des deux ministres : n'a-t-il pas prédit aux premiers les tristes suites de leur mésintelligence? n'a-t-il pas dit de ceux-ci que leur union ne serait pas longue? n'était-il pas présent à de certaines paroles qui furent dites ? n'entra-t-il pas dans une espèce de négociation? le voulut-on croire ? fut-il écouté? A qui parlez-vous de ces choses ? qui a eu plus de part que Celse à toutes ces intrigues de cour? et si cela n'était pas ainsi, s'il ne l'avait du moins ou rêvé ou imaginé, songerait-il à : pouvait se dispenser de cette protection, qui lui était glorieuse et nécessaire : et le roi fut de son avis. Cependant on envoya en Irlande peu de troupes pour le rétablissement de ce prinçe, et M. de Cavois pour y passer avec elles mais ne s'y étant pas trouvé le plus fort, il ne put empêcher que le prince d'Orange ne passât la Boyne, où il y eut un grand combat le 10 juillet 1690, dans lequel le roi Jacques, ayant été abandonné par les Anglais et les Irlandais, fut obligé de se sauver à Dublin, et de repasser en France. Ce fut dans ce combat que le maréchal de Schomberg fut tué d'un coup de sabre et de pistolet, par deux Français, gardes du roi Jacques, qui passèrent exprès les rangs pour vous le faire croire? aurait-il l'air important et mystérieux d'un homme revenu d'une ambassade ? Ménippe (1) est l'oiseau paré de divers plumages qui ne sont pas à lui : il ne parle pas, il ne sent pas, il répète des sentimens, et des discours, se sert même si naturellement de l'esprit des autres, qu'il y est le premier trompé, et qu'il croit souvent dire son goût ou expliquer sa pensée, lorsqu'il n'est que l'écho de quelqu'un qu'il vient de quitter. C'est un homme qui est de mise un quart-d'heure de suite, qui le moment d'après baisse, dégé que l'attaquer, et qui furent tués sur-le-champ. Le prince d'Orange fut si surpris de cette mort la tête lui en tourna, et qu'il devint invisible quelques jours, ce qui donna lieu au bruit qui courut de sa mort, dont la nouvelle, répandue en France, causa pendant trois jours des joies extravagantes, et qui à peine cessèrent par les nouvelles du rétablissement de sa santé et du siége de Limerick, où il se trouva en personne. Depuis ce temps-là, le roi Jacques n'a pu se rétablir. Il est mort à Saint-Germainen-Laie, le 16 septembre 1701. (1) Le maréchal de Villeroi. nère, perd le peu de lustre qu'un peu de mémoire lui donnait, et montre la corde: lui seul ignore combien il est au-dessous du sublime et de l'héroïque; et incapable de savoir jusqu'où l'on peut avoir de l'esprit, il croit naïvement que ce qu'il en a est tout ce que les hommes en sauraient avoir aussi a-t-il l'air et le maintien de celui qui n'a rien à désirer sur ce chapitre, et qui ne porte envie à personne. Il se parle souvent à soi-même, et il ne s'en cache pas, ceux qui passent le voient; et il semble toujours prendre un parti, ou décider qu'une telle chose est sans réplique. Si vous le saluez quelquefois, c'est le jeter dans l'embarras de savoir s'il doit rendre le salut ou non; et pendant qu'il délibère, vous êtes déjà hors de portée. Sa vanité l'a fait honnête homme, l'a mis au-dessus de lui-même, l'a fait devenir ce qu'il n'était pas. L'on juge en le voyant qu'il n'est occupé que de sa personne, qu'il sait que tout lui sied bien, et que sa parure est assortie, qu'il croit que tous les yeux sont ouverts sur lui, et que les hommes se relaient pour le contempler. Celui qui, logé chez soi dans un palais avec deux appartemens pour les deux saisons, vient coucher au Louvre dans un entresol, n'en use ainsi par modestie. Cet autre, qui pour pas conserver une taille fine s'abstient du vin, et ne fait qu'un seul repas, n'est ni sobre, ni tempérant; et d'un troisième qui, importuné d'un ami pauvre, lui donne enfin quelque secours, l'on dit qu'il achète son repos, et nullement qu'il est libéral. Le motif seul fait le mérite des actions des hommes, et le désintéressement y met la perfection. La fausse grandeur (1) est farouche et inaccessible; comme elle sent son foible, elle se cache, ou du moins ne se montre pas de front, et ne se fait voir qu'autant qu'il faut pour imposer et ne paraitre point ce qu'elle est, je veux dire, une vraie petitesse. La véritable grandeur (2) est libre, douce, familière, populaire. Elle se laisse toucher et manier, elle ne perd rien à être vue de près: plus on la connaît, plus on l'admire. Elle se courbe par bonté vers ses inférieurs, et revient sans effort dans (1) Le maréchal de Villeroi. (2) Le maréchal de Turenne, tué en Allemagne d'un coup de canon, le 27 juillet 1674. son naturel. Elle s'abandonne quelquefois, se néglige, se relâche de ses avantages, toujours en pouvoir de les reprendre, et de les faire valoir : elle rit, joue et badine, mais avec dignité. On l'approche tout ensemble avec liberté et avec retenue. Son caractère est noble et facile, inspire le respect et la confiance, et fait que les princes nous paraissent grands et très-grands, sans nous faire sentir que nous sommes petits. Le sage guérit de l'ambition par l'ambition même : il tend à de si grandes choses qu'il ne peut se borner à ce qu'on appelle des trésors, des postes, la fortune, et la faveur. Il ne voit rien dans de si faibles avantages, qui soit assez bon et assez solide pour remplir son cœur et pour mériter ses soins et ses désirs : il a même besoin d'efforts pour ne les pas trop dédaigner. Le seul bien capable de le tenter est cette sorte de gloire qui devrait naître de la vertu toute pure et toute simple : mais les hommes ne l'accordent guère; et il s'en passe. Celui-là est bon qui fait du bien aux autres : s'il souffre pour le bien qu'il fait, il est trèsbon : s'il souffre de ceux à qui il a fait ce bien, il a une si grande bonté qu'elle ne peut être |