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Henri III. Clément était à ses yeux un homme inspiré: il s'était offert à une mort inévitable: ses supérieurs et tous ceux qu'il avait consultés lui avaient ordonné de la part de Dieu de commettre cette sainte action. Son esprit égaré était dans le cas de l'ignorance invincible; il était intimement persuadé qu'il s'immolait à Dieu, à l'Eglise, à la patrie; enfin, selon le sentiment de ces théologiens, il courait à la gloire éternelle, et le roi assassiné était damné. C'est ce que quelques théologiens calvinistes avaient pensé de Poltrot; c'est ce que les catholiques avaient dit de l'assassin du prince d'Orange.

Il n'y eut aucun pays catholique, à l'exception de Venise, où le crime de Jacques Clément ne fût consacré. Le jésuite Mariana, qui passait pour un historien sage, s'exprime ainsi dans son livre de l'Institution des rois: >>Jacques Clément se fit un grand nom; le >>meurtre fut expié par le meurtre, et le sang >>royal coula en sacrifice aux mânes du duc de >>Guise, perfidement assassiné. Ainsi périt Jac»ques Clément, âgé de vingt-quatre ans, la gloire >>éternelle de la France.« Le fanatisme fut porté en France jusqu'à mettre le portrait de cet assassin sur les autels, avec ces mots gravés au bas, »Saint Jacques Clément, priez pour nous.<

Un fait très-long-temps ignoré, c'est la forme du jugement contre le cadavre du moine parricide: son procès fut fait par le marquis de Richelieu, grand-prévôt de France, père du cardinal; et loin que le procureurgénéral La Guêle, témoin de l'assassinat, et

qui avait amené frère Clément à Henri III, fit les fonctions de sa charge dans ce jugement, il ne fit que celle de témoin, il déposa comme les autres. Ce fut Henri IV qui porta lui-même l'arrêt, et qui condamna le corps du moine à être écartelé et brûlé, de l'avis de son conseil, signé Rusé (1589).

Ce qu'on ne savait pas encore, c'est qu'un autre jacobin, nommé Jean Le Roy, ayant assassiné le commandant de Coutance en Nor mandie, Henri IV jugea aussi ce malheureux le jour même qu'il jugea Clément. Il condamna le moine Jean Le Roy à être mis dans un sac, et à être jeté dans la rivière; ce qui fut exécuté à Saint-Cloud deux jours après. C'était une chose très-rare qu'un tel juge ment et un tel supplice; mais les crimes qu'on punissait étaient encore plus étonnants.

CHAPITRE CLXXIV.

De Henri IV.

EN lisant l'histoire de Henri IV dans Da niel, on est tout étonné de ne le pas trouver un grand homme on y voit à peine son caractère; très-peu de ces belles réponses qui sont l'image de son âme; rien de ce discours, digne de l'immortalité, qu'il tint à l'assemblée des notables de Rouen; aucun détail de tout le bien qu'il fit à la patrie. Les manœuvres de guerre, sèchement racontées; de longs discours au parlement en faveur des jésuites; et enfin la vie du P. Coton, forment, dans Daniel, le règne de Henri IV.

Bayle, souvent aussi répréhensible et aussi petit, quand il traite des points d'histoire et des affaires du monde, qu'il est judicieux et profond quand il manie la dialectique, commence son article de Henri IV par dire que >si on l'eût fait eunuque, il eût pu effacer »la gloire des Alexandre et des César.< Voilà de ces choses qu'il eût dû effacer de son dictionnaire. Sa dialectique même lui manque dans cette ridicule supposition; car César fut beaucoup plus débauché que Henri IV ne fut amoureux, et on ne voit pas pourquoi Henri IV eût été plus loin qu'Alexandre. Bayle a-t-il prétendu qu'il fallait être un demi-homme pour être un grand homme? Ne savait-il pas d'ailleurs quelle foule de grands capitaines a mêlé l'amour aux armes? De tous les guerriers qui se sont fait un nom, il n'y a peut-être que le seul Charles XII qui ait renoncé absolument aux femmes; encore a-t-il eu plus de revers que de succès. Ce n'est pas que je veuille, dans cet ouvrage sérieux, flatter cette vaine galanterie qu'on reproche à la nation francaise; je ne veux que reconnaître une trèsgrande vérité, c'est que la nature, qui donne tout, ôte presque toujours la force et le courage à ceux qui sont dépouillés des marques de la virilité, ou en qui ces marques sont imparfaites. Tout est physique dans toutes les espèces; ce n'est pas le bœuf qui combat, c'est le taureau; les forces de l'âme et du corps sont puisées dans cette source de la vie. Il n'y a parmi les eunuques, que

Narses de capitaine, et qu'Origène et Phocius de savants. Henri IV fut souvent amoureux, et quelquefois ridiculement; mais jamais il ne fut amolli: la belle Gabrielle F'appelle, dans ses lettres, mon soldat. Ce seul mot réfute Bayle. H est à souhaiter, pour l'exemple des rois et pour la consolation des peuples, qu'on lise ailleurs, comme dans la grande histoire de Mézerai, dans Péréfixe, dans les Mémoires de Sulli, ce qui concerne les temps de ce bon prince.

Faisons pour notre usage particulier, un précis de cette vie, qui fut trop courte. Il est, dès son enfance, nourri dans les troubles et dans les malheurs; il se trouve, à quatorze ans, à la bataille de Moncontour; il est rappelé à Paris; il n'épouse la sœur de Charles IX que pour voir ses amis assassinés autour de lui, pour courir lui-même risque de sa vie, et pour rester près de trois ans prisonnier d'état: il ne sort de sa prison que pour essuyer toutes les fatigues et toutes les fortunes de la guerre, manquant souvent du nécessaire, n'ayant jamais de repos, s'exposant comme le plus hardi soldat, faisant des actions qui ne paraissent pas croyables, et qui ne le deviennent que parce qu'il les a répétées; commé lorsqu'à la prise de Cahors, en 1588, il fut sous les armes pendant cinq jours, combattant de rue en rue sans presque prendre de repos. La victoire de Coutras fut due principalement à son courage. Son humanité après la victoire devait lui gagner tous les cœurs.

Le meurtre de Henri III le fait roi de France; mais la religion sert de prétexte à la moitié des chefs de l'armée pour l'abandonner, et à la Ligue pour ne pas le reconnaître. Elle choisit pour roi un fantôme, un cardinal de Bourbon-Vendôme; et le roi d'Espagne, Philippe II, maître de la Ligue par son argent, compte déjà la France pour une de ses provinces. Le duc de Savoie, gendre de Philippe, envahit la Provence et le Dauphiné. Le parlement de Languedoc défend, sous peine de la vie, de le reconnaître et le déclare incapable de posséder »jamais la couronne de France, conformé>>ment à la bulle de notre Saint-Père le »pape.« Le parlement de Rouen (1589) dé clare criminels de lèse-majesté divine et humaine tous ses adhérents.

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Henri IV n'avait pour lui que la justice de sa cause, son courage, et quelques amis. Jamais il ne fut en état de tenir long-temps une armée sur pied, et encore quelle armée! elle ne se monta presque jamais à douze mille hommes complets: c'était moins que les détachements de nos jours. Ses serviteurs venaient tour à tour se ranger sous sa bannière, et s'en retournaient les uns après les autres au bout de quelques mois de service. Les Suisses, qu'à peine il pouvait payer, et quelques compagnies de lances, faisaient le fond permanent de ses forces. Il fallait courir de ville en ville, combattre et négocier sans relâche: il n'y a presque point de province en France où il

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