sais même que j'aurais péché contre l'usage des maximes, qui veut qu'à la manière des oracles elles soient courtes et concises. Quelques-unes de ces remarques le sont; quelques autres sont plus étendues: on pense les choses d'une manière différente, et on les explique par un tour aussi tout différent, par une sentence, par un raisonnement, par une métaphore ou quelque autre figure, par un parallèle, par une simple comparaison, par un fait tout entier, par un seul trait, par une description, par une peinture: de là procède la longueur ou la brièveté de mes réflexions. Ceux enfin qui font des maximes veulent être crus: je consens au contraire que l'on dise de moi que je n'ai pas quelquefois bien remarqué, pourvu que l'on remarque mieux. CHAPITRE PREMIER. Des Ouvrages de l'Esprit. TouTest OUT est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé; l'on ne fait que glaner après les anciens, et les habiles d'entre les modernes. Il faut chercher seulement à penser et à parler juste, sans vouloir amener les autres à notre goût et à nos sentimens : c'est une trop grande entreprise. C'est un métier que de faire un livre, comme de faire une pendule. Il faut plus que de l'esprit pour être auteur. Un magistrat (1) allait par son mérite à la première dignité ; il était homme délié et pratique dans les affaires : il a (1) M. Poncet de la Rivière, mort doyeh des conseillers d'état, qui prétendait être chancelier, et qui avait fait un mauvais livre des avantages de la vieillesse. fait imprimer un ouvrage moral qui est rare par le ridicule. Il n'est pas si aisé de se faire un nom par un ouvrage parfait, que d'en faire valoir un médiocre par le nom qu'on s'est déjà acquis. Un ouvrage satirique ou qui contient des faits, qui est donné en feuilles sous le manteau, aux conditions d'être rendu de même, s'il est médiocre, passe pour merveilleux : l'impression est l'écueil. Si l'on ôte de beaucoup d'ouvrages de morale l'avertissement au lecteur, l'épître dédicatoire, la préface, la table, les approbations, il reste à peine assez de pages pour mériter le nom de livre. · Il ya de certaines choses dont la médiocrité est insupportable : la poésie, la musique, la peinture, le discours public. Quel supplice que celui d'entendre déclamer pompeusement un froid discours, ou prononcer de médiocres vers avec toute l'emphase d'un mauvais poëte! Certains poëtes (1) sont sujets dans le dra (1) Thomas Corneille, dans sa Bérénice, dont matique à de longues suites de vers pompeux, qui semblent forts, élevés, et remplis de grands sentimens. Le peuple écoute avidement, les élevés et la bouche ouverte, yeux croit que cela lui plaît; et à mesure qu'il y comprend moins, l'admire davantage : il n'a pas le temps de respirer, il a à peine celui de se récrier et d'applaudir. J'ai cru autrefois, et dans ma première jeunesse, que ces endroits étaient clairs et intelligibles pour les acteurs, pour le parterre et l'amphithéâtre; que leurs auteurs s'entendaient eux-mêmes; et qu'avec toute l'attention que je donnais à leur récit j'avais tort de n'y rien entendre: je suis détrompé. L'on n'a guère vu (1) jusques à présent un chef-d'œuvre d'esprit qui soit l'ouvrage de plu les quatre premiers vers sont un pur galimatias: (1) Le Dictionnaire de l'Académie française, qui a paru enfin en 1694, après avoir été attendu pendant plus de quarante ans. sieurs : Homère a fait l'Iliade, Virgile l'Énéide, Tite-Live ses Décades, et l'Orateur romain ses Oraisons. Il y a dans l'art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature: celui qui le sent et qui l'aime a le goût parfait; celui qui ne le sent pas, et qui aime en-deçà ou au-delà, a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût, et l'on dispute des goûts avec fondement. Il y a beaucoup plus de vivacité que de goût parmi les hommes ; ou, pour mieux dire, il y a peu d'hommes dont l'esprit soit accompagné d'un goût sûr et d'une critique judicieuse. La vie des héros a enrichi l'histoire, et l'histoire a embelli les actions des héros: ainsi je ne sais qui sont plus redevables, ou ceux qui ont écrit l'histoire à ceux qui leur en ont fourni une si noble matière, ou ces grands hommes à leurs historiens. Amas d'épithètes, mauvaises louanges : ce sont les faits qui louent, et la manière de les raconter. Tout l'esprit d'un auteur consiste à bien |