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il ne mérite pas d'être comparé, avait commencé l'œuvre, et l'on sait assez quelles oppositions il rencontra. Dans les premières années de la régence d'Anne d'Autriche, la royauté radoucie sembla plutôt tolérée que véritable ment maîtresse. Dès qu'elle voulut reprendre les traditions de Richelieu, il y eut explosion. Grands seigneurs, magistrats, bourgeois, gens du peuple, tout le monde s'éveilla, chercha les lois, parla de liberté. Il faut lire dans les Mémoires de Retz 1 (2e partie), l'éloquente et profonde peinture de l'état de la nation qui se remettait à peine du despotisme de Richelieu, et se refusait à croire qu'elle fût faite pour une servitude sans espoir. Vingt ans plus tard les résistances sont tombées. Soit épuisement, soit habiles concessions de Mazarin, les principaux acteurs de l'insurrection se calment, rentrent dans la sujétion, ou disparaissent de la scène. Louis XIV trouve le royaume pacifié, l'autorité rétablie. Elle eût pu être modérée, c'était l'intérêt bien évident de la royauté et de la nation : il voulut qu'elle fût absolue. Nobles et Parlement s'inclinèrent; l'Église applaudit à l'abaissement de tous devant un e seul et y travailla: quant au peuple, le temps n'était pas encore venu où il devait élever la voix. Une société toute nouvelle se forma, dans laquelle un seul fut maître de la vie et des biens de tous 2. Les théoriciens du pouvoir démontrèrent à grand renfort de textes tirés de l'Écriture sainte « que les rois ont le droit de tout faire impunément

1. La librairie Hachette vient de publier les deux premiers volumes d'une édition qui sera la première édition complète, et, on peut le croire, définitive. Elle est due au savant et consciencieux M. Feillet, qu'une mort prématurée a enlevé aux lettres.

2. En 1710 un impôt du dixième fut proposé au roi par Desmarets, contrôleur général. Il eut quelques scrupules. Tellier et les docteurs

par rapport à la justice humaine. » Ils sont les élus de Dieu, ils sont des Dieux (Bossuet). Le roi étant l'unique source de tout pouvoir et de toute faveur, la nation tout entière se prosterne à ses pieds, le glorifie, l'implore, l'a dore. Il y eut un débordement d'adulation et de servilite que le monde chrétien ne connaissait pas. Écoutons Saint

Simon :

Le cruel poison de la flatterie le déifia dans le sein mêm du christianisme. Ce n'est pas trop dire que, sans la crainte d diable que Dieu lui laissa jusque dans ses plus grands désor dres, il se serait fait adorer, et aurait trouvé des adorateurs témoin, entre autres, ces monuments si outrés, pour en parle même sobrement, sa statue de la place des Victoires, et s païenne dédicace où j'étais, où il prit un plaisir si exquis.

Le dieu n'est pas un tyran cruel, ombrageux, injuste c'est un maître humain qui ne doit rien à ses sujets, mai qui consent à faire quelque chose pour eux. Il ne se mor tre guère que revêtu de majesté, dans toute la splende de sa gloire. Convaincu le premier de la sublimité de so rôle, de sa mission divine, il veut qu'autour de lui to conspire à relever l'éclat de la couronne. L'étiquette de vient la première des sciences et la plus compliquée Chacun sait au juste la place qui lui est assignée dans cortége royal et l'attitude qui est commandée devant roi. Lui, dans la sérénité de la toute-puissance, contem ple ces longues files de courtisans qui, sur un signe lui,.se meuvent, parlent, se taisent, revêtent tel ou tel co

de Sorbonne consultés, répondirent que les biens des sujets sont roi. « Il ne douta plus, dit Saint-Simon, que tous les biens ses sujets ne fussent siens, et que ce qu'il n'en prenait pas et q leur laissait, ne fût de pure grâce. »

tume 1. Il n'entre pas dans sa pensée qu'on puisse opposer la moindre résistance à sa volonté. Son autorité est aussi absolue dans sa famille, que sur ses sujets. Il opprime et anéantit, mais sans intention méchante, par le simple épanchement d'une personnalité que rien n'arrête. Ce n'est pas par cruauté qu'il expose la vie de telle princesse de sa famille, condamnée à suivre tous les divertissements de la cour; c'est plutôt par affection, parce qu'il aime à l'avoir près de lui. Le père de La Chaise est mourant; ce n'est pas par inhumanité qu'il se fait apporter le cadavre (Saint-Simon), c'est qu'il aime à entendre son confesseur. Il sent qu'il est le maître, et le fait sentir à tous. Persuadé qu'il est le représentant de Dieu sur la terre, il croit qu'il peut, comme Dieu, créer ou communiquer le génie, que son choix suffira pour faire du pauvre Chamillard un grand ministre, de Villeroy un grand général. C'est un prince fort pieux, très-exact dans ses dévotions, et qui, en vieillissant, sera de plus en plus la proie de son confesseur. Fort ignorant de toutes les choses qu'on apprend dans les livres, il ne sait même pas de quoi il est question dans les querelles religieuses où il intervient avec tant d'assurance et de dureté. Saint-Simon en rapporte un exemple qui a bien son prix.

Le roi demande au duc d'Orléans qui allait rejoindre Berwick en Espagne, qui il emmène avec lui. Le duc nomme Fontpertuis. < Comment mon neveu, reprit le roi avec émotion, le fils de cette folle qui a couru M. Arnauld partout! un jansé

1. D'Argenson s'exprime ainsi : « Le roi était adoré comme une belle et orgueilleuse divinité. Notre vanité nous faisait admirer le beau comédien, dans son rôle de fier monarque, quoique au fond ce fût un véritable tyran de ses peuples guerres injustes, bâtiments énormes, luxe oriental, véritable cause de notre ruine présente. »

niste! Je ne veux point de cela avec vous.

sais pas ce qu'a fait la mère, mais pour le d'être janséniste, car il ne croit pas en Dieu. reprit le roi en se radoucissant.

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Ma foi, sire, je ne fils, il n'a garde Est-il possible?

Rien de plus certain, sire, Puisque cela est, il n'y a point de

je puis vous en assurer.
mal, vous pouvez l'emmener. »

Ce qui domine en lui, c'est la foi en la légitimité du pouvoir absolu, et la résolution formelle de périr plutôt que d'y laisser porter atteinte. C'est de là que vient le goût de la magnificence, du faste, de tout ce qui pouvait rehausser la décoration de la scène où il jouait le premier rôle. Incapable de comprendre et de juger les œuvres d'art quelles qu'elles fussent, un secret instinct l'avertissait du plus ou moins de rapport qu'il y avait entre elles et la royauté telle qu'il la voulait. Ce qu'il goûtait par-dessus tout, c'était l'ordre, la régularité, la noblesse soutenue. La force, l'originalité, la grâce, le touchaient moins. I proscrivit le cartésianisme, dont il ne sut jamais le premier mot; il persécuta le jansénisme, dont il n'avait pas la moindre idée; il ne comprit rien à La Fontaine. Quant au familier et au burlesque dans les arts, il l'avait en aversion profonde 1. Les monuments qu'il fit exécuter sous son règne, la colonnade du Louvre, l'hôtel des Invalides, l'Observatoire, l'Arc de triomphe, respirent une majesté froide et ennuyée. Le chef-d'œuvre du genre, e son chef-d'œuvre à lui, c'est Versailles, le temple du dieu On a essayé, on essaiera en vain d'approprier à des usages modernes le pompeux édifice, il résistera toujours. L'om

1. Surtout depuis son mariage avec la veuve de Scarron. Plus jeune il aimait fort les bouffons italiens, le fameux Scaramouche surtout qu'il payait plus cher que Molière.

bre de Louis XIV l'habite et le remplit à jamais : tel hôte, telle demeure.

Après le roi, à égale distance du roi et du reste de la nation, viennent les grands seigneurs. Ils forment le cortége naturel de la royauté. C'est sur eux que s'abattit d'abord le joug qui pesa bientôt sur tous les sujets. Le roi, qui était d'une politesse exquise, était en retour le plus exigeant des maîtres. Affections de famille, santé, intérêts de fortune, tout devait être sacrifié aux devoirs de courtisan. Il fallait un congé régulier pour se dispenser d'assiser au lever et au coucher du roi. Il ne tolérait aucun nanquement, il n'en oubliait aucun. Seul dispensateur des grâces, il tenait par là toute sa noblesse. Talents, ervices rendus, mérite incontestable, tout cela n'était ien sans l'assiduité à faire sa cour. Il excellait dans cet rt difficile et cruel d'entretenir l'émulation, d'exciter les ivalités. On se disputait un regard, un mot, un sourire; mesurait à chacun suivant son rang et ses mérites réels u imaginaires, les moindres marques d'une attention ujours proportionnée et jamais en défaut. C'est à lui, à i seul que l'on s'adressait pour obtenir avancement, marges, pensions, dignités, argent. Il tirait de l'obscurité,

néant, le plus humble gentilhomme de son royaume, 1 même un simple bourgeois, pour le placer sur les têtes s plus hautes. Ambitieux, vaniteux, nécessiteux, tous aient prêts à tout pour plaire au roi. Ceux qui se tenaient -bout quand même, comme Saint-Simon, étaient laissés à cart; ceux à qui échappait une parole imprudente ou évérencieuse, étaient perdus, témoin Bussy-Rabutin. prières, ni marques de repentir, ni l'avilissement le is cruel des suppliants ne pouvaient le fléchir. Tant de

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