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rain est fertile, et les habitants industrieux. Henri de Navarre était toujours entre les mains de la reine-mère, déclarée régente par Charles IX jusqu'au retour du nouveau roi. Les protestants ne demandaient que la sûreté de leurs biens et de leur religion; et leur projet de former une république ne pouvait prévaloir contre l'autorité souveraine déployée sans faiblesse et sans excès. Il eût été aisé de les contenir. Tel avait toujours été l'avis des plus sages têtes, d'un chancelier de l'Hospital, d'un Paul de Foix, d'un Christophe de Thou, père du véridique et éloquent historien, d'un Pibrac, d'un Harlai; mais les favoris, croyant gagner à la guerre, la firent résoudre.

A peine donc. le roi fut à Lyon, qu'avec le peu de troupes qu'on lui avait amenées, il voulut forcer des villes, qu'il eût pu ranger à leur devoir avec un peu de politique. Il dut s'apercevoir, quand il voulut entrer à main armée dans une petite ville nommée Livron, qu'il n'avait pas pris le bon parti; on lui cria du haut des murs: »Approchez, >>assassins: venez, massacreurs: vous ne nous >trouverez pas endormis comme l'amiral.<<

Il n'avait pas alors de quoi payer ses soldats: ils se débandèrent; et trop heureux de n'être point attaqué dans son chemin, il alla se faire sacrer à Rheims, et faire son entrée dans Paris sous ces tristes auspices, au milieu de la guerre civile qu'il avait fait renaître à son arrivée, et qu'il eût pu étouffer. Il ne sut ni contenir les huguenots, ni con

tenter les catholiques, ni réprimer son frère, le duc d'Alençon, alors duc d'Anjou, ni gouverneur ses finances, ni discipliner une armée: il voulait être absolu, et ne prit aucun moyen de l'être. Ses débauches honteuses avec ses mignons le rendirent odieux; ses superstitions, ses processions, dont il croyait couvrir ses scandales et qui les augmentaient, l'avilirent; ses profusions, dans un temps où il fallait n'employer l'or que pour avoir du fer, énervérent son autorité. Nulle police, nulle justice; on tuait, on assassinait ses favoris sous ses yeux, ou ils s'égorgeaient mutuellement dans leurs querelles. Son propre frère, le duc d'Anjou, catholique, s'unit contre lui avec le prince Henri de Condé, calviniste, et fait venir des Suisses, tandis que Condé rentre en France avec des Allemands.

Dans cette anarchie, Henri, duc de Guise, fils de François, riche, puissant, devenu le chef de la maison de Lorraine en France, ayant tout le crédit de son père, idolâtré du peuple, redouté à la cour, force ce roi à lui donner le commandement des armées. Son intérêt était que tout fût brouillé, afin que la cour eût toujours besoin de lui.

Le roi demande de l'argent à la ville de Paris: elle lui répond qu'elle a fourni trentesix millions d'extraordinaire en quinze ans, et le clergé soixante millions; que les campagnes sont désolées par la soldatesque; la ville par la rapacité des financiers; l'Eglise par la simonie et le scandale. Il n'obtient que des plaintes au lieu de secours.

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Cependant le jeune Henri de Navarre se sauve enfin de la cour, où il était toujours prisonnier. On pouvait le retenir comme prince du sang; mais on n'avait nul droit sur la liberté d'un roi: il l'était en effet de la basse Navarre, et la haute lui appartenait par droit d'héritage. Il va en Guienne: les Allemands, appelés parCondé, entrent dans laChampagne; le duc d'Anjou,frère du roi, est en armes.

Les dévastations qu'on avait vues sous Charles IX recommencent. Le roi fait alors, par un traite honteux dont on ne lui sait point de gré, ce qu'il aurait dû faire en souverain habile à son avènement : il donne la paix; mais il accorde beaucoup plus qu'on ne lui eût demandé d'abord; libre exercice de la religion réformée, temples, synodes, chambres mi-parties de catholiques et de réformés dans les parlements de Paris, de Toulouse, de Grenoble, d'Aix, de Rouen, de Dijon, de Rennes: il désavoue publiquement la Saint-Barthélemi, à laquelle il n'avait eu que trop de part. Il exempte d'impositions pour six ans les enfants de ceux qui ont été tués dans les massacres, réhabilite la mémoire de l'amiral Coligni; et, pour comble d'humiliations, il se soumet à payer les troupes allemandes du prince palatin Casimir, qui le forçaient à cette paix: mais n'ayant pas de quoi les satisfaire, il les laisse vivre à discrétion pendant trois mois dans la Bourgogne, et dans la Champagne. Enfin, il envoie au prince Casimir six cent mille écus

par Bellièvre: Casimir retient l'envoyé du roi en otage pour le reste du payement, et l'emmène prisonnier à Heidelberg, où il fait porter en triomphe, au son de fanfares, les dépouilles de la France dans les chariots traînés par des bœufs dont on avait doré les Cornes.

Ce fut cet excès d'opprobre qui enhardit le duc Henri de Guise à former la Ligue projetée par son oncle le cardinal de Lorraine; et à s'élever sur les ruines d'un royaume si malheureux et si mal gouverné.

Tout respirait alors les factions; et Henri de Guise était fait pour elles. Il avait, dit-on, toutes les grandes qualités de son père, avec une ambition plus effrénée et plus artificieuse. Il enchantait comme lui tous les cœurs: on di-* sait du père et du fils, qu'auprès d'eux tous les autres princes parraissaient peuple. vantait la générosité de son cœur; mais il n'en avait pas donné un grand exemple, quand il foula aux pieds, dans la rue Bétisi, le corps de l'amiral Coligni, jeté à ses yeux par les

fenêtres.

On

La première proposition de la Ligue fut faite dans Paris. On fit courir chez les bourgeois les plus zélés des papiers qui contenaient un projet d'association pour défendre la religion, le roi, et la liberté de l'état; c'est-à-dire, pour opprimer à la fois le roi et l'état par les armes de la religion. Ligue fut ensuite signée solennellement à Péronne et dans presque toute la Picardie. Bientôt après, les autres provinces y entrent.

La

Le roi d'Espagne la protège, et ensuite les papes l'autorisent. Le roi, pressé entre les calvinistes, qui demandaient trop de liberté, et les Ligueurs, qui voulaient lui ravir la sienne, croit faire un coup d'état en signant lui-même la Ligue, de peur qu'elle ne l'écrase. Il s'en déclare le chef, et par cela même il l'enhardit. Il se voit obligé de rompre, malgré lui, la paix qu'il avait donnée aux réformés (1576), sans avoir d'argent pour renouveler la guerre. Les états-généraux sont assemblés à Blois; mais on lui refuse les subsides qu'il demande pour cette guerre à laquelle les états même le forçaient. Il n'obtient pas seulement la permission de se ruiner en aliénant son domaine. Il assemble pourtant une armée en se ruinant d'une autre manière, en engageant les revenus de la couronne, en créant de nouvelles charges. Des hostilités se renouvellent de tous côtés; et la paix se fait encore. Le roi n'avait voulu avoir de l'argent et une armée que pour être en état de ne plus craindre les Guises; mais dès que la paix est faite, il consomme ces faibles ressources en vains plaisirs, en fêtes, en profusions pour ses favoris..

Il était difficile de gouverner un tel royaume autrement qu'avec du fer et de l'or; Henri III pouvait à peine avoir l'un et l'autre. Il faut voir quelles peines il eut à obtenir, dans ses pressants besoins, treize cent mille francs du clergé pour six années, à faire vérifier au parlement quelques nouveaux edits bursaux, et avec quelle rapacité le marquis d'O, sur

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