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que dans le deffein de la donner au Public. Mais j'ay creu qu'on ne feroit pas fâché de la voir ici à la fuite de la Poetique, avec laquelle ce Traité a quelque rapport, & où j'ay mefme inferé plufieurs préceptes qui en font tirés. J'avois dessein d'y joindre auffi quelques Dialogues en profeque j'ay compofez: mais des confiderations particulieres m'en ont empefché. J'efpere en donner quelque jour un volume à part. Voilà tout ce que j'ai à dire au Lecteur. Encore ne fçai-je fi je ne lui en ay point déja trop dit; & fi en ce peu de paroles je ne fuis point tombé dans le defaut que je voulois éviter.

DISCOURS

DISCOURS

AURO I

EUNE) vaillant Heros, dont la haute

Sageffe

N'eft point le fruit tardif d'une lente vieilleffe.

Et qui feul, fans Miniftre, à l'exemple des Dieux,

Soutiens tout par Toi-même & vois tout par tes yeux. GRAND RO1, fi jufqu'ici, par un trait de prudence,

Fay demeuré pour Toi dans un humble filence;
Ce n'eft pas que mon cœur vainement fuspendu
Balance pour t'offrir un encens qui t'est dû.
Mais je fçai peu louer, & ma Mufe tremblante
Fuit d'un fi grand fardeau la charge trop pesante;
Et de fi bauts exploits mal-propre à difcourir,
Touchant à tes lauriers craindroit de les fleftrir.
Ainfi, fans m'aveugler d'une vaine manie,
Je mesure mon val à mon foible genie;

A

Plus fage en mon respect, que ces hardis Mortels
Qui d'un indigne encens profanent tes Autels;
Qui dans ce champ d'honneur, où le gain les ameine,
Ofent chanter ton Nom fans force ) fans baleine,
Et qui vont tous les jours, d'une importune voix,
T'ennuyer du recit de tes propres Exploits.

L'un en ftile pompeux habillant une Eglogue,
De fes rares vertus Te fait un long prologue,
Et mefle, en fe vantant foi-mefme à tout propos,
Les louanges d'un Fat à celles d'un Heros.

L'autre en vain fe laffant à polir une rime,
Et reprenant vingt fois le rabot & la lime,
Grand & nouvel effort d'un Esprit fans pareil!
Dans la fin d'un Sonnet, te compare au Soleil.
Sur le haut Helicon leur veine méprisée,
Fut toûjours des neuf Sœurs la fable & la rifée:
Calliope jamais ne daigna leur parler,
Et Pegafe pour eux refufe de voler.

Cependant à les voir enflez de tant d'audace,
Te promettre en leur nom les faveurs du Parnasse ;
On diroit qu'ils ont feuls l'oreille d'Apollon,
Qu'ils disposent de tout dans le facré Vallon.
C'est à leurs doctes mains, fi l'on veut les en croire,
Que Phebus a commis tout le foin de ta gloire:
Et ton Nom du Midi jusqu'à l'Ourse vanté,
Ne devra qu'à leurs vers fon immortalité.
Mais plutoft fans ce Nom, dont la vive lumiere
Donne un luftre éclatant à leur veine groffiere:
Ils verroient leurs écrits honte de l'Univers,
Pourir dans la pouffiere à la merci des vers.

A l'ombre de ton Nom ils trouvent leur azile,
Comme on void dans les champs un arbrisseau debile
Qui fans l'heureux appui qui le tient attaché,
Languiroit triftement fur la terre couché.

Ce n'eft pas que ma plume injuste & temeraire,
Veuille blamer en eux le deffein de Te plaire.
Et parmi tant d'Auteurs, je veux bien l'avouer,
Apollon en connoift qui Te peuvent loüer.”
Oui je sçai, qu'entre ceux qui t'adreffent leurs veilles,
Parmi les Pelletiers on compte des Corneilles;
Mais je ne puis fouffrir, qu'un Esprit de travers
Qui pour rimer des mots pense faire des vers,
Se donne en Te loüant une gefne inutile.

Pour chanter un Augufte, il faut eftre un Virgile:
Et j'approuve les foins du Monarque guerrier,
Qui ne pouvoit fouffrir, qu'un Artisan groffier
Entreprift de tracer d'une main criminelle,
Un portrait refervé pour le pinceau d'Apelle.

Moi donc, qui connois peù Phebus & fes douceurs:
Qui fuis nouveau sevré fur le Mont des neuf Sœurs :
Attendant que pour Toi l'âge ait meuri ma Muse,
Sur de moindres fujets je l'exerce ) l'amuse:
Et tandis que ton bras des peuples redouté,
Va la foudre à la main rétablir l'Equité,
Et retient les Méchans par la peur des fupplices;
Moi, la plume à la main, je gourmande les Vices,
Et gardant pour moi-mefme une jufte rigueur,
Je confie au papier les fecrets de mon cœur.
Ainfi, dés qu'une fois ma verve fe réveille:
Comme on void au printemps la diligente Abeille,

Qui du butin des fleurs va compofer fon miel;
Des fottifes du temps je compofe mon fiel.

Je vais de toutes parts où me guide ma veine,
Sans tenir en marchant une route certaine,
Et fans gefner ma plume en ce libre métier,
Je la laiffe au hazard courir fur le papier.

Le mal eft qu'en rimant, ma Mufe un peu legere
Nomme partout son nom, t) ne sçauroit rien taire.
C'est là ce qui fait peur aux efprits de ce temps,
Qui tout blancs au dehors, font tout noirs au dedans.
Ils tremblent qu'un Cenfeur, que fa verve encourage,
Ne vienne en fes Ecrits démafquer leur visage,
Et fouillant dans leurs mœurs en toute liberté,
N'aille du fond du Puits tirer la verité.
Tous ces gens éperdus au feul nom de Satire,
Font d'abord le procés à quiconque ofe rire.
Ce font eux que l'on voit, d'un difcours infenfé,
Publier dans Paris que tout eft renversé ;

Au moindre bruit qui court, qu'un Auteur les menice,
De jouer des Bigots la trompeuse grimace.

Pour eux un tel Ouvrage est un monftre odieux;
C'eft offenfer les loix, c'est s'attaquer aux Cieux:
Mais bien que d'un faux zele ils mafquent leur foibleffe,
Chacun voit qu'en effet la Verité les bleffe.
En vain d'un lâche orgueil leur efprit revestu
Se couvre du manteau d'une austere vertu:
Leur cœur qui fe connoist, & qui fuit la lumiere,
S'il fe mocque de Dieu, craint Tartuffe & Moliere.
Mais pourquoy fur ce point fans raison m'écarter?
GRAND ROI, c'est mon defaut, je ne sçaurois flater.

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