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gibet de Montfaucon, Charles IX alla repattre ses yeux de ce spectacle, et dit »que le corps d'un ennemi mort sentait toujours »bon:« il devait ajouter que c'est un ancien mot de Vitellius, qu'on s'est avise d'attribuer à Charles IX. Mais ce qu'on doit le plus remarquer, c'est que le P. Daniel veut faire croire que les massacres ne furent jamais prémédités. Il se peut que le temps, le lieu, la manière, le nombre des proserits, n'eussent pas été concertés pendant deux années; mais il est vrai que le dessein d'exterminer le parti était pris dès long-temps. Tout ce que rapporte Mézerai, meilleur Français que le jésuite Daniel, et historien très-supérieur dans les cent dernières années de la monarchie, ne permet pas d'en douter: ct Daniel se contredit lui-même en louant Charles IX d'avoir bien joué la comédie, d'avoir bien fait son rôle.

Les mœurs des hommes, Fesprit de parti se connaissent à la manière d'écrire l'histoire. Daniel se contente de dire qu'on loua à Rome »le zèle du roi, et la terrible punition qu'il avait faite des hérétiques :« Baronnius dit que cette action était nécessaire. La cour ordonna dans toutes les provinces les mêmes massacres qu'à Paris; mais plusieurs commandants refusèrent d'obéir. Un Saint Herem en Auvergne, un La Guiche à Mâcon, un vicomte d'Orte à Baïonne, et plusieurs autres, écrivirent à Charles IX la substance de cés paroles »qu'ils périraient pour son ser

»vice, mais qu'ils n'assassineraient personne >pour lui obéir.«

Ces temps étaient si funestes, le fanatisme ou la terreur domina tellement les esprits, que le parlement de Paris ordonna que tous les ans on ferait une procession le jour de la Saint-Barthélemi pour rendre grâces à Dieu. Le chancelier de l'Hospital pensa bien autrement en écrivant Excidat illa dies! On reprochait à l'Hospital d'être fils d'un Juif, de n'être pas chrétien dans le fond de son cœur; mais c'était un homme juste. La procession ne se fit point, et l'on eut enfin horreur de consacrer la mémoire de ce qui devait être oublié pour jamais. Mais, dans la chaleur de l'événement, la cour voulut que le parlement fit le procès à l'amiral après sa mort, et que l'on condamnât juridiquement deux gentilshommes de ses amis, Briquemaut et Cavagnes; ils furent traînés à la Grève sur la claie, avec l'effigie de Coligni, et exécutés. Ce fut le comble des horreurs d'ajouter à cette multitude d'assassinats les formes qu'on appelle de la justice.

S'il pouvait y avoir quelque chose de plus déplorable que la Saint-Barthélemi, c'est qu'elle fit naître la guerre civile, au lieu de couper la racine des troubles: les calvinistes ne pensèrent plus, dans tout le royaume, qu'à vendre chèrement leurs vies. On avait égorgé soixante mille de leurs frères en pleine paix; il en restait environ deux millions pour faire la guerre. De nouveaux massacres suivent donc de part et d'autre ceux de la Saint

Barthélemi. Le siège de Sancerre fut mémorable: les historiens disent que les réformés s'y défendirent comme les Juifs à Jérusalem contre Titus; ils succombèrent comme eux; ils éprouvèrent les mêmes extrémités; et l'on rapporte qu'un père et une mère y mangèrent leur propre fille. On en dit autant depuis du siège de Paris par Henri IV.

CHAPITRE CLXXII.

Sommaire des particularités principales du concile de Trente.

C'EST au milieu de tant de guerres de religion et de tant de désastres que le concile de Trente fut assemblé. Ce fut le plus long qu'on ait jamais tenu, et cependant le moins orageux. Il ne forma point de schisme, comme le concile de Bâle; il n'alluma point de bû chers, comme celui de Constance; il ne prétendit point déposer des empereurs, comme celui de Lyon; il se garda d'imiter celui de Latran, qui dépouilla le comte de Toulouse de l'héritage de ses pères; encore moins celui de Rome, dans lequel Grégoire VII alluma l'incendie de l'Europe, en osant déposséder l'empereur Henri IV. Le troisième et le quatrième concile de Constantinople, le premier et le second de Nicée, avaient été des champs de discorde: le concile de Trente fut paisible, ou du moins ses querelles n'eurént ni éclat ni suite.

S'il est quelque certitude historique, on la

trouve dans ce qui fut écrit sur ce concile par les contemporains. Le célèbre Sarpi, ce défenseur de la liberté vénitienne, plus connu sous le nom de Fra-Paolo, et le jésuite Pallavicini, son antagoniste, sont d'accord dans l'essentiel des faits. Il est vrai que Pallavicini compte trois cent soixante erreurs dans Fra-Paolo; mais quelles erreurs? il lui reproche des méprises dans les dates et dans les noms. Pallavicini lui-même a été convaincu d'autant de fautes' o que son adver saire; et quand il a raison contre lui, ce n'est pas la peine d'avoir raison. Qu'importe qu'une lettre inutile de Léon X ait été écrite en 1516 ou 17? que le nonce Arcimboldo, qui vendit tant d'indulgences dans le nord, fût le fils d'un marchand milanais ou d'un génois? ce qui importe, c'est qu'il ait fait trafic d'indulgences. On se soucie peu que le cardinal Martinusius ait été moine de saint Basile ou ermite de saint Paul; mais on s'intéresse à savoir si ce défenseur de la Transilvanie contre les Turcs fut assassiné par les ordres de Ferdinand Ier, frère de Charles V. Enfin Sarpi et Pallavicini ont tous deux dit la vé rité d'une manière différente: l'un en homme libre, défenseur d'un sénat libre; l'autre, en jésuite qui voulait être cardinal.

Dès l'an 1533 Charles V proposa la convocation de ce concile au pape Clément VII, qui, encore effrayé du saccagement de Rome et de sa prison, craignant que le prétexte de sa hâtardise n'enhardit un concile à le dépo-ser, éluda cette proposition sans oser refuser

l'empereur. Le roi de France, François Fer, proposa Génève pour le lieu de l'assemblée, précisément dans le temps qu'on commençait à prêcher la réforme dans cette ville (1540). Il est bien probable que si le concile se fût tenu dans Genève, le parti des réformés y eût beaucoup perdu.

Pendant qu'on diffère, les protestants de l'Allemagne demandent un concile national, et se fondent dans leur réponse au légat Contarini sur ces paroles expresses: »Quand deux >>ou trois seront assemblés en mon nom, je >>serai au milieu d'eux.« On leur accorde que cet article est certain, mais que si dans cent mille endroits de la terre deux ou trois personnes sont assemblées en ce nom, cela pourrait produire cent mille eonciles et cent. mille confessions de foi différentes: en ce cas, il n'y aurait eu jamais de réunion, mais aussi il n'y eût peut-être jamais eu de guerre civile. La multitude des opinions diverses produit nécessairement la tolérance.

Le pape Paul III, Farnèse, propose Vicence; mais les Vénitiens répondent que le divan de Constantinople prendrait trop d'ombrage d'une assemblée de chrétiens dans le territoire de Venise. I propose Mantoue; mais le seigneur de cette ville craint d'y recevoir une garnison étrangère. Enfin il se décide pour la ville de Trente, voulant complaire à l'empereur, dont il avait très-grand besoin; car il espérait alors d'obtenir l'investiture du Milanais pour son bâtard, Pierre Farnèse, quel il donna depuis Parme et Plaisance.

au

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