Page images
PDF
EPUB

FABLE VI.

LE RENARD, LE SINGE, ET LES ANIMAUX.

Ésope, fab. 29, Αλώπηξ καὶ Πίθηκος (Coray, p. 20, p. 295): comparez la fable 53, Taus xal Koλotós, le Paon et le Choucas, où les Oiseaux sont substitués aux Quadrupèdes (Coray, p. 32, p. 308, sous trois formes, dont la dernière est empruntée au recueil de Syntipas et intitulée Пτnvæv ßcuλń, « le Parlement des Oiseaux »; c'est celle qu'a suivie Corrozet, fable 63, du Pan et de la Pie, et, dans sa 106, Lestrange, dont la réflexion, p. 212, est à lire). Faĕrne, fab. 81, Simius et Vulpes. Haudent, 2 partie, fab. 21,

-

d'un Singe et d'un Regnard (voyez à l'Appendice). Mythologia sopica Neveleti, p. 113.

Dans la fable 28 de Fénelon, l'Assemblée des Animaux pour choisir un roi, le Singe prétend à la couronne, comme agréable, ingénieux, propre à divertir ses sujets, et ressemblant à l'homme; mais il n'est pas élu : on lui préfère l'Éléphant. Dans la fable 22 de Marie de France, li Parlemens des Oiseax por faire Roi, et dans le précieux Esopo volgare imprimé, pour la première fois, à Lucques, en 1864: Gli uccelli feciono parlamento a chiamare uno signiore (p. 48-51), les deux personnages, le premier fort comique, sont le Coucou et la Mésange.

Comme source première, mais sans applications morales analogues, on a comparé l'allégorie biblique de l'élection par les Arbres Livre des Juges, chapitre Ix, versets 8-15.

Chamfort est bien exigeant : « Cette fable, dit-il, écrite purement, et où le fait est bien raconté, a, ce me semble, le défaut de n'avoir qu'un but vague, incertain, et qu'on a de la peine à saisir. A peu de gens convient le diadème,

dit la Fontaine; mais il y avait bien d'autres choses renfermées dans cet apologue. La sottise des animaux, qui décernent la couronne aux talents d'un bateleur, devait être punie par quelque catastrophe, et il ne leur en arrive aucun mal. Les animaux restent sans roi; l'assemblée se sépare donc sans rien faire. Le lecteur ne sait où il en est, ainsi que les animaux que l'auteur introduit dans cette fable. >>

Les Animaux, au décès d'un Lion,
En son vivant prince de la contrée,
Pour faire un roi s'assemblèrent, dit-on.
De son étui la couronne est tirée :
Dans une chartre1 un dragon la gardoit'.
Il se trouva que, sur tous essayée,
A pas un d'eux elle ne convenoit :
Plusieurs avoient la tête trop menue,
Aucuns trop grosse, aucuns même cornue.
Le Singe aussi fit l'épreuve en riant;
Et par plaisir la tiare3 essayant,
Il fit autour force grimaceries*,
Tours de souplesse, et mille singeries,
Passa dedans ainsi qu'en un cerceau 3.
Aux Animaux cela sembla si beau,

:

Qu'il fut élu chacun lui fit hommage.
Le Renard, seul regretta son suffrage,
Sans toutefois montrer son sentiment.

Quand il eut fait son petit compliment,

5

10

1 5

1. Lieu clos, secret; proprement, dans la vieille langue, prison; le mot s'est conservé en ce sens dans la locution « chartre privée ». 2. Le gardoit. (1679 Amsterdam.)

3. Ce terme nous transporte en Orient: on nommait la coiffure des rois de Perse de ce nom, appliqué ensuite à la couronne papale.

4. Ce substantif grimacerie, dont Littré, en effet, ne cite pas d'autre exemple que celui de cette fable, « ne se trouve, dit Geruzez, que dans notre poëte, et il est si bien placé, qu'on oublie qu'il a été inventé pour la rime. »

5. Dans la fable grecque, c'est par sa danse que le Singe gagne tous les suffrages : ὠρχήσατο.

[ocr errors]

6. Regretta d'avoir à donner, donna à regret. M. Taine (p. 105 et 106) apprécie spirituellement tout le rôle du Renard, du Courtisan : « Il sait tout supporter, même le triomphe d'un imbécile. Point de colère : il fléchit, à l'instant, le genou et appelle le nouveau roi par ses titres ; il a même voté pour lui. Il est sans humeur comme sans honneur : lorsqu'on veut se venger, on n'a pas le loisir de s'indigner. Il fait « son petit compliment » au Saltimbanque qui

Il dit au Roi : « Je sais, Sire, une cache',
Et ne crois pas qu'autre que moi la sache.
Or tout trésor, par droit de royauté,
Appartient, Sire, à Votre Majesté.

9

[ocr errors]

Le nouveau roi bâille après la finance 10

;

20

est devenu monarque, lui représente ses droits royaux en bon sujet et en légiste exact, l'attire dans un piége, et, à l'instant, changeant de ton, le tutoie, le ravale jusqu'à la place infime d'où le pauvre hère n'eût jamais dû sortir. »>

7.

Et qui vous a cette cache montrée ?

(Conte vi de la IIIa partie, vers 87.)

[ocr errors]

— « Une cache fidèle, » dit l'Avare de Molière, acte I, scène Iv (tome VII, p. 70 et note 5). Dans notre fable, le mot, on le voit par ce qui suit, implique idée de trésor.

8. La fable grecque, où le trésor est de la chair, mentionne également le droit royal : τῷ Βασιλεῖ γὰρ τοῦτον (τὸν θησαυρὸν) ὁ νόμος δίdwat. Faërne dit de même (vers 4 et 5):

.... Thesaurum, qui lege et moribus ipsi
Deberetur, uti regi rerumque potenti.

« Au moyen âge, les trésors enfouis s'appelaient fortunes d'or et d'argent ils appartenaient au seigneur dans les domaines duquel on les trouvait, comme les troupeaux errants et les débris de la tempête.... Richard Cœur de Lion périt devant le château de Chalus, en réclamant comme suzerain un trésor trouvé par le seigneur de ce château, Saint Louis dit dans ses Établissements (livre I, chapitre XcIv): « Nuns n'a fortune d'or se il n'est rois. Et les fortunes d'argent si << sunt aus barons et a ceus qui ont grant joutise en lor terres". » (M. Chéruel, Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France, ade partie, article TRÉSOR.)

9. Báille (dans les éditions originales baaille) après, aspire à. C'est toujours le sens d'ouvrir la bouche, que ce soit l'ennui ou le désir qui produise cet effet. Dans le dernier sens, les Latins disent aussi inhiare. Voyez, dans ce même livre, la fable iv, vers 14, et dans le livre II, la fable XIII, vers 46. Dans tous ces passages on se servirait plutôt aujourd'hui de bayer, non moins familier, et de même origine que béant.

10. La finance, l'argent : voyez livres VII, vi, 37, et X, Iv, 2.

• Texte de l'édition de M. Viollet (1881): Les Établissements de saint Louis, tome II, p. 152 et 153.

Lui-même y court pour n'être pas trompé.
C'étoit un piége: il y fut attrapé.

Le Renard dit, au nom de l'assistance :
« Prétendrois-tu nous gouverner encor,
Ne sachant pas te conduire toi-même ? »
Il fut démis "; et l'on tomba d'accord
Qu'à peu de gens convient le diadème 1.

25

30

11. Déposé, destitué. Démettre, en ce sens, n'est guère resté dans la langue que comme verbe réfléchi : se démettre (de ses fonctions); cependant la dernière édition du Dictionnaire de l'Académie (1878) donne encore cet exemple : « On l'a démis de son emploi. »>

13. Le quatrain de Benserade (no xxxш), inscrit au bas d'un groupe de figures qui ornait le Labyrinthe de Versailles, est, sans avoir rien de bien plaisant, d'un tour assez net:

Le Singe fut fait roi des autres animaux,
Parce que devant eux il faisoit mille sauts:
Il donna dans le piége ainsi qu'une autre bête,
Et le Renard lui dit : « Sire, il faut de la tête. »

[ocr errors]

FABLE VII.

LE MULET SE VANTANT DE SA GÉNÉALogie.

Ésope, fab. 140, 'Hulovos (Coray, p. 82 et 83, p. 338, sous cinq formes, dont l'une est empruntée à Plutarque, le Banquet des sept sages, Iv cité ci-dessous, note 1). Babrius, fab. 62, même titre. Faërne, fab. 30, Mulus. Corrozet, fab. 86, de la Mule superbe. — Haudent, 2o partie, fab. 24, d'une Mule se décongnoissant. - Verdizotti, fab. 5, del Mulo.

Mythologia sopica Neveleti, p. 202.

Menot a égayé de l'histoire du Mulet, racontée à sa manière, l'un de ses sermons pour le dimanche de la Septuagésime (Tours, fo vi, colonne 4, et fo vii, colonne 1). Appartenant aussi à un homme d'Église, fier du harnais doré qu'il porte, rempli de plus de suffisance encore à l'idée de son brillant parentage, ce Mulet s'échappe un jour et s'en va fourrager dans les blés; la fourche d'un paysan l'arrête; forcé de détaler, il proteste contre l'avanie, et, pensant se faire avantageusement connaitre, il nomme ses cousins, qui servent, ont charge à la cour de l'Évêque et du Roi; mais il ne fait pas de retour sur lui-même, et c'est le paysan, ou peut-être plutôt le prédicateur, qui, dans une apostrophe, rappelle le néant de ces fils de l'Ane, devenus si superbes. Historia de maistre Mulet. Iste Mulus habebat frenum aureum, ut ecclesiastici habent in suis frenis: non ad dandum Ecclesiæ, sed ad ornandum bestiam, Ecce iste Mulus sic ornatus, superbiens, dedit dorsum domino fugiens in bladum domini; et Agricola comminando et furcam accipiendo dixit : « O domine maistre villain : et sic vastatis bladum meum? » O cœpit dorsum dare et improperare, dicens: Ecce cognatus meus est super quem sedet Episcopus : et alius super quem sedet Rex est de sanguine meo. » Et finaliter recessit. O et quid? debetis ita superbire? Ecce estis filius unius asini a lupis comesti; et mater vestra fuit una equa etc., et in stabulo fuisti in paupertate nutritus. O ecce non est tibi occasio superbiendi.

Le Mulet d'un prélat' se piquoit de noblesse,

1. Ici c'est par son maitre que se recommande le Mulet, ce qui

« PreviousContinue »