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n'ait fait de grands exploits à la tête de quelques amis qui lui tenaient lieu d'armée. D'abord, avec environ cinq mille combattants, il bat, à la journée d'Arques, auprès de Dieppe, l'armée du duc de Maïenne, forte de vingt mille hommes; c'est alors qu'il écrivit cette lettre au marquis de Crillon: >>Pends>>toi, brave Crillon; nous avons combattu à »Arques, et tu n'y étais pas. Adieu, mon »ami: je vous aime à tort et à travers.< Ensuite, il emporte les faubourgs de Paris, et il ne lui manque qu'assez de soldats pour prendre la ville. Il faut qu'il se retire, qu'il force jusqu'aux villages retranchés pour s'ouvrir des passages pour communiquer avec -les villes qui défendent sa cause.

Pendant qu'il est ainsi continuellement dans la fatigue et dans le danger, un cardinal Caëtan, legat de Rome, vint tranquillement à Paris donner des lois au nom du pape. La Sorbonne ne cesse de déclarer qu'il n'est pas roi; (et elle subsiste encore!) et la Ligue règne sous le nom de ce car dinal de Vendôme, qu'elle appelait Charles X, au nom duquel on frappait la monnaie, tandis que le roi le retenait prisonnier

à Tours.

Les religieux animent les peuples contre lui. Les jésuites courent de Paris à Rome et en Espagne; le P. Matthieu, qu'on nommait le courrier de la Ligue, ne cesse de procurer des bulles et des soldats. Le roi d'Espagne (1590) envoie quinze cents lances fournies, qui faisaient environ quatre mille

cavaliers, et trois mille hommes de la vieille infanterie vallone, sous le comte d'Egmont, fils de cet Egmont à qui ce roi avait fait trancher la tête. Alors Henri IV rassemble le peu de forces qu'il peut avoir, et n'est pourtant pas à la tête de dix mille combattants. Il livre cette fameuse bataille d'Ivry aux ligueurs commandés par le duc de Maïenne, et aux Espagnols, très-supérieurs en nombre, en artillerie, en tout ce qui peut entretenir une armée considérable: il gagne cette bataille, comme il avait gagné celle de Coutras, en se jetant dans les rangs ennemis au milieu d'une forêt de lances. On se souviendra dans tous les siècles de ces paroles: »Si vous perdez vos enseignes, railliez-vous à mon panache blanc; vous le >>trouverez toujours au chemin de l'honneur >>et de la gloire.« Sauvez les Français! s'écria-t-il, quand les vainqueurs s'acharnaient sur les vaincus.

Ce n'est plus comme à Coutras, où à peine il était le maître: il ne perd pas un moment pour profiter de la victoire. Son armée le suit avec allégresse; elle est même renforcée; mais enfin il n'avait pas quinze mille hommes, et avec ce peu de troupes il assiège Paris, où il restait alors deux cent vingt mille habitants. Il est constant qu'il l'eût pris par famine, s'il n'avait pas permis lui-même, par trop de pitié, que les assiégeants nourrissent les assiégés. En vain ses généraux publiaient sous ses ordres des défenses, sous peine de mort, de fournir

des vivres aux Parisiens, les soldats euxmêmes leur en vendaient. Un jour que pour faire un exemple on allait pendre deux paysans qui avaient amené des charrettes de pain à une poterne, Henri les rencontra en allant visiter ses quartiers: ils se jetèrent à ses genoux, et lui remontrèrent qu'ils n'avaient que cette manière pour gagner leur vie: >>Allez en paix,« leur dit le roi en leur donnant aussitôt l'argent qu'il avait sur lui: »Le Béarnais est pauvre,« ajouta-t-il; »s'il avait »davantage, il vous le donnerait.<< Un cœur bien né ne peut lire de pareils traits sans quelques larmes d'admiration et de tendresse.

Pendant qu'il pressait Paris, les moines armés faisaient des processions, le mousquet et le crucifix à la main, et la cuirasse sur le dos. Lé parlement (1560), les cours supérieurs, les citoyens, faisaient serment sur P'Evangile, en présence du légat et de l'ambassadeur d'Espagne, de ne le point recevoir. Mais enfin les vivres manquent, la famine fait sentir ses plus cruelles extrémités.

Le duc de Parme est envoyé par Philippe II au secours de Paris avec une puissante armée; Henri IV court lui présenter la bataille. Qui ne connaît cette lettre qu'il écrivit, du champ où il croyait combattre, à cette Gabrielle d'Estrées, rendue célèbre par lui: »Si je meurs, ma dernière pensée »sera à Dieu, et l'avant-dernière à vous (1590)!« Le duc de Parme n'accepta point

la bataille; il n'était venu que pour seconrir Paris, et pour rendre la Ligue plus dépendante du roi d'Espagne. Assiéger cette grande ville avee si peu de monde devant une armée supérieure, était une chose impossible: voilà donc encore sa fortune retardée et ses victoires inutiles. Du moins il empêche le duc de Parme de faire des conquêtes, et le côtoyant jusqu'aux dernières frontières de la Picardie, il le fit rentrer en Flandre.

A peine est-il délivré de cet ennemi, que le pape Grégoire XIV, Sfondrat, emploie une partie des trésors amassés par SixteQuint à envoyer des troupes à la Ligue. Le jesuite Jouvency avoue dans son histoire que le jésuite Nigri, supérieur des novices de Paris, rassembla tous les novices de cet ordre en France, et qu'il les conduisit jusqu'à Verdun au-devant de l'armée du pape; qu'il les enrégimenta, et qu'il les incorpora à cette armée, laquelle ne laissa en France que les traces des plus horribles dissolutions. trait peint l'esprit du temps.

Ce

C'était bien alors que les moines pouvaient écrire que l'évêque de Rome avait le droit de déposer les rois; ce droit était près d'être constaté à main armée.

Henri IV avait toujours à combattre l'Espagne, Rome, et la France; car le duc de Parme en se retirant avait laissé huit mille soldats au duc de Maïenne. Un neveu du pape entre en France avec des troupes italiennes et des monitoires; il se joint au duc

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de Savoie dans le Dauphiné. Les diguières celui qui fut depuis le dernier connétable de France et le dernier seigneur puissant, battit des troupes savoisiennes et celles du pape. Il faisait la guerre comme Henri IV, avec des capitaines qui ne servaient qu'un temps; cependant il défit ces armées réglées. Tout était alors soldat en France, paysans, artisans, bourgeois: c'est ce qui la dévasta, mais c'est ce qui l'empêcha enfin d'être la proie de ses voisins, Les soldats du pape se dissipèrent, après n'avoir donné que des exemples d'une débauche inconnue au-delà de leurs Alpes; les habitants des campagnes brûlaient les chêvres qui suivaient leurs régiments.

Philippe II du fond de son palais continuait à entretenir et ménager la dissension, toujours donnant au duc de Maïenne de petits secours, afin qu'il ne fût ni trop faible ni trop puissant, et prodiguant l'or dans Paris, pour y faire reconnaître sa fille, ClaireEugénie, reine de France, avec le prince qu'il lui donnera pour époux. C'est dans ces vues qu'il envoie encore le duc de Parme en France, lorsque Henri IV assiège Rouen, comme il l'avait envoyé pendant le siège de Paris. Il promettait à la Ligue qu'il ferait marcher une armée de cinquante mille hommes dès que sa fille serait reine. Henri, après avoir levé le siège de Rouen, fait encore sortir de France le duc de Parme.

Cependant il s'en fallut peu que la faction des Seize, pensionnaires de Philippe II, ne

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