Page images
PDF
EPUB

Port-Royal, il a été le plus pur, le plus sévère, le plus évangélique des hommes.

La vie de Bourdaloue, c'est sa parole. Mais sa parole a fait vivre tout un siècle; mais maintenant encore elle est l'aliment de bien des cœurs. Bourdaloue a des contemporains immortels dans le royaume de la conscience. Il a des concitoyens jusque dans cette Angleterre protestante, où lord Brougham le vantait naguère comme le type même de l'orateur, comme le vainqueur de Bossuet dans ces combats où le triomphe se paye avec des âmes conquises à Dieu.

L'éloquence de Bourdaloue, ce n'est pas le verbe enflammé qui brûle les lèvres de Bossuet, Isaïe, et qui se répand en éclairs sur les multitudes agenouillées; ce n'est pas le flot harmonieux de Fénelon, discourant avec les majestés lentes d'un de ces vieillards antiques inspirés par Minerve, Nestor ou Aristonous! Au Calvaire de Bourdaloue, on n'arrive pas par le Sinaï de Bossuet ou par le Parnasse de Fénelon on y entre directement par la voie triste du jardin des Olives. Hébraïsme ou paganisme, éléments que Bourdaloue ignore : il sait le Dieu crucifié, c'est assez. Sa parole se moule sur les paraboles du Christ, et les suit à la lettre. Elle se développe, non pas pompeuse, brillante, éclairée, mais forte, concise, pénétrante. Ardet plus quàm lucet, disait-on d'un ancien orateur : n'est-ce pas là la devise du sermonnaire Bourdaloue? La vraie gloire de Bourdaloue, c'est qu'entre tous les maîtres de la chaire il représente le moraliste. Il va droit au cœur humain il en connaît la plaie; il dit vite le mot de guérison. Que les passions

n'essayent pas avec lui leur tactique et leurs hypocrisies fuyantes! Il fait justice des accommodements, des manéges où se complaît la menteuse vanité du péché. Il n'a pas, quand il monte dans la tribune sacrée, les beaux gestes de Fléchier, le regard orageux de Massillon, aux heures où l'évêque de Clermont se ressouvenait un peu trop de madame de Simiane en prêchant le sermon de la pécheresse. Il baisse les yeux, son corps ignore le secret des élégantes attitudes. Mais, autour de lui, l'auditoire tremble: mais madame de Sévigné sacrifierait même l'entretien de Bossuet pour aller écouter Bourdaloue dans l'église ou dans « son tripot, » comme elle appelait le couvent des jésuites avec des gaietés irrévérencieuses; mais Condé, qui depuis Rocroy et Lens se connaît en manœuvres guerrières, regarde le prédicateur, pense à tous ses jours perdus pour la grâce, à Marthe du Vigean trop aimée, à Charlotte de Brézé trop délaissée, à la France trahie un jour, et il s'écrie en montrant Bourdaloue: «Prenons garde! Voici l'ennemi. » L'ennemi eut raison du prince: Bourdaloue convertit Condé.

Ce qu'il faut dire encore de celui que l'avenir a nommé « le prédicateur des rois et le roi des prédicateurs, c'est qu'il lutté pied à pied contre Pascal. L'éloquence et la vertu du jésuite ont démenti les Provinciales.

Madame Cornuel disait : « Le père Bourdaloue surfait en chaire; mais, dans le confessionnal, il donne à meilleur marché. » C'est une jolie plaisanterie qui ne prouve rien.

Et qu'importe d'ailleurs le chemin, pourvu qu'il conduise à la Croix? Ce qui reste de Bourdaloue, c'est son influence perpétuée sur les chrétiens de tous les àges, c'est l'àme de Condé rachetée, c'est le souvenir de ces lumineuses journées agrestes où Bourdaloue quittait, pour aller consoler quelque pauvre à l'agonie, Boileau, Lamoignon, toutes les heureuses harmonies du grand siècle.

BAYLE

1647-1706

Bayle se comparait au Jupiter assemble-nuages d'llomère, disant que sa pensée était de former des doutes. On peut dire qu'il a fondé la philosophie du scepticisme qui nie et qui affirme, mais qui ne croit pas à ses affirmations et qui nie pour qu'on lui donne une preuve de plus. Bayle avait appris à lire dans Amyot et à penser dans Montaigne. Il est parti de là pour fonder, comme il l'a dit, la République des lettres. Avant Bayle, on avait vu quelques pléiades de poëtes, quelques sectes de philosophes, quelques tribus de théologiens. Il réunit la tribu à la secte, la secte à la pléiade; il en fit tout un peuple répandu aux quatre coins de l'Europe; il fut le premier journaliste, parce qu'il étendit l'horizon et répandit sur tout ce qu'il touchait les vives lumières de l'esprit. Or il touchait à tout. Ses Nouvelles de la République des lettres avaient pour abonnés tous les pen·

seurs de France et de l'étranger; leur action s'étendait jusqu'aux Grandes-Indes: aussi le nom de Bayle étaitil mêlé à toutes les controverses littéraires, politiques et religieuses. On l'attendait comme le verbe de la vérité, mais il arrivait toujours avec le doute; son ciel était couvert de nuages, il fallait qu'on découvrît le soleil.

On a beaucoup vanté ce labeur inouï de Bayle, qui travaillait quatorze heures par jour, penché sur les infolio et sur lui-même *. Je me permettrai de dire que ç'a été le tort irréparable de ce grand esprit; je crois fermement que, s'il eût passé sept heures à travailler et sept heures à vivre, son esprit, comme son corps, se fût fortifié sous l'action plus immédiate de Dieu et de la nature. « Je ne perds pas une heure, » disait-il. O philosophie aveugle! qui ne connaît pas les joies contemplatives du temps perdu! On apprend la vie en vivant; apprendre à mourir, c'est encore apprendre à vivre. Je comprends le philosophe chrétien, celui-là qui s'élance dans l'infini sans souci de ses guenilles corporelles; il commence à vivre ici-bas de la vie future; il a entrevu les radieux espaces où Dieu attend son âme immortelle; il frappe avant l'heure aux portes d'or des

« Voyez-vous là-bas dans son coin cette figure souffrante et pensive? Un sourire triste et malin passe, à peine perceptible, dans ses yeux fatigués; les lignes du front, précises et un peu roides, accusent une fine, nette et active intelligence; le nez est long et forme un angle aigu. Les lèvres pincées, surmontées d'une moustache brune tout ébouriffée, ont une légère expression d'amertume. Tous les soucis de l'érudition envahissent cette face anguleuse et parcheminée. » PIERRE Malitourne.

« PreviousContinue »