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Et reparant du fort l'aveuglement fatal,
Va tirer deformais Phebus de l'Hospital.
On doit tout efperer d'un Monarque fi juste.
Mais fans un Mecenas, à quoi sert un Auguste?
Et fait comme je fuis, au fiecle d'aujourd'hui,
Qui voudra s'abaiffer à me fervir d'appui ?
Et puis, comment percer cette foule effroyable
De Rimeurs affamez dont le nombre l'accable?
Qui, dés que fa main s'ouvre y courent les premiers,
Et raviffent un bien qu'on devoit aux derniers.
Comme on voit les Frelons, troupe lâche ) sterile,
Aller piller le miel que l' Abeille distile.
Ceffons donc d'aspirer à ce prix tant vanté,
Que donne la faveur à l'importunité.

Saint Amand n'eut du Ciel que fa veine en partage:
L'habit, qu'il eut fur lui, fut son seul heritage:
Un lit & deux placets compofoient tout son bien :
Ou, pour en mieux parler, Saint Amand n'avoit rien.
Mais quoi, las de traifner une vie importune
Il engagea ce rien, pour chercher la Fortune:
Et tout chargé de vers qu'il devoit mettre au jour,
Conduit d'un vain espoir il parut à la Cour.
Qu'arriva-t-il enfin de fa Muse abusée?
Il en revint couvert de honte ) de rifée,
Et la fièvre au retour terminant fon deftin,
Fit par avance en lui ce qu'auroit fait la faim.
Un Poëte à la Cour fut jadis à la mode :
Mais des Fous aujourd'hui, c'est le plus incommode:
Et l'esprit le plus beau, l'Auteur le plus poli,
N'y parviendra jamais au fort de l' Angeli.

Faut-il donc deformais jouer un nouveau rôle? Dois-je, las d'Apollon, recourir à Bartole, Et feuilletant Louet allongé par Brodeau D'une robe à longs plis balayer le Barreau? Mais à ce feul penfer, je fens que je m'égare. Moi? que j'aille crier dans ce pais barbare, Où l'on voit tous les jours l'innocence aux abois Errer dans les détours d'un Dedale de loix, Et dans l'amas confus des chicanes énormes, Ce qui fut blanc au fond rendu noir par les formes. Où Patru gagne moins qu'Vot & le Mazier; Et dont les Cicerons fe font chez Péfournier. Avant qu'un tel deffein m'entre dans la pensée, On pourra voir la Seine à la Saint Jean glacée, Arnaud à Charenton devenir Huguenot, Saint Sorlin Fanfenifte, & Saint Pavin devot. Quittons donc pour jamais une Ville importune, Où l'Honneur est en guerre avecque la Fortune: Où le Vice orgueilleux s'érige en Souverain, Et va la mitre en tefte et la crosse à la main: Où la Science trifte, affreuse, & delaiffee, Eft par tout des bons lieux comme infame chaffée : Où le feul art en vogue, eft l'art de bien voler: Où tout me choque: enfin où je n'ofe parler.

Et quel homme fi froid ne feroit plein de bile, A l'afpect odieux des mœurs de cette Ville? Qui pourroit les fouffrir: & qui, pour les blafmer, Malgré Mufe & Phebus n'apprendoit à rimer? Non, non, fur ce fujet, pour écrire avec grace, Il ne faut point monter au sommet du Parnaffe:

Et fans aller réver dans le double Vallon,
La colere fuffit, & vaut un Apollon.

Mais quoi, dira quelqu'un, vous entrez en furie:
A quoi bon ces grands mots? Doucement je vous prie;
Ou bien montez en chaire, et là comme un Docteur,
Allez de vos fermons endormir l' Auditeur ;
C'est là que bien ou mal, on a droit de tout dire.
Ainfi parle un esprit qu'irrite la Satire,
Qui contre fes defauts croit eftre en feureté,
En raillant d'un Cenfeur la triste aufterité:
Qui fait l'homme intrepide, & tremblant de foibleffe,
Attend pour croire en Dieu que la fiévre le preffe;
Et riant hors de là du fentiment commun,
Prefche que trois font trois, & ne font jamais Un.
Car enfin de penfer qu'un Dieu tourne le monde,
Et regle les refforts de la machine ronde,
Ou qu'il eft une vie au delà du trépas,

C'est là ce qu'il faut croire, et ce qu'il ne croit pas.

Pour moi qui fuis plus fimple, & que l'enfer étonne, Qui crois l'ame immortelle, que c'eft Dieu qui tonne: Il vaut mieux, pour jamais me bannir de ce lieu. Je me retive donc. Adieu, Paris, Adieu.

SATIRE II

A M. MOLIERE.

ARE & fameux Esprit dont la fertile

veine

Ignore en écrivant le travail & la peine;

Pour qui ftient Apollon tous fes threfors

ouverts,

Et qui fçais à quel coin fe marquent les bons vers.
Dans les combats d'esprit, fçavant Maistre d'efcrime,
Enfeigne moi, Moliere, où tu trouves la Rime

On diroit, quand tu veux, qu'elle te vient chercher :
Famais au bout du vers on ne te voit broncher;
Et fans qu'un long détour t'arrefte, ou t'embarrasse,
A peine as tu parlé, qu'elle même s'y place.
Mais moi qu'un vain caprice, une bizarre humeur,
Pour mes pechez, je croi, fit devenir Rimeur :
Dans ce rude métier, où mon esprit se tuë,
En vain pour la trouver, je travaille, & je fuë.
Souvent j'ai beau réver du matin jusqu'au soir :
Quand je veux dire blanc, la quinteuse dit noir:
Si je veux d'un Galant dépeindre la figure,
Ma plume pour rimer trouve l'Abbé de Pate:
Si je pense exprimer un Auteur fans defaut,
La raifon dit Virgile, et la rime Quinaut.

Biij

Enfin quoi que je faffe, ou que je veüille faire,
La bizarre toûjours vient m'offrir le contraire.
De rage quelquefois ne pouvant la trouver,
Trifte, las, & confus, je ceffe d'y réver :
Et maudissant vingt fois le Demon qui m'inspire,
Je fais mille fermens de ne jamais écrire:

Mais quand j'ay bien maudit & Mufes & Phebus,
Fe la voi qui paroist, quand je n'y pense plus.
Auffi-tost, malgré moi, tout mon feu fe rallume:
Je reprends fur le champ le papier & la plume,
Et de mes vains fermens perdant le fouvenir,
F'attens de vers en vers qu'elle daigne venir.
Encor, fi pour rimer, dans fa verve indifcrette,
Ma Mufe au moins fouffroit une froide epithete:
Fe ferois comme un autre ; & fans chercher fi loin,
F'aurois toujours des mots, pour les coudre au besoin.
Si je louois Philis, En miracles feconde;
Je trouverois bientost, A nulle autre seconde.
Si je voulois vanter un objet Nompareil;
Je mettrois à l'inftant, Plus beau que le Soleil.
Enfin parlant toûjours d'Aftres & de Merveilles,
De Chef-d'œuvres des Cieux, de Beautez fans pareilles,
Avec tous ces beaux mots fouvent mis au hazard,
Je pourrois aifement, fans genie, & fans art,
Et transpofant cent fois & le Nom & le Verbe,
Dans mes vers recoufus mettre en pieces Malherbe :
Mais mon esprit tremblant fur le choix de fes mots,'
N'en dira jamais un, s'il ne tombe à
Et ne sçauroit fouffrir, qu'une phrafe infipide
propos :
Vienne à la fin d'un vers remplir la place vuide:

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