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en vue ni le vrai ni le faux, ni le raisonnable ni le ridicule; il évite uniquement de donner dans le sens des autres, et d'être de l'avis de quelqu'un: aussi attend-il dans un cercle que chacun se soit expliqué sur le sujet qui s'est offert, on souvent qu'il a amené lui-même pour dire dogmatiquement des choses toutes nouvelles, mais à son gré décisives et sans réplique. Cydias s'égale à Lucien et à Sénèque, se met au-dessus de Platon, de Virgile et de Théocrite; et son flatteur a soin de le confirmer tous les matins dans cette opinion. Uni de goût et d'intérêt avec les contempteurs d'Homère, il attend paisiblement que les hommes détrompés lui préfèrent les poètes modernes: il se met en ce cas à la tête de ces derniers, il sait à qui il adjuge la seconde place. C'est en un mot un composé du pédant et du précieux, fait pour être admiré de la bourgeoisie et de la province, en qui néanmoins on n'aperçoit rien de grand que l'opinion qu'il a de lui-même.

C'est la profonde ignorance qui inspire le ton dogmatique. Celui qui ne sait rien croit enseigner aux autres ce qu'il vient d'apprendre

,

lui-même: celui qui sait beaucoup pense à peine que ce qu'il dit puisse être ignoré, et parle plus indifféremment.

Les plus grandes choses n'ont besoin que d'être dites simplement, elles se gâtent par l'emphase; il faut dire noblement les plus petites, elles ne se soutiennent que par l'expression, le ton, et la manière.

Il me semble que l'on dit les choses encore plus finement qu'on ne peut les écrire.

Il n'y a guère qu'une naissance honnête, ou qu'une bonne éducation, qui rende les hommes capables de secret.

Toute confiance est dangereuse si elle n'est entière: il y a peu de conjonctures où il ne faille tout dire ou tout cacher. On a déjà trop dit de son secret à celui à qui l'on croit devoir en dérober une circonstance.

Des gens vous promettent le secret, et ils le révèlent eux-mêmes, et à leur insu: ils ne remuent pas les lèvres, et on les entend; on lit sur leur front et dans leurs yeux; on voit au travers de leur poitrine, ils sont transparens: d'autres ne disent pas précisément une chose qui leur a été confiée, mais ils parlent et agissent de manière qu'on la découvre de soi-même : enfin quelques-uns méprisent votre secret, de quelque conséquence qu'il puisse être : « C'est un mystère, un tel m'en >> a fait part, et m'a défendu de le dire; » et ils le disent.

Toute révélation d'un secret est la faute de celui qui l'a confié.

Nicandre s'entretient avec Élise de la manière douce et complaisante dont il a vécu avec sa femme, depuis le jour qu'il en fit le choix, jusques à sa mort: il a déjà dit qu'il regrette qu'elle ne lui ait pas laissé des enfans, et il le répète: il parle des maisons qu'il a à la ville, et bientôt d'une terre qu'il a à la campagne; il calcule le revenu qu'elle lui rapporte; il fait le plan des bâtimens, en décrit la situation, exagère la commodité des appartemens, ainsi que la richesse et la propreté des meubles. Il assure qu'il aime la bonne chère, les équipages: il se plaint que sa femme n'aimait point assez le jeu et la société. Vous êtes si riche, lui disait l'un de ses amis, que n'ache tez-vous cette charge? pourquoi ne pas faire cette acquisition, qui étendrait votre domaine? On me croit, ajoute-t-il, plus de bien que je n'en possède. Il n'oublie pas son extraction et ses alliances: Monsieur le surintendant, qui est mon cousin, madame la chancelière, qui est ma parente : voilà son style. Il raconte un fait qui prouve le mécontentement qu'il doit avoir de ses plus proches, et de ceux même qui sont ses héritiers: ai-je tort? dit-il à Élise; ai-je grand sujet de leur vouloir du bien ? et il l'en fait juge. Il insinue ensuite qu'il a une santé faible et languissante; il parle de la cave où il doit être enterré. Il est insinuant, flatteur, officieux à l'égard de tous ceux qu'il trouve auprès de la personne à qui il aspire. Mais Élise n'a pas le courage d'être riche en l'épousant. On annonce, au moment qu'il parle, un cavalier, qui de sa seule présence démonte la batterie de l'homme de ville: il se lève déconcerté et chagrin, et va dire ailleurs qu'il veut se re

marier.

Le sage quelquefois évite le monde de peur d'être ennuyé.

CHAPITRE VI.

Des Biens de fortune.

Un homme fort riche (1) peut manger des entremets, faire peindre ses lambris et ses alcoves, jouir d'un palais à la campagne, et d'un autre à la ville, avoir un grand équipage, mettre un duc dans sa famille, et faire de son fils un grand seigneur: cela est juste et de son ressort. Mais il appartient peut-être à d'autres de vivre contens.

Une grande naissance ou une grande fortune annonce le mérite, et le fait plutôt re

marquer.

Ce qui disculpe le fat ambitieux de son ambition, est le soin que l'on prend, s'il a fait une grande fortune, de lui trouver un mérite qu'il n'a jamais eu, et aussi grand qu'il croit l'avoir.

(1) De Louvois, ou Fremont.

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