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Delà nous tend les bras, & bien-toft fans effort
Syracufe reçoit nos vaiffeaux dans fon port.
En demeurés-vous là? Dés que nous l'aurons prife,
Il ne faut qu'un bon vent & Carthage eft conquife:
Les chemins font ouverts: qui peut nous arrester?
Je vous entens, Seigneur, nous allons tout dompter:
Nous allons traverser les fables de Lybie ;
Affervir en paffant l'Egypte, l'Arabie ;

Courir delà le Gange en de nouveaux païs ;
Faire trembler le Scythe aux bords du Tanaïs ;
Et ranger fous nos loix tout ce vafte Hemisphere:
Mais de retour enfin, que pretendez-vous faire?
Alors, cher Cineas, victorieux, contens,
Nous pourrons rire à l'aise, & prendre du bon temps.
Hé, Seigneur, dés ce jour, fans fortir de l'Epire,
Du matin jufqu'au foir qui vous défend de rire?
Le confeil eftoit fage & facile à goufter:
Pyrrhus vivoit heureux, s'il euft pú l'écouter;
Mais à l'Ambition d'oppofer la Prudence,
C'eft aux Prelats de Cour prefcher la refidence.
Ce n'est pas que mon cœur du travail ennemi
Approuve un Faineant fur le throne endormi.
Mais quelques vains lauriers que promette la guerre,
On peut eftre Heros fans ravager la Terre.
Il est plus d'une gloire. En vain aux Conquerans
L'erreur parmi les Rois donne les premiers rangs :
Entre les grands Heros ce font les plus vulgaires.
Chaque Siecle eft fecond en heureux temeraires.
Chaque climat produit des Favoris de Mars.
La Seine a des Bourbons: le Tibre a des Cefars.

On

On a veu mille fois des fanges Maotides

Sortir des Conquerans, Goths, Vandales, Gepides.
Mais un Roi vraiment Roi, qui fage en fes projets,
Scache en un calme heureux maintenir fes Sujets,
Qui du bon-heur public ait cimenté fa gloire,
Il faut, pour le trouver, courir toute l'Hiftoire.
La Terre compte peu de ces Rois bienfaifans.
Le Ciel à les former fe prepare long-temps.
Tel fut cét Empereur, fous qui Rome adorée
Vid renaiftre les jours de Saturne & de Rhée :
Qui rendit de fon joug l'Univers amoureux :
Qu'on n'alla jamais voir fans revenir heureux :
Qui foûpiroit le foir, fi fa main fortunée
N'avoit par fes bien-faits fignalé la journée.
Le cours ne fut pas long d'un empire fi doux.
Mais, où cherchai-je ailleurs ce qu'on trouve chez-nous?
GRAND ROI, fans recourir aux histoires antiques,
Ne T'avons-nous pas veu dans les plaines Belgiques,
Quand l'Ennemi vaincu defertant fes ramparts,
Au devant de ton joug couroit de toutes parts,
Toi mefme te borner au fort de ta victoire,
Et chercher dans la Paix une plus jufte gloire ?
Ce font là les exploits que tu dois avoüer:
Et c'est par-là, GRAND ROI, que je te veux loüer.
Affez d'autres, fans moi, d'un fiile moins timide,
Suivront aux champs de Mars ton courage rapide:
Iront de ta valeur effraier l'Univers,

Et camper devant Dôle au milieu des Hyvers.
Pour moi loin des combats, fur un ton moins terrible,
Je dirai les exploits de ton regne paisible.

L

Fe peindrai les plaifirs en foule renaissans :
Les Oppreffeurs du Peuple à leur tour gemiffans.
On verra par quels foins ta fage prévoiance
Au fort de la famine entretint l'abondance.
On verra les abus par ta main reformés ;
La Licence & l'Orgueil en tous lieux reprimés:
Du debris des Traitans ton efpargne grossie:
Des fubfides affreux la rigueur adoucie:
Le Soldat dans la paix Sage & laborieux :
Nos Artifans groffiers rendus induftrieux ;
Et nos Voifins fruftrés de ces tributs ferviles,
Que payoit à leur art le luxe de nos villes.
O que j'aime à les voir, de ta gloire troublés,
Se priver follement du fecours de nos blés!
Tandis que nos vaiffeaux par tout maistres des ondes;
Vont enlever pour nous les trésors des deux Mondes.
Tantoft je tracerai tes pompeux baftimens,
Du laifir d'un Heros nobles amusemens.
F'entens déja fremir les deux mers eftonnées,
De voir leurs flots unis au pié des Pyrenées.
Déja de tous coftez la Chicane aux abois
S'enfuit au feul afpect de tes nouvelles lois.
O que ta main par Là va fauver de Pupilles!
Que de fçavans Plaideurs deformais inutiles !
Qui ne fent point l'effet de tes foins genereux ?
L'Univers fous ton regne a-t-il des mal-heureux?
Eft-il quelque Vertu dans les glaces de l'Ourse,
Ni dans ces lieux brûlés où le jour prend fa fource,
Dont la trifte Indigence ofe encor approcher,
Et qu'en foule tes dons d'abord n'aillent chercher?

C'est par Toi qu'on va voir les Mufes enrichies,
De leur longue difette à jamais affranchies.
GRAND ROI, pourfuy toûjours, affeure leur repos.
Sans elles un Heros n'eft pas long-temps Heros :
Bien-tost quoi qu'il ait fait, la Mort d'une ombre noire
Enveloppe avec luyfon nom & fon histoire.
En vain pour s'exempter de l'oubli du cercueil,
Achille mit vingt fois tout Ilion en deuil.
En vain malgré les vents aux bords de l'Hefperie
Enée enfin porta fes Dieux & fa Patrie:
Sans le fecours des vers, leurs noms tant publiés
Seroient depuis mille ans avec eux oubliés.
Non, à quelques hauts faits que ton destin T'appelle,
Sans le fecours foigneux d'une Mufe fidelle,
Pour T'immortalifer, Tu fais de vains efforts.
Apollon Te la doit: ouvre lui tes trefors.
En Poëtes fameux rens nos climats fertiles.
Un Auguste aisément peut faire des Virgiles.
Que d'illuftres témoins de ta vafte bonté,
Vont pour toi déposer à la Pofterité!

Pour moi qui fur ton nom, déja brûlant d'écrire
Sens au bout de ma plume expirer la Satyre,
Je n'ofe de mes vers vanter ici le prix.
Toutefois, fi quelqu'un de mes foibles Efcrits
Des ans injurieux peut éviter l'outrage,
Peut-eftre pour ta gloire aura-t-il fon usage:
Et comme tes exploits étonnant les Lecteurs
Seront à peine creus fur la foi des Auteurs ;
Si quelque Esprit malin les veut traiter de fables,
On dira quelque jour pour les rendre croiables:

B***

qui dans fes vers pleins de fincerité Fadis à tout fon fiecle a dit la verité; Qui mit à tout blâmer fon étude & fa gloire; A pourtant de ce Roi parlé comme l'Histoire.

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