par d'elle et de ses principes: ils sortent de l'art pour l'ennoblir, s'écartent des règles, si elles ne les conduisent pas au grand et au sublime : ils marchent seuls et sans compagnie, mais ils vont fort haut et pénètrent fort loin, toujours sûrs et confirmés le succès des avantages que l'on tire quelquefois de l'irrégularité. Les esprits justes, doux, modérés, nonseulement ne les atteignent pas, ne les admirent pas, mais ils ne les comprennent point, et voudraient encore moins les imiter. Ils demeurent tranquilles dans l'étendue de leur sphère, vont jusques à un certain point qui fait les bornes de leur capacité et de leurs lumières; ils ne vont pas plus loin, parce qu'ils ne voient rien au-delà. Ils ne peuvent au plus qu'être les premiers d'une seconde classe, et exceller dans le médiocre. II Ꭹ a des esprits (1), si j'ose le dire, inférieurs et subalternes, qui ne semblent faits que pour être le recueil, le registre, ou le magasin de toutes les productions des autres génies. Ils sont plagiaires, traducteurs, com (1) Ménage. pilateurs: ils ne pensent point, ils disent ce que les auteurs ont pensé; et comme le choix des pensées est invention, ils l'ont mauvais, peu juste, et qui les détermine plutôt à rapporter beaucoup de choses, que d'excellentes choses: ils n'ont rien d'original et qui soit à eux : ils ne savent que ce qu'ils ont appris ; et ils n'apprennent que ce que tout le monde veut bien ignorer, une science vaine, aride, dénuée d'agrément et d'utilité, qui ne tombe point dans la conversation, qui est hors du commerce, semblable à une monnaie qui n'a point de cours. On est tout à la fois étonné de leur lecture et ennuyé de leur entretien ou de leurs ouvrages. Ce sont ceux que les grands et le vulgaire confondent avec les savans, et que les sages renvoient au pédantisme. La critique souvent n'est pas une science : c'est un métier où il faut plus de santé que d'esprit, plus de travail que de capacité, plus d'habitude que de génie. Si elle vient d'un homme qui ait moins de discernement que de lecture, et qu'elle s'exerce sur de certains chapitres, elle corrompt et les lecteurs et l'écrivain. Je conseille (1) à un auteur né copiste, et qui a l'extrême modestie de travailler d'après quelqu'un, de ne choisir pour exemplaires que ces sortes d'ouvrages où il entre de l'esprit, de l'imagination, ou même de l'érudition : s'il n'atteint pas ses originaux, du moins il en approche, et il se fait lire. Il doit au contraire éviter comme un écueil de vouloir imiter ceux qui écrivent par humeur, que le cœur fait parler, à qui il inspire les termes et les figures, et qui tirent, pour ainsi dire, de leurs entrailles tout ce qu'ils expriment sur le papier: dangereux modèles et tout propres à faire tomber dans le froid, dans le bas, et dans le ridicule, ceux qui s'ingèrent de les suivre. En effet, je rirais d'un homme qui voudrait sérieusement parler mon ton de voix, ou me ressembler de visage. Un homme (2) né Chrétien et Français se (1) L'abbé de Villiers, qui avait été jésuite. (2) Le Noble, natif de Troyes, ci-devant procureur général au parlement de Metz, a fait quantité d'ouvrages d'esprit et d'érudition, entre autres l'EsPRIT DE GERSON, qui a été mis à l'Index à Rome. Il trouve contraint dans la satire: les grands sujets lui sont défendus ; il les entame quelquefois, et se détourne ensuite sur de petites choses, qu'il relève par la beauté de son génie et de son style. Il faut éviter le style vain et puéril, de peur de ressembler à Dorillas et Handbourg (1). L'on peut au contraire en une sorte d'écrits hasarder de certaines expressions, user de termes transposés et qui peignent vivement, et plaindre ceux qui ne sentent pas le plaisir qu'il y a à s'en servir ou à les entendre. Celui qui n'a égard en écrivant qu'au goût de son siècle, songe plus à sa personne qu'à ses écrits. Il faut toujours tendre à la perfection; et alors cette justice qui nous est quel a été détenu plusieurs années en prison, d'où il est enfin sorti après avoir fait amende honorable. (1) Varillas et Maimbourg. Le P. Maimbourg, dit madame de Sévigné, lett. 116, a ramassé le délicat des mauvaises ruelles. Ce jugement s'accorde fort bien avec celui que La Bruyère porte ici du style de Handbourg. HAND, en anglais, signifie MAIN. quefois refusée par nos contemporains, la postérité sait nous la rendre. Il ne faut point mettre un ridicule où iln'y en a point: c'est se gâter le goût, c'est corrompre son jugement et celui des autres. Mais le ridicule qui est quelque part, il faut l'y voir, l'en tirer avec grace, et d'une manière qui plaise et qui instruise. Horace, ou Despréaux, l'a dit avant vous. Je le crois sur votre parole, mais je l'ai dit comme mien. Ne puis-je pas penser après eux une chose vraie, et que d'autres encore penseront après moi? CHAPITRE II. Du Mérite personnel. Qux peut, ur peut, avec les plus rares talens et le plus excellent mérite, n' n'être pas convaincu de son inutilité, quand il considère qu'il laisse, en mourant, un monde qui ne se sent pas perte, et où tant de gens se trouvent pour le remplacer? de sa |