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Dom Pourceau crioit en chemin

Comme s'il avoit eu cent bouchers à ses trousses:
C'étoit une clameur à rendre les gens sourds.
Les autres animaux, créatures plus douces,
Bonnes gens, s'étonnoient qu'il criât au secours :
Ils ne voyoient nul mal à craindre.

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Le Charton dit au Porc: « Qu'as-tu tant à te plaindre?
Tu nous étourdis tous : que ne te tiens-tu coi?
Ces deux personnes-ci', plus honnêtes que toi,

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toutes conditions, qui étaient attirés bien moins par l'idée d'acheter de l'onguent, que par le besoin de rencontrer dans les farces et les lazzis de Tabarin un préservatif contre la mélancolie. Cette vogue ne se démentit pas jusqu'en 1625.... Tout porte à croire que ce fut vers 1630 que Tabarin cessa d'exercer son métier de bateleur pour jouir paisiblement de la fortune qu'il y avait amassée. » (OEuvres complètes de Tabarin, avec les rencontres, fantaisies et coqa-lasnes facétieux du baron de Grattelard, Paris, P. Jannet, 1858, tome I, Introduction, p. VII-VIII.) Cesdites œuvres ont été souvent réimprimées; on en trouvera le catalogue complet dans le I volume du recueil, que nous venons de citer, p. XIX-XLII. Voyez encore sur Tabarin le chapitre vII, § 3, des Spectacles populaires.... par M. V. Fournel: « De temps à autre, dit-il (p. 261), Mondor et Tabarin quittaient Paris pour faire des excursions en province. >> 7. Ce monosyllabe honorifique dérivé de dominus, qui jadis avait toujours la finale m, s'écrit aujourd'hui de deux façons: don, par n, devant les noms des nobles d'Espagne et de Portugal, et dom, par m, devant ceux des membres de certains ordres religieux. C'est par allusion aux premiers que le fabuliste l'a employé au livre V, vers 16 de la fable vIII (dom Coursier), où cette note eût déjà dû prendre place, et par allusion aux autres qu'il se le permet ici, avec la liberté de la vieille satire populaire.

8. Même adjectif, même verbe au vers 23 de la fable iv du livre III. 9. A rapprocher de « bonnes gens » du vers 11, de « personne honnête » du vers 21, de ces « dames » appliqué aux Chèvres dans la fable iv du livre XII, vers 8. Aucun fabuliste n'a de façon aussi variée, et souvent aussi comique, humanisé, comme y invite, nous l'avons dit, la nature même de l'apologue, les bêtes mises en scène. « On n'avait jamais, remarque Nodier, dit des animaux: Ces.... personnes-ci, et le choix de cette expression prête à la Chèvre et au Mouton une importance très-plaisante.

Devroient t'apprendre à vivre, ou du moins à te taire : Regarde ce Mouton; a-t-il dit un seul mot?

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Repartit le Cochon : s'il savoit son affaire,
Il crieroit comme moi, du haut de son gosier40;
Et cette autre personne honnête
Crieroit tout du haut de sa tête.

Ils pensent qu'on les veut seulement décharger,
La Chèvre de son lait, le Mouton de sa laine :
Je ne sais pas s'ils ont raison;
Mais quant à moi, qui ne suis bon
Qu'à manger, ma mort est certaine.
Adieu mon toit et ma maison. »

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Dom Pourceau raisonnoit en subtil personnage :
Mais que lui servoit-il"? Quand le mal est certain, 30
La plainte ni la peur ne changent le destin;
Et le moins prévoyant est toujours le plus sage12.

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10. Crier du haut de son gosier, crier tout du haut de sa téte (vers 22), expressions fort exactement significatives; on ne pouvait mieux dire pour « pousser des cris aigus. » Les sons aigus se forment au haut du gosier, plus près de la tête que de la poitrine: « Voix de tête, dit Littré à l'article FAUSSET, 1o, c'est-à-dire.... voix qui se produit quand on fait vibrer les cordes supérieures du larynx, ce qui donne le registre de tête ou fausset, tandis que la vibration des cordes inférieures donne le registre de poitrine. » La seconde de ces expressions, qui est aussi aux vers 52-53 du conte xv de la II' partie, montre, en outre, une attitude naturelle : pour mieux faire monter sa voix, on lève et renverse la tête, et c'est du haut de la tête qu'on semble la tirer avec effort.

11. Il encore pour cela, comme au vers 22 de la fable précédente. 12. Sage de s'épargner les inquiétudes anticipées. - A la réponse qu'impliquent les mots dont est précédée la critique de Chamfort dans la notice (p. 269), ne peut-on pas ajouter que le mot sage contient ici une leçon, un épilogue comme en veut la fable, un conseil de conduite, que ne suit pas, il est vrai, qui veut? Comparez la leçon de sagesse qui termine la fable x du livre X.

FABLE XIII.

TIRCIS ET AMARANTE.

POUR MADEMOISELLE DE SILLERY1.

Ce petit poëme, selon la remarque de Geruzez, et comme l'auteur lui-même le reconnaît ci-après, aux vers 26-29, n'est pas, malgré son épilogue, une fable, mais une petite scène pastorale ou idylle. Walckenaer, dans une note inédite, nous apprend qu'il en a eu entre les mains un manuscrit appartenant à M. Feuillet de Conches et daté du 11 décembre 1674. Nous ne pouvons rien dire de l'authenticité du manuscrit, que nous n'avons pas vu, mais cette date de la composition ne manque pas de vraisemblance : quelques mois après, le 23. mai 16753, Gabrielle-Françoise, troisième fille de Louis-Roger Brûlart, marquis de Sillery, et nièce, par sa mère, Marie-Catherine de la Rochefoucauld, de l'auteur des Maximes,

1. Au sujet de cette dédicace, voyez la notice qui suit.

2. « De ce que Mathieu Marais parle occasionnellement.... de cette fable, dans son Histoire de la vie et des ouvrages de la Fontaine, p. 39, sous la date de 1667, au sujet d'une édition des Contes, il ne s'ensuit pas qu'il ait voulu dire que cette fable ait été composée en 1667, comme on l'a dit. » (WALCKENAER, à l'endroit cité, p. 313, note 2.)

3. Moréri ne la marie qu'en 1678; mais nous avons vérifié au Cabinet des titres la date de 1675. Devenue marquise de la Motte, elle vécut jusqu'à l'âge de quatre-vingt-trois ans, et mourut à Paris, le 27 juin 1732. Elle avait donc vingt-cinq ans au moment où notre poëte, si nous nous en rapportons au manuscrit, lui offrait cette pièce. Nous avons de notre auteur une lettre du 28 août 1692, mêlée de prose et de vers, adressée à un de ses frères. On a imprimé dans la correspondance de la Rochefoucauld (tome III des OEuvres, 1" partie, p. 176 et 221) deux lettres, assez étranges, écrites par lui à une de ses nièces de Sillery, l'une et l'autre probablement, et la première, si elle est bien datée, sûrement, à l'aînée, mariée dès 1664, et qui se nommait, comme sa mère, Marie-Catherine.

J. DE LA FONTAINE. II

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changeait de nom, en épousant Louis de Thibergeau, chevalier de la Motte-au-Maine. Or il est à croire, pour ne pas dire certain, que c'est à elle que ce poëme est dédié, sous son nom de fille, qui est répété par le poëte aux vers 14 et 18, et nous fait remonter au temps où l'idylle fut écrite. C'est aussi l'avis de Walckenaer (Histoire de la Fontaine, tome I, p. 311-314), qui déduit la vraisemblance de ce qu'elle était « bel esprit » (vers 24), aimait les gens de lettres, et faisait même de petits vers. Elle avait trois sœurs deux aînées, mariées dès 1664 et 1672, et une cadette; celle-ci, Marie-Françoise, ne se maria qu'en 1683, et s'appelait donc encore en 1678, quand parut Tircis et Amarante, « Mlle de Sillery; » mais on ne sait rien d'aucune des trois, en particulier de Marie-Françoise, qui puisse porter à attribuer à l'une d'elles l'hommage de la Fontaine.

J'avois Ésope quitté *

Pour être tout à Boccaces;
Mais une divinité

Veut revoir sur le Parnasse

Des fables de ma façon.

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4. Sur cette ancienne construction qui place le régime entre l'auxiliaire et le participe, voyez le Lexique de Corneille, p. LVIILVIII. Comparez livre II, fable 11, vers 25; Discours à Mme de la Sablière (à la suite du livre IX), vers 2; et, bien que ce ne soit pas exactement le même tour, le vers 47 de la fable x du livre VIII, répété au commencement de la fable x du livre XII.

5. La Fontaine avait publié la première partie de ses fables, c'est-à-dire les six premiers livres, en 1668. Dans le recueil de 1671, dédié au duc de Guise, il n'en avait donné que huit nouvelles, et, la même année, il avait fait précéder l'impression de ce recueil de celle de toute la III' partie des Contes et Nouvelles en vers: voyez Walckenaer, Histoire, tome I, p. 224 et 226; et la Notice biographique en tête de notre tome I, p. xcix. En outre, au moment même où il dédiait à Mlle de Sillery la petite pièce qui nous occupe, c'est-à-dire, si, comme nous le croyons, la date du manuscrit mentionné dans la notice est exacte, à la fin de 1674, il publiait, sous la rubrique de Mons, un nouveau recueil de contes (le IV) dont le débit fut interdit par arrêt du lieutenant de police la Reynie. Il semblait donc, en effet, avoir Ésope quitté pour étre tout à Boccace: voyez encore Walckenaer, ibidem, tome I, p. 261, et la Notice biographique, p. cxIII-CXIV.

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Or d'aller lui dire : « Non, »
Sans quelque valable excuse,
Ce n'est pas comme on en use
Avec des divinités,

Surtout quand ce sont de celles
Que la qualité de belles
Fait reines des volontés.
Car, afin que l'on le sache,
C'est Sillery qui s'attache
A vouloir que, de nouveau,
Sire Loup, sire Corbeau,
Chez moi se parlent en rime.
Qui dit Sillery dit tout:
Peu de gens en leur estime
Lui refusent le haut bout';
Comment le pourroit-on faire?
Pour venir à notre affaire,
Mes contes, à son avis,
Sont obscurs : les beaux esprits
N'entendent pas toute chose.

Le Loup en langue des Dieux

Parle au Chien dans mes ouvrages.

(Livre IX, fable 1, vers 5-6.)

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7. C'est-à-dire la place d'honneur, le premier rang: comparez livre XII, fable 1, vers 21. Nous avons au tome I, p. 39, l'expression au sens propre « On le fit asseoir au haut bout; » et de même dans le vers 191 du Tartuffe de Molière (acte I, scène 11):

A table, au plus haut bout il veut qu'il soit assis.

8. Solvet estime que ce passage de la fable « n'est pas trèsclair.» Mathieu Marais, à l'endroit où nous renvoyons dans la note 2, dit que, dans les Contes de la Fontaine, « les critiques trouvoient de l'obscurité, » et il cite, à cette occasion, comme manquant aussi de clarté, nos vers 23-25. Walckenaer, dans sa note sur ces vers, dit qu'« une demoiselle qui ne craignait pas d'avouer qu'elle avait lu les contes de notre poëte, devait désirer faire croire

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