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son invasion. La reine d'Angleterre alors, ayant fait mourir quatorze conjurés, fit juger Marie, son égale, comme si elle avait eté sa sujette (1586). Quarante-deux membres du parlement et cinq juges du royaume, allèrent l'interroger dans sa prison à Forteringai; elle protesta, mais répondit. Jamais jugement ne fut plus incompétent, et jamais procédure ne fut plus irrégulière; on lui représenta de simples copies de ses lettres et jamais les originaux; on fit valoir contre, elle les témoignages de ses secrétaires, et on ne les lui confronta point. On prétendit la convaincre sur la déposition de trois conjurés qu'on avait fait mourir, et dont on aurait pu différer la mort pour les examiner avec elle. Enfin, quand on aurait procédé avec les formalités que l'équité exige pour le moindre des hommes, quand on aurait prouvé que Marie cherchait partout des secours et des vengeurs, on ne pouvait la déclarer criminelle. Elisabeth n'avait d'autre juridiction sur elle que celle du puissant sur le faible et sur le malheureux.

Enfin, aprés dix-huit ans de prison dans un pays qu'elle avait imprudemment choisi pour asile, Marie eut la tête tranchée dans une chambre de sa prison tendue de noir (1587). Elisabeth sentait qu'elle faisait une action très condamnable; et elle la rendit encore plus odieuse en voulant tromper le monde, qu'elle ne trompa point, en affectant de plaindre celle qu'elle avait fait mourir, en prétendant qu'on avait passé ses ordres,

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et en faisant mettre en prison le secrétaire d'état qui avait, disait-elle, fait exécuter trop tôt l'ordre signé par elle-même. L'Europe eut en horreur sa cruauté et sa dissimulation. On estima son règne, mais on détesta son caractère. Ce qui condamna davantage Élisabeth, c'est qu'elle n'était point forcée à cette barbarie; on pouvait même prétendre que la conservation de Marie lui était nécessaire pour lui répondre des attentats de ses partisans.

Si cette action flétrit la mémoire d'Elisabeth, il y a une imbécillité fanatique à canoniser Marie Stuart comme une martyre de la religion; elle ne le fut que de son adultère, du meurtre de son mari, et de son imprudence; ses fautes et ses infortunes ressemblèrent parfaitement à celles de Jeanne de Naples; toutes deux belles et spirituelles, entraînées dans le crime par faiblesse, toutes deux mises à mort par leurs parents. L'histoire ramène souvent les mêmes malheurs, les mêmes attentats, et le crime puni par le crime.

CHAPITRE CLXX.

De la France vers la fin du seizième siècle, sous François II.

TANDIS que l'Espagne intimidait l'Europe par sa vaste puissance, et que l'Angleterre jouait le second rôle en lui résistant, la France était déchirée, faible, et près d'être démembrée: elle était loin d'avoir en Eu

rope de l'influence et du crédit. Les guerres civiles la rendirent dépendante de tous ses voisins. Ces temps de fureur, d'avilissement et de calamités, ont fourni plus de volames que n'en contient toute l'histoire romaine. Quelles furent les causes de tant de malheurs la religion, l'ambition, le défaut de bonnes lois, un mauvais gouvernement.

Henri II, par ses rigueurs contre les sectaires, et surtout par la condamnation du conseiller Anne du Bourg, exécuté après la mort du roi, par l'ordre des Guises, fit beaucoup plus de calvinistes en France qu'il n'y avait en Suisse et à Genève. S'ils avaient paru dans un temps comme celui de Louis XII, où l'on faisait la guerre à la cour de Rome, on eût pu les favoriser; mais ils venaient précisément dans le temps que Henri II avait besoin du pape Paul IV pour disputer Naples et Sicile à l'Espagne, et lorsque ces deux puissances s'unissaient avec le Turc contre la maison d'Autriche. On crut done devoir sacrifier les ennemis de l'Église aux intérêts de Rome. Le clergé, puissant à la cour, craignant pour ses biens temporels et pour son autorité, des poursuivit; la politique, l'intérêt, le zèle, concourrurent à les exterminer. On pouvait les tolérer, comme Elisabeth en Angleterre toléra les catholiques; on pouvait conserver de bons sujets, en leur laissant la liberté de conscience. Il eût importé peu à l'état qu'ils chantassent à à leur manière, pourvu qu'ils eussent été sou

mis aux lois de l'état: on les persécuta, et on en fit des rebelles.

La mort funeste de Henri II fut le signal de trente ans de guerres civiles. Un roj enfant gouverné par des étrangers, des princes du sang et de grands officiers de la couronne, jaloux du crédit des Guises, commencèrent la ́ subversion de la France.

La fameuse conspiration d'Amboise est la première qu'on connaisse en ce pays. Les ligues faites et rompues, les mouvements passagers, les emportements et le repentir, semblaient avoir fait jusque alors le caractère des Gaulois, qui, pour avoir pris le nom de Francs, et ensuite de Français, n'avaient pas changé de mœurs. Mais il y eut dans cette conspiration une audace qui tenait de celle de Catilina, un manège, une profondeur, et un secret qui la rendait semblable à celle des Vêpres siciliennes et des Pazzi de Florence. Le prince Louis de Condé en fut l'âme invisible, et conduisit cette entreprise avec tant de dextérité, que quand toute la France sut qu'il en était le chef, personne ne put l'en

convaincre.

Cette conspiration avait cela de particulier qu'elle pouvait paraître excusable, en ce qu'il s'agissait d'êter le gouvernement à François, duc de Guise, et au cardinal de Lorraine, son frère, tous deux étrangers, qui tenaient le roi en tutelle, la nation en esclavage, et les princes du sang et les officiers de la couronne éloignés: elle était très-criminelle en ce qu'elle attaquait les droits d'un roi ma

jeur, maître par les lois de choisir les dépositaires de son autorité. Il n'a jamais été prouvé que dans ce complot on eût résolu de tuer les Guises; mais comme ils auraient résisté, leur mort était infaillible, Cinq cents gentilshommes, tous bien accompagnés, et mille soldats déterminés, conduits par trente capitaines choisis, devaient se rendre au jour marqué, du fond des provinces du royaume, dans Amboise où était la cour. Les rois n'avaient point encore la nombreuse garde qui les entoure aujourd'hui: le régiment des gardes ne fut formé que par Charles IX. Deux cents árchers tout au plus accompagnaient François II. Les autres rois dé l'Europe n'en avaient pas davantage. Le connétable de Montmorenci, revenant depuis dans Orléans, où les Guises avaient mis une garde nouvelle à la mort de François II, chassa ces nouveaux soldats, et les menaça de les faire pendre comme des ennemis qui mettaient une barrière entre le roi et son peuple.

La simplicité des mœurs antiques était encore dans le palais des rois; mais aussi ils étaient moins assurés contre une entreprise déterminée. Il était aisé de se saisir, dans la maison royale, des ministres, du roi même; le succès semblait sûr. Le secret fut gardé par tous les conjurés pendant près de six mois: l'indiscrétion du chef, nommé du Barri de La Renaudie, qui s'ouvrit dans Paris à un avocat, fit découvrir la conjuration: elle n'en fut pas moins exécutée; les conjurés n'allèrent pas moins au rendez-vous.

Leur

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