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Un climat pour lui seul ses plus proches voisins
Ne s'en sentoient non plus que les Américains'.
Ce fut leur avantage : ils eurent bonne année,
Pleine moisson, pleine vinée 10.

Monsieur le Receveur 11 fut très-mal partagé.
L'an suivant, voilà tout changé :

Il ajuste d'une autre sorte

La température des cieux.

Son champ ne s'en trouve pas mieux;

Celui de ses voisins fructifie et rapporte.

Que fait-il? Il recourt au monarque des Dieux,
Il confesse son imprudence.

Jupiter en usa comme un maître fort doux.

Concluons que la Providence

Sait ce qu'il nous faut mieux que nous12.

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hardiesse de tour imitée des anciens. Les Grecs ont dit: Zeus Cet, et en latin Faërne (vers 4 et 5) a donné l'exemple à la Fontaine : Fundum colendum Rusticus quondam ab Jove Conduxit qua parte cum illo fructuum, Hac lege, ut omnem ad ipsius nutum Deus, Ad Rustici, inquam, jussa, summus Juppiter Plueret, serena faceret, auras mitteret.

9. Que des Américains. (1668, in-4o et in-12, 71, 79 Amsterdam, 82, 1729.)

10. Vinée, récolte de vin, vendange. Voyez les exemples du seizième siècle, de Marot et d'Olivier de Serre, cités par Littré.

11. Le Receveur, le métayer, qui, avec sa propre part, récoltait celle du Dieu. « Je suis ravie de n'avoir plus de receveur, » dit Mme de Sévigné dans un sens analogue (tome X, p. 123).

12. « Hélas! que nous savons peu ce que nous faisons, quand nous ne laissons pas au Ciel le soin des choses qu'il nous faut ! » (MOLIÈRE, Dom Juan, acte IV, scène iv.)

Jupiter, mieux que nous, sait bien ce qu'il nous faut;
Prétendre le guider serait folie extrême.

Sachons prendre le temps comme il veut l'envoyer.

(FLORIAN, livre V, fable x, le Prêtre de Jupiter.) - De la fable Iv du livre IX, le Gland et la Citrouille, se déduit une morale qui a grand rapport avec celle-ci.

FABLE V.

LE COCHET, LE CHAT, ET LE SOURICEAU.

Abstemius, fab. 67, de Mure quæ (sic) cum Fele amicitiam contrahere volebat.—Verdizotti, fab. 21, del Topo giovine, la Gatta, e'l Galletto. Mythologia sopica Neveleti, p. 562.

Les vieux prédicateurs affectionnaient cette fable. Elle est ainsi résumée dans le sermon de Menot pour la 4o férie après le 1er dimanche du carême (Tours, sans date, fo xxxvIII, colonne 3, lignes 19 et suivantes): Cattus erat in horreo, et Mus habebat nidum ibi. Vidit Gallum, timuit, et ponebat se juxta illum bonum hominem le Chat. « O, dicit mater, si eatis juxta illum quem vocatis le bon homme et vocatis Mitis1, comedet vos; alius autem non. » Elle se lit un peu plus développée dans un sermon, pour la 4o férie après le ad dimanche du carême, de Gabriel Barleta (Venise, 1571, tome I, fo 90 ro): Facetia de incessu cum collo torto. Fuerunt in fovea pulli Murum, qui, antequam exirent a patre et matre, edocti fuere quod si quando exire vellent de fovea, et aliquid viderent, patri et matri primo nunciarent. Una dierum viderunt Gallum. Aiunt patri: « Vidimus animal cum corona in capite, cum calcaribus ad pedes. —Non timeatis, aiunt, quia est socialis et vobiscum comedet. » Alia vice viderunt animal quasi mortuum in terra, cum capite inclinato. Aiunt patri : « Vidimus sic et sic. O videatis bene, est noster inimicus, ille est Catus. » Ad propositum : de hypocritarum capitibus tortis abstinendum est. Voyez aussi l'extrait de Jacques de Lenda (quinzième siècle) donné par Robert (tome I, p. cix, note 1). Ailleurs Robert (tome II, p. 12 et 13) cite deux fables, l'une en vers latins fort incorrects, l'autre en vieux vers français. Elles ont grand rapport entre elles; le sujet est traité dans toutes deux sous forme de conseils donnés par la mère Souris à sa fille, avant que celle-ci sorte de son trou. Le Chat y est un bypocrite marmottant des prières dans la cendre du foyer. Le Coq, désigné dans la pièce française, comme chez la Fontaine, par le diminutif Cochet, est un « Chevalier », Miles. Le Minnesinger

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1. Sur ce nom de Mitis, voyez au tome I, p. 257, note 10.

de Zurich a raconté la même fable dans le même esprit, plus longuement, mais avec d'intéressants détails, sous le titre : des Bégards (no 43). — « Voici encore une de ces fables qui peuvent passer pour un chef-d'œuvre. La narration et la morale se trouvent dans le dialogue des personnages, et l'auteur s'y montre à peine, si ce n'est dans cinq ou six vers, qui sont de la plus grande simplicité. Le discours du Souriceau, la peinture qu'il fait du jeune Coq, cette petite vanité :

Que moi, qui, grâce aux Dieux, de courage me pique, ce beau raisonnement, cette logique de l'enfance : il sympathise avec les Rats,

.... car il a des oreilles

En figure aux nôtres pareilles,

tout cela est excellent, et le discours de la mère est parfait. Pas un mot de trop dans toute la fable, et pas une seule négligence. » (CHAMFORT.) Benserade a mis cette fable en quatrain (no cxvii) et noté qu'elle avait fourni le sujet d'un groupe de figures pour le Labyrinthe de Versailles.

Un Souriceau tout jeune, et qui n'avoit rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.

Voici comme il conta l'aventure à sa mère :

« J'avois franchi les monts qui bornent cet État',
Et trottois comme un jeune rat
Qui cherche à se donner carrière,

Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :
L'un doux, bénin3, et gracieux,

Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude *;
Il a la voix perçante et rude,

Sur la tête un morceau de chair,

Une sorte de bras dont il s'élève en l'air

Comme pour prendre sa volée,

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2. M. Taine (p. 142 et 143) a fait remarquer le début épique de ce récit du Souriceau. Comparez, dans la fable 1x du livre VIII, le voyage du Rat pour qui, de même, les taupinées deviennent monts. 3. C'est l'épithète d'un ermite dans le conte xv de la IIe partie, vers 64. Benignum, chez Abstemius: voyez ci-après la note 7. 4. Inquiétude, au sens propre : défaut de repos, agitation.

La queue en panache étalée. »

Or c'étoit un Cochet dont notre Souriceau

Fit à sa mère le tableau,

Comme d'un animal venu de l'Amérique.

« Il se battoit, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,

Que moi, qui, grâce aux Dieux, de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,

Le maudissant de très-bon cœur.
Sans lui j'aurois fait connoissance

Avec cet animal qui m'a semblé si doux':

Il est velouté comme nous,

Marqueté, longue queue, une humble contenance,

Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant'.
Je le crois fort sympathisant10

Avec Messieurs les Rats"; car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

Je l'allois aborder, quand d'un son plein d'éclat

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5. M. Taine (p. 194 et 195) cite cette description du Coq comme exemple de peinture expressive. C'est dans la suivante surtout, celle du Chat, que le poëte « accommode le moral avec le physique,... et les met d'accord, » de la manière la plus heureuse. 6. Un tableau. (1679 Amsterdam.)

7. Hoc animal benignum admodum et mite videtur; vultu enim ipso sanctimoniam quamdam præfert. (ABSTEMIUS.) — L'humble contenance du vers 26 est aussi dans la fable latine : capite demisso et tristi vultu recumbebat.

8. Voyez la fable 1 du livre IX, vers 8.

9. Le tour est remarquable, très-clair à la fois et dégagé : à la suite des participes velouté, marqueté, une série de substantifs en apposition, prenant par ellipse le sens possessif: « ayant une longue queue, etc. » Comparez ci-dessus, p. 9, fable 11, vers 10.

10. Nous sympathisons vous et moi, » dit Molière dans les Précieuses ridicules, scène ix (tome II, p. 97).

11. Déjà, au vers 5, le Souriceau s'est nommé lui-même « jeune rat ». Cette confusion, qui le grandit, agrée à sa vanité et est, au reste, fort naturelle pour les yeux, le rat est une grande souris.

J. DE LA FONTAINE. II

L'autre m'a fait prendre la fuite.

- Mon fils, dit la Souris, ce doucet est un Chat,

Qui, sous son minois hypocrite 12,

Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir 13 est porté.
L'autre animal, tout au contraire,

Bien éloigné de nous mal faire, Servira quelque jour peut-être à nos repas. Quant au Chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine. Garde-toi, tant que tu vivras,

De juger des gens sur la mine". »

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12. « Le chat est l'hypocrite de religion, dit M. Taine, comme le renard est l'hypocrite de cour»: voyez tout le portrait, p. 189 et 190. M. Taine rappelle les noms d'archipatelin, de tartufe, de saint homme, que la Fontaine donne au chat (livre IX, fable xiv, vers 3; livre VII, fable xvi, vers 34).

13. « Le vouloir, pour la volonté, est un terme qui a vieilli ", dit Vaugelas, et qui, n'étant plus reçu dans la prose, est néanmoins encore employé dans la poésie par ceux même qui excellent aujourd'hui en cet art. » (Remarques sur la langue françoise, tome II, p. 748, édition de 1697.) Dans le Florentin, scène x11, la Fontaine emploie le mot, avec le même adjectif, au pluriel :

De vos malins vouloirs voilà la digne issue.

14. Dans la fable d'Abstemius, qui finit d'une manière tragique, les Rats, en voyant un des leurs mangé par le Chat, s'écrient: Non est profecto, non est vultui temere credendum.

• Puis rajeuni, pouvons-nous ajouter.

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