

Vengez la Reine; immolez tous

Ce traître à ses augustes mânes.

>>

Le Cerf reprit alors : « Sire, le temps de 18 pleurs

p. 325), les ressorts, les mouvements sont cachés; rien ne paroît d'une montre que son aiguille, qui insensiblement s'avance et achève son tour: image du courtisan, d'autant plus parfaite qu'après avoir fait assez de chemin, il revient souvent au même point d'où il est parti. »

11. Dans l'édition de 1708 : « Comment l'eût-il pu faire ? >> 12. Solus Cervus, cui illa filios eripuerat, expers doloris, nullas lacrimas emittebat. (ABSTEMIUS.)

13. «Seulement parce qu'il ne pleura point: c'est bien là le caractère de la délation, » dit Nodier au sujet de ce trait si juste, de cette triste vérité d'expérience ajoutée à la fable originale.

14. Indignatio regis, nuncii mortis; et vir sapiens placabit eam. (Chapitre xvi des Proverbes, verset 14.) — Sicut rugitus leonis, ita et terror regis; qui provocat eum, peccat in animam suam. (Ibidem, chapitre xx, verset 2.)

15. C'est-à-dire il ne pouvait se régler, ne les connaissant pas, sur les Proverbes de Salomon.

16. Suivre, au sens d'imiter, se conformer à : voyez ci-après, la note 11 de la fable xxiv du livre VIII.

17. Voyez, dans la notice de la fable, les remarques de M. Taine. 18. De est le texte de 1678 et 1678 A. L'édition de Londres, 1708, change, la première, de en des, leçon reproduite depuis par

Est passé; la douleur est ici superflue.
Votre digne moitié, couchée entre des fleurs,
Tout près d'ici m'est apparue;

a

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Et je l'ai d'abord reconnue.

Ami, m'a-t-elle dit, garde " que ce convoi,

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Quand je vais chez les Dieux, ne t'oblige à des larmes. Aux Champs Élysiens" j'ai goûté mille charmes, « Conversant avec ceux qui sont saints" comme moi. Laisse agir quelque temps le désespoir du Roi : « J'y prends plaisir. » A peine on eut ouï la chose, Qu'on se mit à crier : « Miracle! Apothéose! » Le Cerf eut un présent, bien loin d'être puni.

Amusez les rois par des songes,
Flattez-les, payez-les d'agréables mensonges :
Quelque indignation dont leur cœur soit rempli,
Ils goberont l'appât; vous serez leur ami.

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celle de 1729 et un grand nombre d'autres voyez une note de Walckenaer au tome I, p. CXLVII, de son édition de 1827. 19. Prends garde, comme dans le vers 997 du Cid:

Adieu, sors, et surtout garde bien qu'on te voie ; et dans le vers 107 du chant I de l'Art poétique de Boileau.

20. Le Cerf, chez Abstemius, ne va pas jusqu'à parler d'apothéose; l'àme de la Reine qui lui est apparue ne se rendait qu'aux Champs Élysiens: Advenienti.... mihi felix ejus anima ad elysias sedes proficiscens apparuit, dicens ejus discessum non lugendum, quum ad amœna vireta fortunatorum nemorum sedesque beatas proficisceretur. Chez la Fontaine, elle a été d'abord dans les Champs Élysiens, et c'est, il semble, pendant qu'elle va de là aux Cieux qu'elle apparaît au Cerf. Nous ne nous rappelons pas que l'ancienne mythologie parle d'aucun semblable changement de séjour.

21. L'expression de Champs Elysiens revient dans la fable rv du livre XI, vers 2. Elle est aussi chez Mme de Sévigné, tome VI, p. 289.

22. Ce terme chrétien nous fait passer de l'apothéose à la canonisation.

23. Comparez l'épilogue de la fable vi du livre VII, vers 34-35.

FABLE XV.

LE RAT ET L'éléphant.

Phèdre, livre I, fab. 29, Asinus irridens Aprum.

livre I, fab. 11, même titre.

Asino et Apro.

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Anonyme de Nevelet, fab. 11, de

Marie de France, fab. 76, dou Senglier è de l'Asne. Ysopet I, fab. 11, l'Asne qui salue le Sanglier (Robert, tome II, p. 148); le Minnesinger de Zurich, même sujet, fable x1, a substitué un Lion au Sanglier. Corrozet, fab. 8, du Sanglier et de Haudent, 1 partie, fab. 119, d'un Sanglier et d'une le Rat et l'Éléphant. Anonyme de 16701, fab. 12, Mythologia sopica Neveleti, p. 406, p. 493.

l'Asne. Asnesse.

Dans la fable de Phèdre, d'où dérivent toutes celles que nous venons d'indiquer, l'Ane, rencontrant le Sanglier, le salue du nom de frère, et, voyant sa familiarité repoussée avec hauteur, se met à le railler; la redoutable bête, près de fondre sur le Baudet, se retient par un sentiment de dédain; le seul châtiment de l'insulteur est dans sa frayeur et le risque qu'il a couru. Il est bien possible, malgré la différence des personnages et même de l'action, que ce soit là que la Fontaine ait pris l'idée qui se déduit de la fable; son récit justifie mieux la moralité placée en tête par Phèdre 2 que celui de Phèdre lui-même. Quant aux acteurs, il paraît les avoir empruntés à une fable française, antérieure de peu d'années, intitulée, comme la sienne, le Rat et l'Éléphant, et qui se trouve dans un recueil anonyme indiqué dans le premier alinéa de cette notice3.

1. OEuvres de Monsieur *** contenant plusieurs fables d'Ésope mises en vers, Paris, Barbin, 1670: Robert a signalé le recueil et la fable, tome I, p. cxcvii-cxcix.

2.

Plerumque stulti risum dum captant levem,

Gravi distringunt alios contumelia,

Et sibi nocivum concitant periculum.

3. C'est aussi un Éléphant que Nicole Glotelet, disciple de Marot, met en scène, pour un rapprochement analogue, dans son Apo

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