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foit Sut

quelques defaux, ils ne sçauroient venir que de moi.
Il ne reste plus pour finir cette Préface, que de dire ce
que Longin entend par Sublime. Car comme il efcrit de
cette matiere aprés Cecilius qui avoit presque emploié tout
fon Livre à montrer ce que c'est que sublime, il n'a pas
crûdevoir rebatre une chose qui n'avoit efté déja que trop
discutée par un autre. Il faut donc fçavoir que par Su
blime, Longin n'entend pas ce que les Orateurs appellent le
Stile Sublime: mais cet extraordinaire & ce merveil
leux qui frappe dans le Difcours, & qui fait qu'un
Ouvrage enleve, ravit, transporte. Le Stile Subli
me veut toûjours de grands mots: mais le Sublime fe
peut trouver dans une feule pensée, dans une feule figure,
dans un feul tour de paroles. Une chofe peut eftre dans le
Stile Sublime & n'eftre pourtant pas sublime; c'eft à dire,
n'avoir rien d'extraordinaire ni de furprenant. Par exem-
ple. Le fouverain Arbitre de la Nature d'une feule pa-
role forma la lumiere. Voila qui est dans le Stile Su-
blime: cela n'est pas neanmoins Sublime: parce qu'il n'y
a rien là de fort merveilleux, & qu'un autre ne puft aisé
ment trouver. Mais. Dicu dit: Que la lumiere fe faffe,
& la lumiere fe-fit. Ce tour extraordinaire d'expreffion
qui marque fi bien l'obeiffance de la Creature aux ordres
du Createur eft veritablement Sublime ) a quelque
chofe de divin. Il faut donc entendre par Sublime dans
Longin, l'Extraordinaire, le Surprenant & comme je
l'ay traduit, le Merveilleux dans le Discours.

TRAITE'

TRAITE

DU

SUBLIME

OU

DU MERVEILLEUX

DANS LE DISCOURS

Traduit du Grec de Longin.

CHAPITRE

PREMIER.

Servant de Preface à tout l'Ouvrage.

OUS fçavez bien, mon cher Terentianus, que quand nous leufies enfemble le petit Traité que Cecilius a fait du Sublime; nous trouvafmes que la baffeffe de fon ftile répondoit affez mal à la dignité de son Sujet : que les principaux points de cette matiere n'y eftoient pas touchés, & qu'en

A

un mot cet Ouvrage ne pouvoit pas apporter un grand profit aux Lecteurs, qui eft nean-moins le but où doit tendre tout homme qui veut écrire. D'ailleurs, quand on traite d'un Art, il y a deux choses à quoi il fe faut toûjours estudier. La premiere eft, de bien faire entendre fon Sujet. La feconde, que je tiens au fonds la principale, consiste à montrer comment & par quels moiens ce que nous enfeignons fe peut acquerir. Ĉecilius s'est fort attaché à l'une de ces deux chofes: car il s'efforce de montrer par une infinité de paroles, ce que c'eft que le Grand & le Sublime, comme fi c'eftoit un point fort ignoré mais il ne dit rien des moiens qui peuvent porter l'efprit à ce Grand & à ce Sublime. Il passe cela, je ne fçai pourquoy, comme une chofe abfolument inutile. Après tout, cet Auteur peut-eftre n'eft-il pas tant à reprendre pour fes fautes, qu'à louer pour fon travail, & pour le deffein qu'il a eu de bien faire. Toutefois, puifque vous voulés que j'écrive auffi du Sublime, voions, pour l'amour de vous, fi nous n'avons point fait fur cette matiere quelque obfervation raisonnable, & dont les Orateurs puiffent tirer quelque forte d'utilité.

Mais c'eft à la charge, mon cher Terentianus, que nous reverrons enfemble exactement mon ouvrage, & que vous m'en direz vostre sentiment avec cette fincerité que nous devons naturellement à nos *Pytha amnis. Car, comme un * Sage dit fort bien: fi nous avons quelque voye pour nous rendre femblables aux Dieux, c'eft de faire plaifir & de dire la verité.

gore.

Au refte, comme c'eft à vous que j'escris, c'est à

dire à un homme inftruit de toutes les belles connoif sances, je ne m'arresteray point fur beaucoup de choses qu'il m'euft falu eftablir avant que d'entrer en matiere, pour montrer que/le Sublime eft en effet ce qui forme l'excellence & la fouveraine perfection du Difcours:que c'eft par lui que les grands Poëtes & les Efcrivains les plus fameux ont remporté le prix, & rempli toute la pofterité du bruit de leur gloire.

Car il ne perfuade pas proprement, mais il ravit, il tranfporte, & produit en nous une certaine admiration mellée d'eftonnement & de furprise, qui eft toute autre chofe que de plaire feulement, ou de perfuader. Nous pouvons dire à l'égard de la Perfuafion, que pour l'ordinaire, elle n'a fur nous qu'autant de puiffance que nous voulons. Il n'en eft pas ainfi du Sublime : il donne au Discours une certaine vigueur noble, une force invincible qui enleve l'ame de quiconque nous écoute. Il ne fuffit pas d'un endroit ou deux dans un Ouvrage, pour vous faire remarquer la fineffe de l' Invention, la beauté de l'Oeconomie & de la Difpofition: C'eft avec peine que cette justesse se fait remarquer par toute la suite mesme du Discours. Mais quand le Sublime vient à paroiftre où il faut ; il renverfe tout comme un foudre, & prefente d'abord toutes les forces de l'Orateur ramaffées enfemble. Mais ce que je dis ici, & tout ce que je pourrois dire de semblable seroit fort inutile pour vous, qui fçavez ces choses par experience, & qui m'en feriez au befoin à moi-mefme des leçons.

CHAPITRE II.

Sil y a un Art particulier du Sublime, & des trois Vices qui lui Sont opposez

L faut voir d'abord, s'il y a un Art particulier du Sublime. Car il fe trouve des gens qui s'ima ginent, que c'est une erreur de le vouloir reduire en Art, & d'en donner des preceptes. Le Sublime, difent-ils, naift avec nous, & ne s'apprend point. Le feul Art pour y parvenir, c'eft d'y eltre né. Et mesmes, à ce qu'ils pretendent, il y a des Ouvrages que la Nature doit produire toute feule. La contrainte des preceptes ne fait que les affoiblir, & leur donner une certaine fecheresse qui les rend maigres & décharnés. Mais je foûtiens, qu'à bien prendre les chofes, on verra clairement tout le contraire.

Et à dire vray, quoi que la Nature ne se montre jamais plus libre que dans les Difcours Sublimes & Pathetiques, il eft pourtant aifé de reconnoistre qu'elle n'eft pas abfolument ennemie de l'Art & des regles. J'avoue que dans toutes nos productions il la faut toûjours fuppofer comme la baze, le principe, & le premier fondement. Mais auffi eft-il certain que nôtre esprit a besoin d'une methode pour lui enseigner à ne dire que ce qu'il faut, & à le dire en fon lieu, & que cette methode peut beaucoup contribuer pour

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