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seur: »Pensez-vous que j'aie vécu quatre»vingts ans pour ne pas savoir mourir un »quart d'heure?« On porta son effigie en cire, comme celle des rois, à Notre-Dame, et les cours supérieures assistèrent à son service par ordre de la cour; honneur dont l'usage dépend, comme presque tout, de la volonté des rois et des circonstances des temps.

sans

Cette bataille de Saint-Denis fut indécise, et la France n'en fut que plus malheureuse. L'amiral de Coligni, l'homme de son temps le plus fécond en ressources, fait venir du Palatinat près de dix mille Allemands, avoir de quoi les payer. On vit alors ce que peut le fanatisme fortifié de l'esprit de parti; l'armée de l'amiral se cotisa pour soudoyer l'armée palatine. Tout le royaume est ravagé. Ce n'est pas une guerre dans laquelle une puissance assemble ses forces contre une autre, et est victorieuse ou détruite: ce sont autant de guerres qu'il y a de villes; ce sont les citoyens, les parents, acharnés partout les uns contre les autres: le catholique, le protestant, l'indifférent, le prêtre, le bourgeois, n'est pas en sûreté dans son lit; on abandonne la culture des terres où on les laboure le sabre à la main. On fait encore une paix forcée (1568); mais chaque paix est une guerre sourde, et tous les jours sont marqués par des meurtres et par des assassinats.

Bientôt la guerre se fait ouvertement; c'est alors que La Rochelle devint le centre

et le principal siège du parti réformé, la Genève de la France. Cette ville assez avantageusement située sur le bord de la mer pour devenir une république florissante, l'était déjà à plusieurs égards; car ayant appartenu aux rois d'Angleterre depuis le mariage d'Eléonore de Guienne avec Henri II, elle s'était donnée au roi de France, Charles V, à condition qu'elle aurait droit de battre, en son propre nom, de la monnaie d'argent, et que ses maires et ses échevins seraient réputés nobles: beaucoup d'autres privilèges, et un commerce assez étendu, la rendaient assez puissante: et elle le fut jusqu'au temps du cardinal de Richelieu. La reine Elisabeth la favorisait: elle dominait alors sur l'Aunis, la Saintonge et l'Angoumois, où se donna la célèbre bataille de Jarnac..

Le duc d'Anjou, depuis Henri III, à la têté de l'armée royale, avait le nom de général; le maréchal de Tavannes l'était en effet; it fut vainqueur (1569). Le prince Louis de Condé fut tué, ou plutat assassiné après sa défaite par Montesquiou, capitaine des gardes du duc d'Anjou. Coligni, qu'on nomme toujours l'amiral, quoiqu'il ne le fût plus, rassembla les débris de l'armée vaincue, et rendit la victoire des royalistes inutile. La reine de Navarre, Jeanne d'Albret, veuve du faible Antoine, présenta son fils à l'armée, le fit reconnaître chef du parti; de sorte que Henri IV, le meilleur des rois de France, fut, ainsi que le bon roi Louis XII, rebelle avant que de régner. L'amiral Coligni fut

le chef veritable et du parti et de l'armée, et servit de père à Henri IV et aux princes de la maison de Condé. Il soutint seul le poids de cette cause malheureuse, manquant d'argent, et cependant ayant des troupes; trouvant l'art d'obtenir des secours allemands, sans pouvoir les acheter; vaincu encore à la journée de Moncontour (1569), dans le Poitou, par l'armée du duc d'Anjou, et réparant toujours les ruines de son parti.

Il n'y avait point alors de manière uniforme de combattre. L'infanterie allemande et suisse ne se servait que de longues piques; la française employait plus ordinairement des arquebuses avec de courtes hallebardes: la cavalerie allemande se servait de pistolets; la française ne combattit guère qu'avec la lance. On entremêlait souvent les bataillons et les escadrons: les plus fortes armées n'allaient pas alors à vingt mille hommes; on n'avait pas de quoi en payer davantage. Mille petits combats suivirent la bataille de Moncontour dans toutes les provinces.

Enfin, au milieu de tant de désolations, une nouvelle paix semble faire respirer la France; mais cette paix ne fait que la préparation de la Saint-Barthélemi (1570). Cette affreuse journée fut méditée et préparée pendant deux années. On a peine à concevoir comment une femme telle que Catherine de Médicis, élevée dans les plaisirs, et à qui le parti huguenot était celui qui lui faisait le moins d'ombrage, put prendre une résolution si barbare. Čette horreur étonne

encore davantage dans un roi de vingt ans. La faction des Guises eut beaucoup de part à l'entreprise; deux Italiens, depuis cardinaux, Birague et Retz, disposèrent les esprits. On se faisait un grand honneur alors des maximes de Machiavel, et surtout de celle qu'il ne faut pas faire le crime à demi: la maxime qu'il ne faut jamais commettre de crimes eût été même plus politi que; mais les mœurs étaient devenues féroces par les guerres civiles, malgré les fêtes et les plaisirs que Catherine de Médicis entretenait toujours à la cour. Ce mélange de galanterie et de fureurs, de voluptés et de carnage, forme le plus bizarre tableau où les contradictions de l'espèce humaine se soient jamais peintes. Charles IX, qui n'était point du tout guerrier, était d'un tempérament sanguinaire: et quoiqu'il eût des maîtresses, son cœur était atroce. C'est le premier roi qui ait conspiré contre ses sujets. La trame fut ourdie avec une dissimulation aussi profonde que l'action était horrible: une seule chose aurait pu donner quelque soupçon; c'est qu'un jour que le roi s'amusant à chasser des lapins dans un clapier: »Faites-les moi tous sortir, dit-il, »afin que j'aie le plaisir de les tuer tous.< Aussi un gentilhomme du parti de Coligni quitta Paris, et lui dit, en prenant congé de lui: »Je m'enfuis, parce qu'on nous fait trop »de caresses.<<

(1572) L'Europe ne sait que trop comment Charles IX maria sa sœur Henri de Na

varre, pour le faire donner dans le piège; par quels serments il le rassura, et avec quelle rage s'exécutèrent enfin ces massacres projetés pendant deux années. Le P. Daniel dit que Charles IX »joua bien la comédie, qu'il fit parfaitement son personnage.<< Je ne répéterai point ce que tout le monde sait de celte tragédie abominable: une moitié de la nation égorgeant l'autre, le poignard et le crucifix en main; le roi lui-même tirant d'une arquebuse sur les malheureux qui fuyaient. Je remarquerai seulement quelques particularités: la première, c'est que, si on en croit le duc de Sulli, l'historien Matthieu et tant d'autres, Henri IV leur avait souvent raconté que, jouant aux dés avec le duc d'Alençon et le duc de Guise, quelques jours avant la Saint-Barthélemi, ils virent deux fois des taches de sang sur les dés, et qu'ils abandonnèrent le jeu saisis d'épouvante. Le jésuite Daniel, qui a recueilli ce fait, devait savoir assez de physique pour ne pas ignorer que les points noirs, quand ils font un angle donne avec les rayons du soleil, paraissent rouges; c'est ce que tout homme peut éprouver en lisant: et voilà à quoi se réduisent tous les prodiges. Il n'y eut certes dans toute cette action d'autre prodige que cette fureur religieuse, qui changeait en bêtes féroces une nation qu'on a vue souvent si douce et si légère.

Le jésuite Daniel répète encore que, lorsqu'on eut pendu le cadavre de Coligni au

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