Page images
PDF
EPUB

l'être; homme vigilant, infatigable, ne se permettant aucun des plaisirs qui détournent des affaires, et fait pour être chef de parti, poste toujours glissant, où l'on a également à craindre ses ennemis et ses amis. Ce titre, ce rang, ces qualités de chef de parti, étaient depuis long-temps dans presque toute l'Europe l'objet et l'étude des ambitieux. Les guelfes et les gibelins avaient commencé en Italie; les Guises et les Colignis établirent depuis en France une espèce d'école de cette politique qui se perpétua jusqu'à la majorité de Louis XIV.

Louis XIII était réduit à assiéger ses propres villes. On crut réussir devant Montauban comme devant Clérac; mais le connétable de Luines y perdit presque toute l'armée du roi sous les yeux de son maître.

Montauban était une de ces villes qui ne soutiendraient pas aujourd'hui un siège de quatre jours; elle fut si mal investie que le duc de Rohan jeta deux fois du secours dans la place à travers les lignes des assiégeants. Le marquis de La Force, qui commandait dans la place, se défendit mieux qu'il ne fut attaqué: c'était ce même Jacques Nompar de La Force, si singulièrement sauvé de la mort dans son enfance aux massacres de la Saint-Barthélemi, et que Louis XIII fit depuis maréchal de France. Les citoyens de Montauban, à qui l'exemple de Clérac inspirait un courage désespéré, vo ulaient s'ensevelir sous les ruines de la ville plutôt que de se rendre..

Le connétable ne pouvant réussir par les armes temporelles, employa les spirituelles: il fit venir un carme espagnol qui avait, diton, aidé par ses miracles l'armée catholique des Impériaux à gagner la bataille de Prague contre les protestants. Le carme, nommé Dominique, vint au camp; il bénit l'armée, distribua des agnus, et dit au roi: >>Vous ferez tirer quatre cents coups de >canon, et au quatre centième Montauban >>capitulera:<< Il pouvait se faire que quatre cents coups de canon bien dirigés produisissent cet effet: Louis les fit tirer; Montauban ne capitula point, et il fut obligé de lever le siège.

(1521) Cet affront rendit le roi moins respectable aux catholiques, et moins terrible aux huguenots. Le connétable fut odieux à à tout le monde: il mena le roi se venger de la disgrâce de Montauban sur une petite ville de Guienre, nommée Monheur; une fièvre y termina sa vie. Toute espèce de brigandage était alors si ordinaire, qu'il vit en mourant piller tous ses meubles, son équipage, son argent, par ses doméstiques et par ses soldats, et qu'il resta à peine un drap pour ensevelir l'homme le plus puissant du royaume, qui d'une main avait tenu l'épée de connétable, et de l'autre les sceaux de France: il mourut haï du peuple et de son maître.

Louis XIII était malheureusement engagé dans la guerre contre une partie de ses sujets. Le duc de Luines avait voulu cette

guerre pour tenir son maître dans quelque embarras, et pour être connétable. Louis XIII s'était accoutumé à croire cette guerre indispensable: on doit transmettre à la postérité les remontrances que Duplessis-Mornai lui fit à l'age de près de quatre-vingts ans. Il lui écrivait ainsi, après avoir épuisé les raisons les plus spécieuses: »Faire la guerre »à ses sujets, c'est témoigner de la faiblesse: l'autorité consiste dans l'obéissance <»paisible du peuple; elle s'établit par la >>prudence et par la justice de celui qui »gouverne. La force des armes ne se doit <»>employer que contre un ennemi étranger. »Le feu roi aurait bien renvoyé à l'école »des premiers éléments de la politique ces >>nouveaux ministres d'état qui, semblables >aux chirurgiens ignorants, n'auraient point >>eu d'autres remèdes à proposer que le fer »et le feu, et qui seraient venus lui conseil»ler de se couper un bras malade avec ce»lui qui est en bon état.<

Ces raisons ne persuadèrent point la cour: le bras malade donnait trop de convulsions au corps; et Louis XIII n'ayant pas cette force d'esprit de son père qui retenait les protestants dans le devoir, crut pouvoir ne les réduire que par la force des armes. Il marcha donc encore contre eux dans les provinces au-delà de la Loire à la tête d'une petite armée d'environ treize à quatorze mille hommes. Quelques autres corps de troupes étaient répandus dans ces provinces. Le dérangement des finances ne

permettait pas des armées plus considérables: et les huguenots pouvaient en opposer de plus fortes.

(1622) Soubise, frère du duc de Rohan, se retranche avec huit mille hommes dans l'île de Ries, séparée du Bas-Poitou par un petit bras de mer. Le roi y. passe à la tête de son armée, à la faveur du reflux, défait entièrement les ennemis, et force Soubise à se retirer en Angleterre. On ne pouvait montrer plus d'intrépidité, ni remporter une victoire plus complète. Ce prince n'avait guère d'autre faiblesse que celle d'être gouverné dans sa maison, dans son état, dans ses affaires, dans ses moindres occupations: cette faiblesse le rendit malheureux toute sa vie. A l'égard de sa victoire, elle ne servit qu'à faire trouver aux chefs calvinistes de nouvelles ressources.

On négociait encore plus qu'on ne se battait, ainsi que du temps de la Ligue et dans toutes les guerres civiles. Plus d'un seigneur rebelle, condamné par un parlement au dernier supplice, obtenait des récompenses et des honneurs tandis qu'on l'exécutait en effigie. C'est ce qui arriva au marquis de La Force qui avait chassé l'armée royale devant Montauban, et qui tenait encore la campagne contre le roi; il eut deux cent mille écus et le bâton de maréchal de France. Les plus grands services n'eussent pas été mieux payés que sa soumission fut achetée. Châtillon, ce petit-fils de l'amiral Coligni, vendit au roi la ville d'Aigues-Mortes, et

[ocr errors]

fut aussi maréchal. Plusieurs firent ache ter ainsi leur obéissance. Le seul Lesdiguières vendit sa religion; fortifié alors dans le Dauphiné, et y faisant encore profession du calvinisme, il se laissait ouverte, ment solliciter par les huguenots de revenir à leur parti, et laissait craindre au roi qu'il ne rentrât dans la faction.

(1622) On proposa dans le conseil de le tuer ou de le faire connétable; le roi prit ce dernier parti; et alors Les diguières devint en un instant catholique; il fallait l'être pour être connétable, et non pas pour être maréchal de France; tel était l'usage. L'épée de connétable aurait pu être dans les mains d'un huguenot, comme la surintendance des finances y avait été si long-temps; mais il ne fallait pas que le chef des armées et des conseils professât la religion des calvinistes en les combattant. Ce changement de religion dans Lesdiguières aurait déshonoré tout particulier qui n'eût eu qu'un petit intérêt; mais les grands objets de l'ambition ne connaissent point la honte.

Louis XIII était done obligé d'acheter sans cesse des serviteurs, et de négocier avec ́des rebelles. I met le siège devant Montpellier; et craignant la même disgrâce que devant Montauban, il consent à n'être reçu dans la ville qu'à condition qu'il confirmera l'édit de Nantes et tous les privilèges. n semble qu'en laissant d'abord aux autres villes calvinistes leurs privilèges, et en suivant les conseils de Duplessis-Mornai, il se serait

« PreviousContinue »