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Et ne parloit incessamment'
Que de sa mère la Jument',
Dont il contoit mainte prouesse :

Elle avoit fait ceci, puis avoit été là.
Son fils prétendoit pour cela

Qu'on le dût mettre dans l'histoire.

Il eût cru s'abaisser servant un médecin.
Étant devenu vieux, on le mit au moulin :
Son père l'Ane alors lui revint en mémoire.
Quand le malheur ne seroit bon

Qu'à mettre un sot à la raison,
Toujours seroit-ce à juste cause

Qu'on le dit bon à quelque chose.

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donne lieu à la gradation descendante : prélat, médecin, meunier. Chez Plutarque, c'est par sa patrie : il est né dans l'opulente Lydie. 2. Sans cesse. Nous avons déjà vu ce mot dans ce sens, au livre III, fable vi, vers 9.

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3. Ceci rappelle à M. Taine (p. 138) les Sotenville, la maison de la Prudoterie où « le ventre anoblit. » Voyez Molière, George Dandin, acte I, scène Iv (tome VI, p. 520). Dans la fable de Babrius et deux autres des grecques, le Mulet est, de même, noble par sa mère. Dans les autres et dans celle de Faërne, il sait moins bien sa généalogie, et croit successivement avoir pour père un cheval, puis un âne. — Dans un court récit, tout satirique, du Castoiementa, que cite M. Soullié (p. 170 et 171), le Renard, interrogeant obstinément le Mulet sur son père, n'en peut à la fin obtenir que le nom de son noble oncle le Cheval (tome II, p. 71, du recueil de Barbazan et Méon); ce trait se retrouve dans la première des fables extravagantes, analysée par Robert, tome I, p. xcv.

4. Et la pensée d'autrui est conforme à la sienne. « Il a beau faire, dit encore M. Taine (p. 142), on devine son père l'Ane. » Benserade, chez qui c'est d'une Mule qu'il s'agit, dit avec une assez fine atténuation (quatrain CLXXI):

Elle eut quelque soupçon qu'un Ane étoit son père.

5. « Fable très-bonne dans le genre le plus simple et presque sans ornements. >> (CHAMFORT.)

a Voyez ci-après la notice de la fable XIII.

FABLE VIII.

LE VIEILLARD ET L'ANE.

Phèdre, livre I, fab. 15, Asinus ad senem pastorem.

fab. 8, de Asino et Vitulo.

Asne et d'un Veau.

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Abstemius,

Haudent, 2 partie, fab. 69, d'un

Mythologia sopica Neveleti, p. 398, p. 538.

Cette fable est au Manuscrit de Sainte-Geneviève.

Dans la fable d'Abstemius, imitée par Haudent, l'action se passe entre un Ane et un Veau : « Fuis, dit l'Ane au Veau; on te tuerait et te mangerait. Moi, je reste: ma condition sera toujours de porter mon fardeau. »

Un Vieillard sur son Ane aperçut, en passant,

Un pré plein d'herbe et fleurissant :

Il y lâche sa bête, et le Grison se rue1

IПу

Au travers de l'herbe menue,

Se vautrant, grattant, et frottant',
Gambadant, chantant, et broutant,
Et faisant mainte place nette.
L'ennemi vient sur l'entrefaite.

5

1. Le Manuscrit de Sainte-Geneviève donne ainsi ces trois pre

miers vers:

Un Vieillard, en chemin fesant,

Aperçut un pré verdoyant :

Il y lâche son âne, et le Baudet se rue.

2. Le pronom se dépend à la fois des trois participes. Dans le Manuscrit de Sainte-Geneviève, le vers est ainsi construit :

Se grattant, vautrant, et frottant.

3. Littré intitule ENTREFAITES, au pluriel, l'article de ce mot, tout en convenant, avec raison, que le singulier, dans les locutions << sur l'entrefaite, sur cette entrefaite, » n'est point passé d'usage.

Fuyons, dit alors le Vieillard.
Pourquoi? répondit le paillard' :

Me fera-t-on porter double bât, double charge?

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Non pas, dit le Vieillard, qui prit d'abord le large. - Et que m'importe donc, dit l'Ane, à qui je sois ? Sauvez-vous, et me laissez paître.

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Notre ennemi, c'est notre maître :

15

4. Paillard, au dix-septième siècle, avait encore, outre le sens qui seul lui reste aujourd'hui, celui de vigoureux gaillard et de méchant fripon. On pourrait être tenté de lui donner ici sa signification étymologique de misérable qui couche sur la paille (voyez le Dictionnaire de Littré). Peut-être aussi que la Fontaine, se souvenant de l'emploi que Rabelais a fait du dérivé se paillardera, a voulu rendre quelque chose du mot lentus qu'il lisait ici chez Phèdre (voyez la note suivante; lentus in herba, a dit aussi Virgile). Paillard, ainsi expliqué, caractériserait bien la bête qui aime par-dessus tout à se rouler, vautrer, paillarder, qui, d'après le récit même, vient de se donner à cœur joie de ce plaisir, et qu'on se représenterait bien renversée encore sur l'herbe menue.

5.

At ille lentus: « Quæso, num binas mihi
Clitellas impositurum victorem putas? »
Senex negavit. « Ergo quid refert mea
Cui serviam, clitellas dum portem meas? »

(PHEDRE, vers 7-10.)

6. « On ne cesse de s'étonner de trouver un pareil vers dans la Fontaine, lui qui dit ailleurs (livre I, fable xiv, vers 1 et 2):

On ne peut trop louer trois sortes de personnes :
Les Dieux, sa maîtresse, et son roi ;

lui qui a dit dans une autre fable (livre III, fable 11, vers 1 et 2): Je devois par la royauté

Avoir commencé mon ouvrage.

On ne lui passerait pas maintenant un vers tel que celui-là, et on ne voit pas pourtant qu'on le lui ait reproché sous Louis XIV. Les

a Parlant du jeune Gargantua, peu pressé de se tirer du lit : « Puis se guambayoit, penadoit, et paillardoit parmy le lict quelque temps, pour mieulx esbaudir ses esperitz animauls. » (Chapitre xx1, édition Marty-Laveaux, tome I, P. 77.)

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écrivains de nos jours qu'on a le plus accusés d'audace n'ont pas poussé la hardiesse aussi loin....» (CHAMFORT.) — M. Crouslé, dans une intéressante conférence sur notre poëte, publiée par la Revue des cours littéraires du 25 janvier 1868, va (p. 130) jusqu'à conclure de ce passage que « la Fontaine, au fond, n'aime pas l'autorité royale. » Ce n'est, croyons-nous, bien comprendre ni ce passage, ni le tour d'esprit du bonhomme. Il a seulement voulu exprimer cette vérité banale, qu'à voir soit le passé, soit le présent, soit l'avenir probable, c'était surtout par les charges que le gouvernement, quel qu'il fût, se faisait sentir aux pauvres gens, et que, par suite, peu leur importait qui les fit peser sur eux. Phèdre parle plutôt de république que de monarchie lorsqu'il dit (vers 1 et 2):

In principatu commutando civium

Nil præter domini nomen mutant pauperes.

FABLE IX.

LE CERF SE VOYANT DANS L'EAU.

Ésope, fab. 181, Ἔλαφος καὶ Λέων, Ἔλαφος καὶ Θηρευταί (Coray, p. 111-113, p. 364-366, sous huit formes).

Babrius, fab. 43,

-

”Eλapos xal Kuvŋyétat. — Aphthonius, fab. 18, Fabula Cervi, admoΚυνηγέται. nens ut differatur judicium de aliqua re priusquam ejus factum sit periculum. — Phèdre, livre I, fab. 12, Cervus ad fontem. — Romulus, livre III, fab. 7, même titre. Anonyme de Nevelet1, fab. 47, de Cervo et Venatore. Marie de France, fab. 32, dou Cerf ki vit ses cornes en l'iaue tantdis que il béveit. Corrozet, fab. 36, du Cerf qui se veid en la fontaine. — Haudent, 1re partie, fab. 147, d'un Cerf se mirant en une fontaine. Le Noble, conte 73, du Cerf

qui loue ses cornes. Le mauvais discernement.

Mythologia sopica Neveleti, p. 238, p. 336, p. 396, p. 520.

Dans le cristal d'une fontaine
Un Cerf se mirant autrefois
Louoit la beauté de son bois,
Et ne pouvoit qu'avecque peine
Souffrir ses jambes de fuseaux',

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1. Nous continuerons de le citer ainsi, mais devons ajouter, ce qui eût dû trouver place au tome I, dès la première mention de ce poëte qui a mis Romulus en vers, que l'on a découvert un manuscrit où il est appelé Ugobardus Sulmonensis. C'est sous ce nom que l'a publié Dressler, en 1838, comme appendice à Phèdre, en laissant aux fables les chiffres d'ordre qu'elles ont chez Nevelet; nous nous conformerons, dans nos citations, au texte de Dressler. Au sujet de ce fabuliste, demeuré si longtemps anonyme, très-goûté de J.-C. Scaliger, qui l'appelle Accius, peu de Lessing, voyez, outre les préfaces de Dressler, Robert (tome I, p. LXXXI; il le nomme Galfredus ou Gaufredus), l'édition de Phèdre de Schwabe (tome I, p. 172; réimpression de Gail, tome II, p. 235-241), et, au tome I de l'édition de la Fontaine de M. Moland, l'Introduction sur la Fable, p. xxxII-XXXIV.

2. Voltaire, dans une lettre au maréchal de Richelieu, du 12 fé

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