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Pitile ne

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Our retourner à noftre difcours. Platon dont le ftile ne laiffe pas d'estre fort eslevé, bien qu'il coule fans eftre rapide & fans faire de bruit, nous a donné une idée de ce stile que vous ne pouvés ignorer, fi vous avés leu les livres de fa Republique. Ces Hommes malheureux, dit-il quelque part, qui ne fçavent ce que c'est que de fageẞe ni de vertu, & qui font continuellement plongés dans les feftins & dans la débauche, vont toûjours de pis en pis, &) errent enfin toute leur vie. La Verité n'a point pour eux d'attraits ni de charmes : Ils n'ont jamais levé les yeux pour la regarder; En un mot ils n'ont jamais goûté de pur ni de folide plaifir. Ils font comme des beftes qui regardent toûjours en bas, & qui font courbées vers la Terre: ils ne fongent qu'à manger, & à repaistre, qu'à fatisfaire leurs paffions brutales, & dans l'ardeur de les raffafier, ils regimbent, ils égratignent, ils se battent à coups d'ongles & de cornes de fer, & periffent à la fin par leur gourmandise infatiable.

Au refte ce Philofophe nous a encore enseigné un autre chemin, fi nous ne voulons point le negliger, qui nous peut conduire au Sublime. Quel est ce chemin ? c'eft l'Imitation & l'emulation des Poëtes & des Efcrivains illuftres qui ont vescu devant nous. Car c'est le but que nous devons toûjours nous mettre devant les yeux.

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Et certainement il s'en void beaucoup que l'efprit d'autrui ravit hors d'eux-mefmes, comme on dit qu'une fainte fureur faifit la Preftreffe d'Apollon fur le facré Trepié. Car on tient qu'il y a une ouverture en terre d'où fort un foufle, une vapeur toute celefte qui la remplit fur le champ d'une vertu divine, & lui fait prononcer des oracles. De mefine ces grandes beautez que nous remarquons dans les Ouvrages des Anciens font comme autant de fources facrées, d'où il s'éleve des vapeurs heureuses qui fe refpandent dans l'ame de leurs Imitateurs, & animent les efprits mefmes naturellement les moins échauffez: fi bien que dans ce moment ils font comme ravis & emportez de l'enthousiafine d'autrui. Ainfi voions-nous qu'Herodate & devant lui Stefichore & Archiloque ont efté grands imitateurs d'Homere. Platon nean-moins eft celui de tous qui l'a le plus imité : car il a puisé dans ce Poëte, comme dans une vive fource, dont il a def tourné un nombre infini de ruisseaux: & j'en donnerois des exemples fi Amonius n'en avoit déja rapporté plufieurs.

Au refte on ne doit point regarder cela comme un larcin, mais comme une belle idée qu'il a cuë, & qu'il s'eft formée fur les mœurs, l'invention, & les ouvrages d'autrui. En effet jamais, à mon avis, il ne dit de fi grandes choses dans fes traités de Philofophie, que quand du fimple difcours paffant à des expreffions & à des matieres poëtiques, il vient, s'il faut ainfi dire comme un nouvel Athlete, difputer de toute fa force le prix à Homere, c'est à dire à ce

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lui qui eftoit déja l'admiration de tous les Siecles. Car bien qu'il ne le faffe peut-eftre qu'avec un peu trop d'ardeur, & comme on dit, les armes à la main; cela ne laisse pas nean-moins de lui fervir beaucoup, puisqu'enfin, felon Hefiode.

La noble Faloufie eft utile aux Mortels.

Et n'eft-ce pas en effet quelque chofe de bien glorieux & bien digne d'une ame noble, que de combattre pour l'honneur & le prix de la victoire, avec ceux qui nous ont précedés ? puifque dans ces fortes de combats on peut mefme eftre vaincu fans honte.

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CHAPITRE XI I.

De la maniere d'Imiter.

OUTES les fois donc que nous voulons travailler à un Ouvrage qui demande du Grand & du Sublime, il eft bon de faire cette reflexion. Comment est-ce qu'Homere auroit dit cela ? Qu'auroient fait Platon, Demofthene ou Thucydide mesme, s'il est question d'hiftoire, pour efcrire ceci en ftile Sublime? Car ces grands Hommes que nous nous proposons à imiter, fe prefentant de la forte à noftre imagination, nous fervent comme de flambeau, & fouvent nous eslevent l'ame presque auffi haut que l'idée que nous avons conceuë de leur genie. Sur tout fi nous nous imprimons bien ceci en nous-mefmes. Que penferoient Homere ou Demofthene de ce que je dis s'ils m'écoutoient, & quel jugement feroient-ils de moi?

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En effet ce sera un grand avantage pour nous, fi nous pouvons nous figurer que nous allons mais ferieusement, rendre compte de nos efcrits devant un fi celebre Tribunal, & fur un Theatre où nous avons de tels Heros pour juges & pour témoins. Mais un motif encore plus puiffant pour nous exciter, c'est de fonger au jugement que toute la pofterité fera de nos efcrits. Car fi un Homme, dans la crainte de ce jugement, ne fe foucie pas qu'aucun de fes Ouvrages vive plus que lui fon efprit ne fçauroit rien produire que des avortons aveugles & imparfaits, & il ne fe donnera jamais la peine d'achever des Ouvrages, qu'il ne fait point pour paffer jusqu'à la derniere pofterité.

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CHAPITRE XIII.

Des Images.

Es Images, que d'autres appellent Peintures ou Fictions, font auffi d'un grand artifice pour donner du poids, de la magnificence, & de la force au difcours. Ce mot d'Image fe prend en general, pour toute Pensée propre à produire une expreffion, & qui fait une peinture à l'efprit de quelque inaniere que ce foit. Mais il fe prend encore dans un fens plus particulier & plus refferré, pour ces difcours que l'on fait, lorfque par un enthousiasme et un mouvement extraordinaire de l'ame, il femble que nous voions les chofes dont nous parlons, & que nous les mettons devant les yeux de ceux qui écoutent.

• Paroles d'Orefte dans Eu

ripide.

Au reste vous devez fçavoir que les Images dans la Rhetorique, ont tout un autre ufage que parmi les Poëtes. En effet le but qu'on s'y propose dans la Poëfie, c'est l'eftonnement & la furprise: au lieu que dans la profe c'eft de bien peindre les chofes, & de les faire voir clairement. Il y a pourtant cela de commun, qu'on tend à emouvoir en l'une & en l'autre ren

contre.

* Mere cruelle arreste, efloigne de mes yeux
Ces Filles de l'enfer, ces Spectres odieux.
Ils viennent: je les voy: mon fupplice s'apprefte.
Mille horribles ferpents leur fiflent fur la teste.
Et ailleurs.

Où fuirai-je? Elle vient. Je la voy. Je fuis mort. Le Poëte en cet endroit ne voioit pas les Furies: cependant il en fait une image fi naïve, qu'il les fait prefque voir aux Auditeurs. Et veritablement je ne fçaurois pas bien dire si Euripide est aussi heureux à exprimer les autres paffions; mais pour ce qui regarde l'amour & la fureur, c'eft à quoi il s'eft eftudié particulierement, & il y a fort bien reuffi. Et mefine en d'autres rencontres il ne manque pas quelque-fois de hardieffe à peindre les chofes. Car bien que fon efprit de lui-mefme ne foit pas porté au Grand, il corrige fon naturel, & le force d'eftre tragique & relevé, principalement dans les grands Sujets de forte qu'on lui peut appliquer ces vers du Poëte.

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A l'aspect du peril, au combat il s'anime :
Et le poil heriffe, les yeux étincelans,
De fa queuë il se bat les coftez & les flancs.

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