J'en vais alléguer un qui, s'étant repenti, Que de renvoyer son épouse, Querelleuse, avare, et jalouse. 15 Rien ne la contentoit, rien n'étoit comme il faut : « Monsieur ne songe à rien, Monsieur dépense tout, Elle en dit tant, que Monsieur, à la fin, Chez ses parents. La voilà donc compagne Avec les gardeurs de cochons. Au bout de quelque temps, qu'on la crut adoucie, L'innocence des champs est-elle votre fait? -Assez, dit-elle; mais ma peine Étoit de voir les gens plus paresseux qu'ici: Ils n'ont des troupeaux nul souci. Je leur savois bien dire, et m'attirois la haine 20 25 30 35 7. Nous retrouverons en maint endroit chez notre auteur, et d'ordinaire sans nulle ironie, ce synonyme, ici comique, de « bergère », si commun dans la pastorale, les galants madrigaux, etc. 8. Sur cette ellipse des pronoms régimes, le, la, les, devant lui ou leur, si fréquente alors, qu'elle semble presque avoir été prescrite par une règle d'euphonie, voyez l'Introduction grammaticale au Lexique de Mme de Sévigné, p. XLIX-LI. On y lit, entre autres, cet exemple, où il y a accord du participe avec le pronom la, bien que sousentendu « Ce fut M. de Pomponne qui me l'apprit (cette affaire) comme on lui avoit apprise. » -Eh! Madame, reprit son époux tout à l'heure', Que le monde qui ne demeure Qu'un moment avec vous et ne revient qu'au soir Est déjà lassé de vous voir, Que feront des valets qui toute la journée Vous verront contre eux déchaînée"? Et que pourra faire un époux Que vous voulez qui soit jour et nuit avec vous12? Je vous rappelle et qu'il m'en prenne envie, 9. Aussitôt, sur-le-champ: voyez ci-dessus, p. 74, la note 8 de la fable xxi (vers 27) du livre VI. 10. Ce mot rappelle le hargneux du vers 37 : c'est un chien qui a brisé sa chaîne. 11. Pour cette tournure, fréquente au dix-septième siècle, d'un double relatif, l'un régime d'un premier verbe, l'autre sujet d'un second et suppléant avec lui l'infinitif latin, voyez encore l'Introduction grammaticale au Lexique de Mme de Sévigné, p. xxiii et xxiv. Molière a dit de même : Nous verrons si c'est moi que vous voudrez qui sorte. (Le Misanthrope, acte II, scène Iv, vers 742.) Et la Fontaine dira plus loin, livre VIII, fable Iv, vers 31-32 : Les éloges que l'Envie Doit avouer qui vous sont dus; et livre XII, fable x1, vers 8-10 : Si le maître des Dieux assez souvent s'ennuie, Lui qui gouverne l'univers, J'en puis bien faire autant, moi qu'on sait qui le sers. 12. Ce dernier trait manque dans l'apologue ésopique, que la Fontaine a du reste suivi de tout point, dans son conte, quant aux Benserade le résume ainsi dans son quatrain CCI : faits. Avecque ses voisins une femme en querelle FABLE III. LE RAT QUI S'EST RETIRÉ DU MONDE. Dans cette fable, plus qu'en aucune autre, la donnée paraît être de l'invention de la Fontaine. Il ne faut pas se laisser tromper par le premier vers ni en conclure que le fabuliste ait réellement rencontré ce sujet dans un recueil de l'Orient: on n'a du moins rien trouvé qui le prouve. C'est par malice qu'il place la scène dans le Levant il veut, sous un air de naïveté, rendre plus piquant le trait final. Solvet, et aussi Robert (tome I, p. ccxxxvi), parlent des aventures du rat Zirac, racontées p. 211 et suivantes du Livre des lumières; mais rien ne les rappelle dans le Rat qui s'est retiré du monde, sauf peut-être quelques mots du début; la Fontaine avait pu garder quelque impression de ce passage: « Le lieu de ma naissance et de ma demeure étoit en une des villes des Indes nommée Marout, dans laquelle j'avois choisi un lieu retiré du bruit et du tracas du monde, pour vivre sans inquiétude, en la compagnie de quelques Rats qui avoient pris la même résolution que moi. » Robert (tome II, p. 71) cite, avec plus d'à-propos, une fable de Nicolas de Pergame (dans le 75o dialogue) intitulée de Carduello in cavea. C'est en effet un sujet fort analogue, avec d'autres personnages. Un Chardonneret bien nourri dans la cage d'un homme riche se souciait fort peu de ceux qui mouraient de faim. En temps de famine, un grand nombre d'oiseaux pauvres, et ne trouvant rien à manger par suite du froid, viennent à lui, et lui demandent l'aumône (eleemosynam petentes); le Chardonneret ne leur donne rien, que des écorces. On peut néanmoins douter que le Dialogue des créatures' de Nicolas de Pergame ait été connu de la Fontaine, bien qu'on ait signalé un assez grand nombre d'éditions du texte, et trois traductions françaises 2. Une copie de cette fable se trouve dans les manuscrits de Trallage (Bibliothèque de l'Arsenal, ms. 6541, numéro 8o, au verso du 1. Dialogus creaturarum moralizatus, Gouda, 1482, in-4°. 2. Voyez Éd. du Méril, p. 152, note 3. feuillet 177, et au recto du feuillet 178); elle vient à la suite des deux Amys (livre VIII, fable x1), et porte pour titre : Allégorie; le Rat qui s'est retiré du monde. A la fin, se lit cette mention, écrite de la même main que le corps de la fable: Mai 1675. - C'est une de celles que Fénelon a fait traduire, en latin, au duc de Bourgogne; on a le corrigé de ce thème; il a pour titre Mus eremita (13° des Fables latines, tome XIX des OEuvres, p. 486-487). M. Taine (p. 126 et 127) retrouve dans le Rat de la Fontaine a un de ces ermites dont parle Jean de Meung, un arrière-petitfils de Faux-Semblant » du Roman de la Rose. Saint-Marc Girardin, dans sa xvre leçon (tome II, p. 65-67), cite cette fable, après plusieurs autres, pour prouver que « la Fontaine, dans ses censures, n'épargne aucune classe, aucun rang, ni la royauté, ni la noblesse, ni le clergé; il ne fait pas grâce à la civilisation, quand elle est corrompue, et sur ce point il a raison. Mais il n'épargne pas plus les hommes en particulier que la société en général, et c'est par là qu'il n'est pas révolutionnaire. » — « L'auteur de Tartuffe dut être bien content de cette petite fable, dit Chamfort. C'est vraiment un chef-d'œuvre. Un goût sévère n'en effacerait qu'un seul mot, c'est celui d'argent dans le récit du voyage des députés. Il fallait un terme plus général, celui de provisions, par exemple. » La critique est étonnante. Dans une ville bloquée, les provisions n'abondent pas; on n'en donne pas à ceux qui partent; pour un long voyage, c'est d'argent qu'on se munit afin de s'en procurer au fur et à mesure. Disent qu'un certain Rat, las des soins d'ici-bas, 3. Il faut dire « eût été bien content » Molière était mort en 1673, et cette fable, si nous en croyons la date probable marquée sur la copie citée plus haut, ne fut composée qu'en 1675. 4. Expression fort usitée autrefois, beaucoup moins aujourd'hui, pour désigner les peuples de l'Orient ou, comme nous disons toujours, du Levant. Voyez ci-dessus, p. 82, note 8, une citation de la préface du Livre des lumières. 5. La Légende se dit ordinairement du recueil des traditions ou des récits sur la vie des saints; en ce sens, c'est un mot particulier au christianisme. Plus d'une légende n'était, comme dit l'abbé Guillon, qu'« un recueil de fables pieuses, d'anecdotes monaca Notre ermite nouveau subsistoit là dedans. Qu'en peu de jours il eut au fond de l'ermitage S'en vinrent demander quelque aumône légère : Chercher quelque secours contre le peuple chat; On les avoit contraints de partir sans argent, De la république1o attaquée. 5 10 15 20 les. » Rabelais parle (chapitre XXVIII du tiers livre, tome II, p. 141) de « la legende des preudes femmes. » Nous rencontrerons aussi plus d'une fois le mot dans les Contes de notre auteur. 6. Le fromage « de Hollande » est comique avec le lointain de lieu et de temps où nous placent les mots Levantins et légende. Non moins plaisante, à la suite, « la solitude profonde..., à la ronde, » dans ledit rond fromage. 7. « Remarquez ces expressions qui appartiennent à la langue dévote. C'est ainsi que Molière met tous les termes de la mysticité dans la bouche de Tartuffe. » (CHAMFORT.) 8. Il se porte à merveille, (MOLIÈRE, le Tartuffe, 1664, acte I, scène iv, vers 233-234.) 9. Ratopolis, ville capitale des Rats, auxquels le poëte a donné ailleurs un roi nommé Ratapon (livre IV, fable vi, vers 11). 10. Au sens ancien du mot, l'Etat, monarchie ou république, au gré du lecteur. |