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Car en réveillant ainfi l'Auditeur par ces Apoftrophes, vous le rendez plus emû, plus attentif, & plus plein de la chose dont vous parlés.

I

CHAPITRE XXIII.

Des Tranfitions impreveuës.

L arrive auffi quelquefois qu'un Escrivain parlant de quelqu'un, tout d'un coup fe met à sa place, & jouë fon perfonnage : & cette Figure marque l'impetuofité de la Paffion.

Mais Hector de fes cris remplißant le rivage,
Commande à fes foldats, de quitter le pillage:
De courir aux vaiffeaux. Car, j'atteste les Dieux,
Que quiconque ofera s'écarter à mes yeux,

Moi-mefme dans fon fang j`iray laver fa honte. Le Poëte retient la narration pour foi, comme celle qui lui eft propre, & met tout d'un coup, & fans en avertir, cette menace précipitée dans la bouche de ce Guerrier bouillant & furieux. En effet fon difcours auroit langui s'il y euft entremeflé: Hector dit alors de telles ou femblables paroles. Au lieu que par cette Transition impreveuë il previent le Lecteur, & la Transition eft faite avant qu'on s'en foit apperceu. Le veritable lieu donc où l'on doit ufer de cette Figure, c'eft quand le temps preffe & que l'occafion qui fe prefente ne permet pas de differer: lorfque fur le champ il faut paffer d'une perfonne à une autre, comme

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dans Hecatée. Ce Heraut ayant affes pefe la confequence de toutes ces chofes, il commande aux Defcendans des Heraclides de fe retirer. Je ne puis plus rien pour vous, non plus que fi je n'eftois point au monde. Vous estes perdus, & vous me forcerez bien-toft moi-mefme d'aller chercher une retraite chez quelque autre peuple. Demof thene dans fon Oraison contre Ariftogiton a encore emploié cette Figure d'une maniere differente de celle-ci, mais extremnément forte & pathetique. Et il ne se trouvera perfonne entre vous, dit cet Orateur, qui ait du reffentiment & de l'indignation de voir un impudent, un infame violer infolemment les chofes les plus faintes? Un fcelerat, dis-je, qui . . . . O le plus méchant de tous les Hommes ! rien n'aura pú arrester ton audace effrenée ? Je ne dis pas ces portes, je ne dis pas ces barreaux, qu'un autre pouvoit rompre comme toi. Il laiffe là fa pensée imparfaite, la colere le tenant comme fufpendu & partagé fur un mot, entre deux differentes perfonnes. Qui..O le plus méchant de tous les Hommes! Et enfuite tournant tout d'un coup contre Ariftogiton ce mefine difcours qu'il fembloit avoir laissé là; il touche bien davantage, & fait une bien plus forte impreffion. Il en eft de mesme de cet emportement de Penelope dans Homere, quand elle void entrer chez elle un Heraut de la part de fes Amans.

De mes fâcheux Amans miniftre injurieux,
Heraut, que cherches-tu? Qui t'amene en ces lieux?
r viens-tu de la part de cette Troupe avare
Ordonner qu'à l'inftant le Feftin fe prepare?

Faffe le jufte Ciel, avançant leur trépas,
Que ce repas pour eux foit le dernier repas.
Laches, qui pleins d'orgueil & foibles de courage,
Confumés de fon fils le fertile heritage,
Vos Peres autrefois ne vous ont-ils point dit
Quel Homme estoit Vlyffe? &c.

CHAPITRE XXIV.

De la Periphrafe.

IL n'y a perfonne, comme je croi, qui puiffe douter que la Periphrase ne foit encore d'un grand ufage dans le Sublime. Car, comme dans la Mufique le fon principal devient plus agréable à l'oreille, lors qu'il eft accompagné de ces differentes parties qui lui répondent:De mefme la Periphrase tournant à l'entour du mot propre, forme fouvent par rapport avec lui une confonance & une harmonie fort belle dans le discours. Sur tout lors qu'elle n'a rien de difcordant ou d'enflé, mais que toutes chofes y font dans un juste temperament. Platon nous en fournit un bel exemple au commencement de fon Oraifon funebre. Enfin, dit-il, nous leur avons rendu les derniers devoirs,

maintenant ils achevent ce fatal voyage, ils s'en vont tous glorieux de la magnificence avec laquelle toute la ville en general, & leurs parens en particulier les ont reconduits hors de ce monde. Premierement il appelle la Mort, ce fatal voyage. Enfuite il parle des derniers devoirs qu'on avoit rendu aux morts, comme d'une

pompe publique que leur païs leur avoit préparée exprés, au fortir de cette vie. Dirons-nous que toutes ces chofes ne contribuent que mediocrement à relever cette pensée? Avoüons plûtoft, que par le moyen de cette Periphrase melodieufement répandue dans le difcours, d'une diction toute fimple, il a fait une espece de concert & d'harmonie. De mesme Xenophon. Vous regardés le travail comme le feul guide qui vous peut conduire à une vie heureuse & plaifante. Au reste voftre ame eft ornée de la plus belle qualité que puiffent jamais poffeder des Hommes nés pour la guerre, c'est qu'il n'y a rien qui vous touche plus fenfiblement que la louange. Au lieu de dire: Vous vous addonnez au travail, il use de cette Circonlocution; Vous regardez le travail, comme le feul guide qui vous peut conduire à une vie heureuse. Et eftendant ainfi toutes choses, il rend fa pensée plus grande, & releve beaucoup cet Eloge. Cette Periphrafe d'Herodote me semble encore inimitable. La Deeffe Venus, pour chaftier l'infolence des Scythes qui avoient pillé fon Temple leur envoia la Mades. ladie des femmes.

*Hemorroi

Au reste, il n'y a rien dont l'usage s'estende plus loin que la Periphrase, pourveu qu'on ne la refpande pas par tout fans choix & fans mesure. Car auffitoft elle languit, & a je ne fçai quoi de niais & de groffier. Et c'eft pourquoi Platon qui est toûjours figuré dans fes expreffions, & quelquefois mefme un peu mal à propos, au jugement de quelquesmala uns, a efté raillé pour avoir dit dans fa Republique. propos Il ne faut point fouffrir que les richeffes d'or & d'argent

prennent pié, ni habitent dans une Ville. S'il euft voulu, poursuivent-ils, interdire la poffeffion du beftail; affeurement qu'il auroit dit par la mesme raison, les richeffes de bœufs & de moutons.

Mais ce que nous avons dit en general fuffit pour faire voir l'ufage des Figures, à l'égard du Grand & du Sublime. Car il eft certain qu'elles rendent toutes le Discours plus animé & plus Pathetique or le Pathetique participe du Sublime, autant que le Sublime participe du Beau & de l'Agreable.

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CHAPITRE XXV.

Du Choix des Mots.

P dinairement par

UISQUE la Pensée & la Phrafe s'expliquent ordinairement l'une par l'autre : Voions fi nous n'avons point encore quelque chofe à remarquer dans cette partie du difcours, qui regarde l'expreffion. Or que le choix des grands mots & des termes propres, foit d'une merveilleuse vertu pour attacher & pour émouvoir, c'eft ce que perfonne n'ignore, & fur quoi par confequent il feroit inutile de s'arrefter. En effet il n'y a peut-eftre rien d'où les Orateurs & tous les Efcrivains en general qui s'eftudient au Sublime, tirent plus de grandeur, d'élegance, de netteté, de poids, de force, & de vigueur pour leurs Ouvrages, que choix des paroles. C'eft par elles que toutes ces beautez éclatent dans le difcours, comme dans un riche

du

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