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comte de Murray, son frère naturel, qui était à leur tête, épouse Henri Stuart, comte d'Arlai, son parent, et catholique comme elle. Elisabeth alors excite sous main les seigneurs protestants, sujets de Marie, à prendre les armes: la reine d'Ecosse les poursuivit ellemême, et les contraignit de se retirer en Angleterre. Jusque-là tout lui était favorable, et sa rivale était confondue.

La faiblesse du cœur de Marie commença tous ces malheurs. Un musicien italien, nommé David Rizzio, fut trop avant dans ses bonnes grâces; il jouait bien des instruments, et avait une voix de basse agréable: c'est d'ailleurs une preuve que déjà les Italiens avaient l'empire de la musique, et qu'ils étaient en possession d'exercer leur art dans les cours de l'Europe; toute la musique de la reine d'Ecosse était italienne. Une preuve plus forte que les cours étrangères se servent de quiconque est en crédit, c'est que David Rizzio était pensionnaire du pape: if contribua beaucoup au mariage de la reine, et ne servit pas moins ensuite à l'en dégoûter. D'Arlai, qui n'avait que le nom de roi, méprisé de sa femme, aigri et jaloux, entre par un escalier dérobé, suivi de quelques hommes armés, dans la chambre de sa femme, où elle soupait avec Rizzio et une de ses favorites: on renversé la table, et on tue Rizzio aux yeux de la reine, qui se met en vain au devant de lui: elle était enceinte de cinq mois; la vue des épées nues et sanglantes fit sur elle une impression qui passa

jusqu'au fruit qu'elle portait dans son flanc. Son fils Jacques VI, roi d'Ecosse et d'Angleterre, qui naquit quatre mois après cette aventure, trembla toute sa vie à la vue d'une épée nue, quelque effort qu'il fit pour surmonter cette disposition de ses organes: tant la nature a de force, et tant elle agit par des voies inconnues.

La reine reprit bientôt son autorité, śe raccommoda avec le comte de Murray, poursuivit les meurtriers du musicier, et prit un nouvel engagement avec un comte de Bothwel. Ces nouvelles amours produisirent la mort du roi son époux (1567). On prétend qu'il fut d'abord empoisonné, et que son tempérament eut la force de résister au poison; mais il est certain qu'il fut assassiné à Edimbourg, dans une maison isolée, dont la reine avait retiré ses plus précieux meubles. Dès que le coup fut fait, on fit sauter la maison avec de la poudre; on enterra son corps auprès de celui de Rizzio, dans le tombeau de la maison royale. Tous les ordres de l'état, tout le peuple, accusèrent Bothwel de l'assassinat; et dans le temps même que la voix publique criait vengeance, Marie se fit enlever par cet assassin qui avait encore les mains teintes du sang de son mari, et l'épousa publiquement. Ce qu'il y eut de singulier dans cette horreur, c'est que Bothwel avait alors une femme, et que, pour se séparer d'elle, il la força de l'accuser d'adultère, et fit prononcer un divorce par l'archevêque de Saint-André, selon les usages du pays.

Bothwel eut toute l'insolence qui suit les grands crimes: il assembla les principaux seigneurs, et leur fit signer un écrit, par lequel il était dit expressément que la reine ne se pouvait dispenser de l'épouser, puisqu'il l'avait enlevée, et qu'il avait couché avec elle. Tous ces faits sont avérés; les lettres de Marie à Bothwel ont été contestées; mais elles portent un caractère de vérité auquel il est difficile de ne pas se rendre. Ces attentats soulevèrent l'Ecosse; Marie, abandonnée de son armée, fut obligée de se rendre aux confédérés. Bothwel s'enfuit dans les îles Orcades; on obligea la reine de céder la couronne à son fils, et on lui permit de nommer un régent. Elle nomma le comte de Mourray, son frère: ce comte ne l'en accabla pas moins de reproches et d'injures. Elle se sauve de sa prison. L'humeur dure et sévère de Murray procurait à la reine un parti. Elle lève six mille hommes: mais elle est vaincue, et se réfugie sur les frontières d'Angleterre (1568). Elisabeth la fit d'abord recevoir avec honneur dans Carlile; mais elle lui fit dire, qu'étant accusée par la voix publique du meurtre du roi son époux, elle devait s'en justifier, et qu'elle serait protégée si

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elle, était innocente.

Elisabeth se rendit arbitre entre Marie et la régence d'Ecosse. Le régent-vint lui-même jusqu'à Hamptoncourt (1569), et se soumit à remettre entre les mains des commissaires anglais les preuves qu'il avait contre sa sœur. Cette malheureuse princesse, d'un autre côté,

retenue dans Carlile, accusa le comte Murray lui même d'être auteur de la mort de son mari, et récusa les commissaires anglais, à moins qu'on ne leur joignit les ambassadeurs de France et d'Espagne. Cependant la reine d'Angleterre fit continuer cette espèce de procès, et jouit du plaisir de voir flétrir sa rivale, sans vouloir rien prononcer. Elle n'était point juge de la reine d'Ecosse, elle lui devait un asile; mais elle la fit transférer à Teutbury, qui fut pour elle une prison.

Ces désastres de la maison royale d'Ecosse retombaient sur la nation partagée en factions, produites par l'anarchie. Le comte de Murray fut assassiné par une faction qui se fortifiait du nom de Marie; les assassins entrèrent à main armée en Angleterre, et firent quelques ravages sur la frontière.

(1570) Elisabeth envoya bientôt une armée punir ces brigands, et tenir l'Écosse en respect. Elle fit élire pour régent le comte Lenox, frère du roi assassiné. Il n'y a dans cette démarche que de la justice et de la grandeur: mais en même temps on conspirait en Angleterre pour délivrer Marie de la prison où elle était retenue. Le pape Pie V faisait très-indiscrètement afficher dans Londres une bulle par laquelle il excommuniait Elisabeth, et déliait ses sujets du serment de fidélité. C'est cet attentat si familier aux papes, si horrible et si absurde, qui ulcéra le cœur d'Elisabeth. On voulait secourir Marie, et on la perdait. Les deux reines négociaient ensemble; mais l'une

du haut du trône, et l'autre du fond d'une prison. Il ne paraît pas que Marie se conduisit avec la flexibilité qu'exigeait son malheur. L'Ecosse, pendant ce temps-là, ruisselait de sang; les catholiques et les protestants faisaient la guerre civile. L'ambassadeur de France et l'archevêque de Saint-André furent faits prisonniers, et l'archevêque pendu (1571), sur la déposition de son propre confesseur, qui jura que le prélat s'était accusé à lui d'être complice du meurtre

du roi.

Le grand malheur de la reine Marie fut d'avoir des amis dans sa disgrâce. Le duc de Norfolk, catholique, voulut l'épouser, comptant sur une révolution et sur le droit de Marie à la succession d'Elisabeth. Il se forma dans Londres des partis en sa faveur, trèsfaibles à la vérité, mais qui pouvaient être fortifiés de forces d'Espagne et des intrigues de Rome. Il en coûta la tête au duc de Norfolk; les pairs le condamnèrent à mort (1572), pour avoir demandé au roi d'Espagne et au pape des secours en faveur de Marie. Le sang du duc de Norfolk resserra les chaines de cette princesse malheureuse. Une si longue infortune ne découragea point ses partisans à Londres, animés par les princes de Guise, par le saint-siège, par les jésuites, et surtout par les Espagnols.

Le grand projet était de délivrer Marie, et de mettre sur le trône d'Angleterre la religion catholique avec elle. On conspira contre Élisabeth: Philippe II préparait déjà

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