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grin bizarre de certains Auteurs, qui au lieu de se divertir d'une querelle du Parnaffe, dont ils pouvoient eftre fpectateurs indifferens, ont mieux aimé prendre parti, & s'affliger avec les Ridicules, que de se réjouir avec les honneftes gens. C'eft pour les confoler que j'ay compofé la Satire précedente, où je penfe avoir montré affez clairement, que fans bleffer l'Estat ni fa conscience, on peut trouver de méchans vers, méchans, & s'ennuier de plein droit à la lecture d'un fot Livre. Mais, puifque ces Meffieurs ont parlé de la liberté que je me fuis donnée de nommer, comme d'un attentat inoüi & fans exemple, & que des exemples ne fe peuvent pas mettre en rimes; il est bon d'en dire ici un mot, pour les inftruire d'une chofe qu'eux feuls veulent ignorer, & leur faire voir, qu'en comparaifon de tous mes Confreres les Satiriques j'ai efté un Poëte fort retenu.

Et pour commencer par Lucilius Satirique premier du nom; quelle liberté, ou plûtoft quelle licence, ne s'eft-il point donnée dans fes Ouvrages? Ce n'étoit pas feulement des Poëtes & des Auteurs qu'il attaquoit: c'eftoit des gens de la premiere qualité de Rome: c'eftoit des perfonnes confulaires. Cependant Scipion & Lælius ne jugerent pas ce Poëte, tout déterminé Rieur qu'il eftoit, indigne de leur amitié, & vraisemblablement dans les occafions ils ne lui refuferent pas leurs conseils fur ses efcrits non plus qu'à Terence: ils ne s'aviferent point de prendre le parti de Lupus & de Metellus, qu'il avoit jouez dans fes Satires, & ils ne creurent pas luy donner

rien du leur, en lui abandonnant tous les Ridicules

de la Republique.

num Lælius, aut qui

Duxit ab oppreffå meritum Carthagine nomen
Ingenio offenfi, aut lefo doluere Metello,
Famofifve Lupo cooperto verfibus?

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En effet Lucilius n'épargnoit ni petits ni grands, & fouvent des Nobles & des Patriciens, il defcendoit jusqu'à la lie du peuple,

Primores populi arripuit, populumque tributim.

On me dira que Lucilius vivoit dans une Republique, où ces fortes de libertez peuvent estre perinises. Voions donc Horace qui vivoit fous un Empereur dans les commencemens d'une Monarchie, où il eft bien plus dangereux de rire qu'en un autre temps. Qui ne nomine-t-il point dans fes Satires? & Fabius le grand causeur, & Tigellius le Fantasque, & Nasidienus le ridicule, & Tanaïs le chaftré, & tout ce qui vient au bout de fa plume. On me répondra que ce font des noms fuppofez. O la belle réponse: comme fi ceux qu'il attaque n'eftoient pas des gens connus d'ailleurs : comme fi l'on ne fçavoit pas que Fabius eftoit un Chevalier Romain qui avoit compofé un Livre de droit que Tigellius fut en fon temps un Muficien cheri d'Augufte: que Nafidienus Rufus eftoit un ridicule celebre dans Rome: que Tanaïs eftoit un affranchi de Mecenas. Certainement il faut que ceux qui parlent de la forte n'ayent pas fort leu les Anciens, ne foient pas fort inftruits des affaires de la Cour d'Augufte. Horace ne fe contente pas d'appeller les

&

gens par leur nom: il a fi peur qu'on ne les mécon noiffe, qu'il a foin de rapporter jufqu'à leur furnom, jufqu'au métier qu'ils faifoient, jufqu'aux charges qu'ils avoient exercées. Voiez, par exemple, comme il parle d'Aufidius Lufcus Preteur de Fondi : Fundos Aufido Lufco Pratore libenter Linquimus, infani ridentes pramia Scribæ, Pratextam & latum clavum, &c.

Nous abandonnafmes, dit-il, avec joye, le Bourg de Fondi, dont eftoit Preteur un certain Aufidius Lufcus: mais ce ne fut pas fans avoir bien ri de la folie de ce Preteur, auparavant Commis, qui faifoit le Senateur

l'homme de qualité. Peut-on désigner un homme plus précisement, & les circonstances feules ne fuffifoient-elles pas pour le faire reconnoistre ? On me dira peut-eftre, qu'Aufidius eftoit mort alors: Mais Horace parle là d'un voiage fait depuis peu. Et puis comment mes Cenfeurs répondront-ils à cet autre paffage ?

Turgidus Alpinus jugulat dum Memnona, dumque
Diffingit Rheni luteum caput : hac ego ludo.

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Pendant, dit Horace, que ce Poëte enflé d' Alpinus égorge Memnon dans fon Poëme, & s'embourbe dans la defcription du Rhin, je me joue en ces Satires. Alpinus vivoit donc du temps qu'Horace fe joüoit en ces Satires; & fi Alpinus, en cet endroit, eft un nom fuppofé, l'Auteur du Poëme de Memnon pouvoit-il s'y méconnoiftre ? Horace, dira-t-on, vivoit fous le regne du plus doux de tous les Empereurs: Mais vivons-nous fous un regne moins doux ? Et veut-on

qu'un

qu'un Prince qui a tant de qualitez communes avec Augufte, foit moins dégoûté que lui des méchans Livres, & plus rigoureux envers ceux qui les blâment? Examinons pourtant Perfe, qui écrivoit fous le regne de Neron. Il ne raille pas fimplement les Ouvrages des Poëtes de fon temps : il attaque les vers de Neron mefme. Car enfin tout le monde fçait & toute la Cour de Neron le fçavoit, que ces quatre vers Torva Mimalloneis, &c. dont Perfe fait une raillerie fi amere dans fa premiere Satire, eftoient des vers de Neron. Cependant on ne remarque point que Neron, tout Neron qu'il eftoit, ait fait punir Perse; & ce Tyran ennemi de la raison, & amoureux, comme on fçait, de fes Ouvrages, fut assez galant homme pour entendre raillerie fur fes vers & ne creut pas que l'Empereur, en cette occafion, deuft prendre les interefts du

Poëte.

Pour Juvenal qui florissoit sous Trajan : il est un peu plus refpectueux envers les grands Seigneurs de fon siecle. Îl se contente de répandre l'amertume de ses Satires, fur ceux du regne precedent: mais à l'égard des Auteurs, il ne les va point chercher hors de fon fiecle. A peine eft-il entré en matiere, que le voilà en mauvaise humeur contre tous les Efcrivains de fon temps. Demandez à Juvenal ce qui l'oblige de dre la plume. C'eft qu'il eft las d'entendre & la Thezeide de Codrus, & l'Orefte de celui-ci, & le Telephe de cet autre, & tous les Poëtes enfin, comme il dit ailleurs, qui recitoient leurs vers au mois d'Aoust, Augufto recitantes menfe Poëtas. Tant il eft vrai que le

K

pren

droit de blâmer les Auteurs eft un droit ancien, paffé en coûtume parmi tous les Satiriques, & fouffert dans tous les ficcles. Que s'il faut venir des anciens aux modernes, Regnier qui eft prefque noftre feul Poëte Satirique, a efté veritablement un peu plus discret que les autres. Cela n'empefche pas neanmoins qu'il ne parle hardiment de Gallet ce celebre joueur qui affignoit fes Creanciers fur fept & quatorze, & du fieur de Provins qui avoit changé fon balandran en manteau court, & du Coufin qui abandonnoit fa maison de peur de la reparer, & de Pierre du Puys, & de plufieurs autres.

peu

Que répondront à cela ines Cenfeurs ? Pour qu'on les preffe, ils chafferont de la Republique des Lettres tous les Poëtes Satiriques, comme autant de perturbateurs du repos public. Mais que diront-ils de Virgile, le fage, le difcret Virgile, qui dans une Eglogue, où il n'eft pas queftion de Satire, tourne d'un feul vers deux Poëtes de fon temps en ridicule ?

Qui Bavium non odit, amet tua carmina Mavi : dit un Berger Satirique dans cette Eglogue. Et qu'on ne me dife point que Bavius & Mævius en cet endroit font des noms fuppofez; puifque ce feroit donner un trop cruel démenti au docte Servius qui affeure positivement le contraire. En un mot, qu'ordonneront mes Cenfeurs de Catulle, de Martial, & de tous les Poëtes de l'antiquité, qui n'en ont pas ufé avec plus de difcretion que Virgile? Que penferont-ils de Voiture, qui n'a point fait confcience de rire aux dépens du celebre Neuf-Germain, quoi qu'également recommandable par l'antiquité de sa barbe, & par la nou

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