Page images
PDF
EPUB

Evitons ces excez: laiffons à l'Italie
De tous ces faux brillans l'éclatante folie.
Tout doit tendre au Bon fens, mais pour y parvenir
Le chemin est gliffant ) penible à tenir:
Pour peu qu'on s'en écarte, auffi-toft on fe noye.
La raison pour marcher n'a fouvent qu'une voye.
Un Auteur quelquefois trop plein de fon objet
Jamais fans l'épuifer n'abandonne un sujet:
S'il rencontre un Palais, il m'en dépeint la face :
Il me proméne aprés de terraße en terraffe:
Ici s'offre un perron, là regne un corridor,
Là ce balcon s'enferme en un baluftre d'or:
Il compte des plafonds les ronds ) les ovales:
Ce ne font que Feftons, ce ne font qu'Aftragales:
Je faute vingt feuillets pour en trouver la fin,
Et je me fauve à peine au travers du jardin.
Fuiés de ces Auteurs l'abondance fterile,
Et ne vous chargez point d'un détail inutile.
Tout ce qu'on dit de trop est fade rebuttant:
L'esprit rassazié le rejette à l'instant:

Qui ne fçait fe borner, ne fçut jamais écrire.

Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire.
Un vers eftoit trop foible, & vous le rendez dur.
F'évite d'eftre long, & je deviens obfcur.

L'un n'eft point trop fardé, mais fa Muse est trop nuë.
L'autre a peur de ramper, il se perd dans la nuë.
Voulés-vous du Public meriter les amours?
Sans ceffe en écrivant variés vos difcours.
Un ftile trop égal & toûjours uniforme,

En vain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endorme..

[ocr errors]

Vers de
Scuderi.

On lit peu ces Auteurs nés pour nous ennuier
Qui toûjours fur un ton femblent pfalmodier.
Heureux! qui dans fes vers fçait d'une voix legere
Paßer du grave au doux, du plaisant au severe.
Son livre aimé du Ciel ) cheri des Lecteurs,
Eft fouvent chez Barbin entouré d'achepteurs.
Quoi que vous escriviés, évitez la baffeffe.
Le ftile le moins noble a pourtant sa noblesse.
Au mépris du Bon fens, le Burlesque effronté
Trompa les yeux d'abord, pleut par fa nouveauté.
sa
On ne vid plus en vers que pointes triviales :
Le Parnaffe parla le langage des Hales.
La licence à rimer alors n'eut plus de frein:
Apollon travesti devint un Tabarin:
Cette contagion infecta les Provinces,

Du Clerc & du Bourgeois paßa jufques aux Princes:
Le plus mauvais Plaifant eut fes approbateurs,
Et, jufqu'à Daffouci, tout trouva des Lecteurs.
Mais de ce ftile enfin la Cour defabufee,
Dédaigna de ces vers l'extravagance aisée,
Distingua le naïf, du plat &) du bouffon
Et laiffa la Province admirer le Typhon.
Que ce ftile jamais ne foüille vostre ouvrage.
Imitons de Marot l'elegant badinage,

Et laiffons le Burlesque aux Plaisans du Pont neuf.
Mais n'allez point auffi, fur les pas de Brebeuf,
Mefme en une Pharfale, entaffer fur les rives,
Vers de De morts & de mourans cent montagnes plaintives.
Prenés mieux vostre ton: Soiés fimple avec art:
Sublime fans orgueil: agreable fans fard.

Brebeuf.

N'offrés rien au Lecteur que ce qui peut lui plaire. Ayés pour la cadence une oreille fevere:

Que toûjours dans vos vers, le fens coupant les mots,
Sufpende l'hemiftiche, en marque le repos.

Gardés qu'une voyele à courir trop hastée,
Ne foit d'une voyele en fon chemin heurtée.
Il est un heureux choix de mots harmonieux:
Fuiés des mauvais fons le concours odieux.
Le Vers le mieux rempli, la plus noble penfce
Ne peut plaire à l'esprit, quand l'oreille eft bleffée.
Durant les premiers ans du Parnaffe François,
Le caprice tout feul faifoit toutes les lois.
La Rime, au bout des mots affemblés fans mefure,
Tenoit lieu d'ornemens, de nombre, & de cafure.
Villon fçût le premier, dans ces fiecles groffiers,
Débrouiller l'art confus de nos vieux Romanciers.
Marot bien-toft aprés fit fleurir les Ballades,
Tourna des Triolets, rima des Mafcarades,
A des refrains regles affervit les Rondeaux,
Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux.
Ronfard qui le fuivit, par une autre methode
Reglant tout, brouilla tout, fit un art à fa mode;
Et toutefois longtemps eut un heureux destin:
Mais fa Mufe, en François parlant Grec & Latin,
Vid dans l'âge fuivant, par un retour grotesque,
Tomber de fes grands mots le faste pedantefque.
Ce Poëte orgueilleux trebuché de fi haut
Rendit plus retenus Desportes & Bertaut.
Enfin Malherbe vint, & le premier en France,
Fit fentir dans les Vers une jufte cadence,

D'un mot mis en fa place enfeigna le pouvoir,
Et reduifit la Mufe aux regles du devoir.
Par ce fage Efcrivain la langue reparée
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée:
Les Stances avec grace apprirent à tomber,
Et le vers fur le vers n'ofa plus enjamber.
Tout reconnut ses lois, t) ce guide fidele
Aux Auteurs de ce temps fert encor de modele.
Marchés donc fur fes pas: aimés fa pureté,
Et de fon tour heureux imités la clarté;
Si le fens de vos vers tarde à fe faire entendre,
Mon esprit auffi-tost commence à fe deftendre,
Et de vos vains difcours promt à fe deftacher,
Ne fuit point un Auteur qu'il faut toujours chercher.
Il est certains Esprits, dont les fombres penfees
Sont d'un nuage épais toûjours embarrassées,
Le jour de la raifon ne le fçauroit percer.
Avant donc que d'écrire, apprenés à penser.
Selon que noftre idée eft plus, ou moins obfcure,
L'expreffion la fuit ou moins nette, ou plus pure:
Ce que l'on conçoit bien s'enonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Sur tout, qu'en vos Efcrits la Langue reverée
Dans vos plus grands excez vous foit toûjours facrée :
En vain vous me frappés d'un fon meloaieux;
Si le terme eft impropre, ou le tour vicieux,
Mon esprit n'admet point un pompeux Barbarifme,
Ni d'un vers empoulé l'orgueilleux Solecisme.
Sans la Langue en un mot, l' Auteur le plus divin
Est toûjours, quoi qu'il faffe,un méchant Efcrivain.

Travaillés à loifir, quelque ordre qui vous preße, Et ne vous piqués point d'une folle vitesse. Un stile fi rapide, & qui court en rimant Marque moins, trop d'efprit, que peu de jugement. J'aime mieux un ruiffeau qui fur la molle arene Dans un pré plein de fleurs lentement fe promene, Qu'un torrent débordé qui d'un cours orageux Roule plein de gravier fur un terrain fangeux: Haftés-vous lentement, & fans perdre courage Vingt fois fur le meftier remettés voftre Ouvrage, Poliffes-le fans ceße, & le repoliẞés ; Adjouftés quelquefois, & fouvent effacés.

C'est peu qu'en un Ouvrage, où les fautes fourmillent,
Des traits d'esprit femés de temps en temps petillent:
Il faut que chaque chofe y foit mise en fon lieu;
Que le debut, la fin, répondent au milieu:
Que d'un art delicat les pieces afforties

Ny forment qu'un feul tout de diverfes parties:
Que jamais du fujet le Difcours s'écartant
Naille chercher trop loin quelque mot eclatant.
Craignés-vous pour vos vers la cenfure publique?
Soyés-vous à vous mefme un fevere Critique.
L'Ignorance toûjours eft preste à s'admirer.
Faites-vous des amis prompts à vous cenfurer.
Qu'ils foient de vos efcrits les confidens finceres,
Et de tous vos defauts les zelés adverfaires.
Dépoüillés devant eux l'arrogance d'Auteur :
Mais fcachés de l'ami, difcerner le flateur.
Tel vous femble aplaudir, qui vous raille &
Aimés qu'on vous confeille, non pas qu'on

vous jouë:

vous louë.

« PreviousContinue »