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fu Se fit. Que la Terre soitfaffe, la Terre fut fai Je penfe, mon cher Terentianus, que vous ne lefâché que je vous rapporte encore ici un pafssage de noftre Poëte, quand il parle des hommes; afin de vous faire voir combien Homere eft heroïque luimesme; en peignant le caractere d'un Heros. Une épaiffe obfcurité avoit couvert tout d'un coup l'armée des Grecs, & les empefchoit de combattre. En cet endroit Ajax ne sçachant plus quelle resolution prens'écrie:

Iliad.

liv. 17.

Iliad.

dre,

Grand Dieu chaffe la nuit qui nous couvre les yeux, Et combats contre nous à la clarté des Cieux. Voila les veritables fentimens d'un Guerrier tel qu'Ajax. Il ne demande pas la vie; un Heros n'eftoit pas capable de cette bassesse: mais comme il ne void point d'occafion de fignaler fon courage au milieu de l'obfcurité, il fe fâche de ne point combattre : il demande donc en hafte que le jour paroiffe, pour faire au moins une fin digne de fon grand cœur, quand il devroit avoir à combattre Jupiter mefme. En effet Homere en cet endroit eft comme un vent favorable qui feconde l'ardeur des Combattans: car il ne fe remuë pas avec moins de violence, que s'il eftoit épris auffi de fureur.

liv. 15.

Tel que Mars en couroux au milieu des batailles.
Ou comme on void un feu, dans la nuit, & l'horreur,
Au travers des forefts promener fa fureur,

De colere il efcume, &c.

Mais je vous prie de remarquer, pour plufieurs raifons, combien il est affoibli dans fon Odyffée où il

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fait voir en effet que c'eft le propre d'un grand Ef prit, lors qu'il commence à vieillir & à decliner, de fe plaire aux contes & aux fables. Car qu'il ait compofé l'Odiffée depuis l'Iliade, j'en pourrois donner plufieurs preuves. Et premierement il eft certain qu'il y a quantité de chofes dans l'Odyffée qui ne font que la fuite des malheurs qu'on lit dans l'Iliade, & qu'il a transportées dans ce dernier Ouvrage, comme autant d'effets de la guerre de Troie. Ajoûtés que les accidens qui arrivent dans l'Iliade font déplorés fouvent par les Heros de l'Odyffée, comme des malheurs connus & arrivez il y a déja long temps. Et c'eft pourquoy l'Odiffée n'eft à proprement parler que l'Epilogue de l'Iliade.

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des paro

les de Ne

ftor dans rodyffee.

*Là gift le grand Ajax, & l'invincible Achille. Là de fes ans Patrocle a veu borner le cours. Là mon fils, mon cher fils a terminé fes jours. Delà vient à mon avis, que comme Homere a composé fon Iliade durant que fon efprit eftoit en sa plus grande vigueur, tout le corps de fon Ouvrage eft dramatique & plein d'action : au lieu que la meil leure partie de l'Odyffée se paffe en narrations, qui eft le genie de la vieillesse; tellement qu'on le peut comparer dans ce dernier Ouvrage au Soleil quand il fe couche, qui a toûjours fa mesme grandeur, mais qui n'a plus tant d'ardeur ni de force. En effet il ne parle plus du mefme ton: on n'y void plus ce Sublime de l'Iliade qui marche par tout d'un pas egal, fans que jamais il s'arreste, ni se repose. On n'y remarque point cette foule de mouvemens & de paf

fions entaffées les unes fur les autres. Il n'a plus cette mefme force, & s'il faut ainfi parler, cette mefine volubilité de Difcours fi propre pour l'action, & mélée de tant d'images naïves des choses. Nous pouvons dire que c'est le reflus de son esprit qui comme un grand Ocean fe retire & deferte fes rivages. A tout propos il s'égare dans des imaginations & des fables incroiables. Je n'ai pas oublié pourtant les descriptions de Tempeftes qu'il fait, les avantures qui arriverent à Ulyffe chez Polypheme, & quelques autres endroits qui font fans doute fort beaux. Mais cette vieillesse dans Homere, aprés tout, c'est la vieillesse d'Homere: joint qu'en tous ces endroitslà il y a beaucoup plus de fable & de narration que

d'action.

Je me fuis eftendu là deffus, comme j'ai déja dit: afin de vous faire voir que les genies naturellement les plus eflevés tombent quelquefois dans la badinerie, quand la force de leur efprit vient à s'esteindre. Dans ce rang on doit mettre ce qu'il dit du fac où Eole enferma les vents, & des Compagnons d'Uliffe changez par Circé en pourceaux, que Zoile appelle de petits Cochons larmoians. Il en eft de mefme des Colombes qui nourrirent Jupiter, comme un pigeonneau: de la difette d'Ulyffe qui fut dix jours fans manger aprés fon naufrage, & de toutes ces abfurditez qu'il conte du meurtre des Amans de Penelope. Car tout ce qu'on peut dire à l'avantage de ces fictions, c'eft que ce font d'affés beaux fonges, &, fi vous voulez, des songes de Jupiter mesme. Če qui m'a en

core

core obligé à parler de l'Odyffée, c'est pour vous montrer que les grands Poëtes, & les Escrivains celebres, quand leur efprit manque de vigueur pour le Pathetique, s'amufent ordinairement à peindre les mœurs. C'est ce que fait Homere; quand il defcrit la vie que menoient les Amans de Penelope dans la maifon d'Ulyffe. En effet toute cette description eft proprement une espece de Comedie où les differens caracteres des hommes font peints.

V

CHAPITRE VIII.

De la Sublimité qui fe tire des
Circonftances.

OIONS fi nous n'avons point encore quelque autre moien par où nous puiffions rendre un Difcours Sublime. Je dis donc, que comme naturellement rien n'arrive au monde qui ne foit toûjours accompagné de certaines Circonftances, ce fera un fecret infaillible pour arriver au Grand, fi nous fçavons faire à propos le choix des plus confiderables, & fi en les liant bien ensemble, nous en formons comme un corps. Car d'un cofté ce choix, & de l'autre cet amas de Circonftances choifies attachent fortement l'efprit.

Ainfi, quand Sapho veut exprimer les fureurs de l'Amour, elle ramaffe de tous côtez les accidens qui fuivent & qui accompagnent en effet cette paffion: mais

d

oua fon adreffe paroift principalement,

ces

à choifr de tous ces accidens ceux qui marquent davantage l'excez & la violence de l'Amour, & à bien lier tout cela ensemble.

Heureux! qui prés de toi, pour toi feule foûpire:
Qui jouit du plaifir de t'entendre parler :
Qui te void quelquefois doucement lui foûrire.
Les Dieux, dans fon bon-heur peuvent-ils l'égaler?

Je fens de veine en veine une fubtile flamme
Courir par tout mon corps, fi toft que je te vois:
Et dans les doux transports, où s'égare mon ame,
Je ne sçaurois trouver de langue, ni de voix.

Un nuage confus fe répand fur ma veuë,
Je n'entends plus, je tombe en de douces langueurs,
Et pafle, fans haleine, interdite, éperduë,
Un friffon me faifit, je tremble, je me meurs.

Mais quand on n'a plus rien, il faut tout hazarder, &c.

N'admirés vous point comment elle ramasse toutes ces choses, l'ame, le corps, l'ouie, la langue, la veuë, la couleur, comme fi c'eftoient autant de perfonnes differentes & preftes à expirer? Voiez de combien de mouvemens contraires elle eft agitée; elle

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