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approuvés. » Boileau, c'est-à-dire le bon sens, répondit par l'arrêt burlesque pour le maintien de la doctrine d'Aristote, et épargna au Parlement un ridicule qui demeura tout entier à l'Université. Elle dut se contenter des interdictions déjà prononcées, et de la satisfaction un peu sèche de faire terrasser la nouvelle doctrine par les malheureux candidats aux chaires de philosophie. On peut voir dans l'ouvrage si instructif de M. Bouillier (Histoire du Cartésianisme) le détail de ces persécutions odieuses et puériles. Le roi, absolument étranger à ces questions comme à tant d'autres, obéissait à ses confesseurs jésuites. Et d'ailleurs, la philosophie n'ajoutait rien à sa gloire, et elle apprenait à penser: cela suffisait bien pour la rendre suspecte. Rapprochement pénible, le cartésianisme réduit en France à se cacher, à se dissimuler, était accueilli avec enthousiasme dans tous les pays étrangers, et faisait presque partout la matière de l'enseigne

ment.

Essayons d'abord de dégager des diverses biographies de Descartes les traits caractéristiques de sa physio nomie.

Et d'abord, ce n'est pas un Breton, comme l'a prétend M. Cousin qui se plaît à retrouver en lui une sorte parenté intellectuelle et morale avec Pélage, Abélard, sans doute aussi Châteaubriand et Lamennais, ces indis ciplinés d'une si forte personnalité. C'est un Tourangeau il est né dans la petite ville de La Haye, d'un père Toura geau et d'une mère Poitevine 1. Sa famille était ancient

1. M. Vapereau a montré que non-seulement il n'était pas Breto mais que la coutume de Bretagne lui interdisait de l'être. (Voir troduction au Discours de la méthode, libr. Hachette.)

et noble. Il naquit chétif, et sa santé exigea toujours les plus grands ménagements. Il semble avoir été d'humeur douce, pacifique surtout, et tout disposé à bien des sacrifices pour conserver la paix. C'est par là qu'il réussit, non sans peine, à allier l'indépendance de pensée qui était son génie même, à toutes les soumissions extérieures que réclamait le soin de sa tranquillité. En un mot il n'est pas de ceux qui confessent leur foi sur des bûchers. Il fut élevé chez les jésuites de la Flèche et s'y lia avec Mersenne qui fut plus tard son correspondant ordinaire, son confident, le lien qui le rattachait à la société des savants. Bon élève, appliqué, consciencieux, il montra toujours une préférence marquée pour les mathématiques, à cause de la certitude absolue des résultats. Les belles lettres, et particulièrement l'éloquence, la poésie, l'histoire lui plaisaient médiocrement. Sorti du collége, il ne voulut pas, malgré les instances de sa famille, faire choix d'une carrière déterminée, et il se mit à voyager; dans quel but? Il nous l'apprend lui-même : « Je ne fis autre chose <pendant neuf ans, que rouler çà et là dans le monde, « tâchant d'y être spectateur plutôt qu'acteur dans les comédies qui s'y jouent. » - Cependant il porta les armes pendant deux années, au service de Maurice de Nassau (1619-1621), fit la campagne de Bohême, et entra avec l'armée victorieuse dans Prague. Cette terrible guerre de Trente ans qui commençait alors, semble l'avoir fort peu intéressé, et les spectacles qu'il eut sous les yeux lui laissèrent peu d'estime pour la noble profession des armes. J'ai bien de la peine, dit-il, à lui donner place entre les professions honorables, voyant que l'oisiveté et le libertinage sont les deux principaux motifs qui y portent au

« jourd'hui la plupart des hommes. » Au reste, aucune des occupations auxquelles se livrent les hommes ne pouvait lui plaire. Dès cette époque même, et pendant qu'il roulait ainsi dans le monde, il avait trouvé le but de sa vie, ce but unique qui réclame et prend l'homme tout entier. Qu'est-ce auprès de cela que les agitations' mesquines, la poursuite des biens, des places, des vanités dont on se repaît sans se rassasier jamais ? C'est à la recherche de la vérité que Descartes consacrera désormais son temps, sa fortune, toutes ses facultés. Dès l'année 1620, sa résolution est prise; il la porte en lui, il l'entretient, la nourrit sur les champs de bataille, sous la tente, au bivouac, dans ce poêle où il s'enferme pendant les longues veillées militaires. Et ce n'est pas un projet caressé dans la ferveur de l'âge il est déjà entré dans la voie qu'il doit suivre jusqu'au bout; il a déjà conquis les premiers principés de cette méthode si puissante, si féconde, que sa vie consacrée tout entière au travail, ne suffira pas à en recueillir les résultats. Il a raconté lui-même l'espèce d'éblouissement, d'enivrement où le jeta sa découverte. Sa puissante raison faillit y succomber : il était comme écrasé, anéanti sous les flots de lumière qui venaient l'assaillir, qui lui découvraient dans tous les sens des horizons infinis. Il ne pouvait plus en douter, il avait trouvé les fondement d'une science admirable (Mirabilis scientiæ funda menta reperirem). A partir de ce moment, Descarte est un homme qui, se sentant chargé d'un dépôt précieux divin, n'a plus qu'une idée, chercher un lieu qui fût dign de servir de berceau à la science nouvelle. Après avoi traversé l'Allemagne, il revient en France, y séjourne per se dirige vers la Hollande, s'y arrête, se met à l'œuvr

Il y était plus libre qu'ailleurs; il était aussi plus facile d'y cacher sa vie; cependant, dès qu'il commence à être connu, à éveiller les soupçons, il change de résidence. Son dernier lieu de réfuge fut la Suède. Il espéra trouver près de la reine Christine, qui l'appelait, une liberté complète et des secours puissants pour la continuation de ses expériences. L'âpre climat du Nord, si peu fait pour lui, toujours languissant, le tua en six mois. Parmi les perspectives enivrantes que la science admirable avait déroulées à ses yeux, il avait vu la prolongation indéfinie de la vie humaine. Ses amis, qui lui avaient voué une sorte de culte, ne pouvaient croire que la nature n'eût pas fait pour lui une exception, en attendant qu'il trouvât lui-même le secret de supprimer pour tous la nécessité de la mort. - C'est par ce sacrifice absolu à la cause de la science et de la vérité qu'on peut expliquer, sinon justifier, l'étrange concession qu'il fit en 1633. Il se préparait alors à publier son Traité du monde, fondé tout entier sur le système de Copernic; le père Mersenne, son correspondant, son éditeur, attendait de jour en jour le manuscrit annoncé. Le manuscrit ne lui fut jamais envoyé, et il fut brûlé par l'auteur. Pourquoi? Descartes venait d'apprendre que Galilée, coupable d'avoir émis la même opinion, avait été arrêté, emprisonné, peut-être torturé, en tous cas forcé d'abjurer. Il ne se sentit par le courage de s'exposer à la persécution; il alla jusqu'à déclarer au père Mersenne qu'il ne voudrait pour rien au monde qu'il sortit de lui un discours où il se trouvât le moindre mot qui fût désapprouvé par l'Église. » Il blâme l'imprudence de Galée; on dit même qu'il s'ingénia à chercher des raisons our nier le mouvement de la terre, et s'offrit de prouver

à un ecclésiastique que ce mouvement n'est pas réel 1. Son excuse, c'est que les libres chercheurs étaient alors fort malmenés. Jordano Bruno avait été brûlé à Rome en 1600, Vanini à Toulouse en 1619; Campanella emprisonné et mis treize fois à la torture; Galilée sortait à grand'peine des griffes du Saint-Office. Ajoutons encore que Descartes se regarda toujours comme comptable envers la postérité, des vérités qu'il avait découvertes. Le souci de sa réputation parmi les vivants le préoccupait peu; il songeait à l'avenir: il voulait assurer aux hommes qui n'étaient pas encore nés, le résultat de tant de travaux et de si admirables découvertes. Le Traité du monde fut anéanti, mais les vérités qu'il renfermait ne périrent pas : elles furent disséminées dans tous les ouvrages que publia l'auteur. C'est là sa véritable excuse. Sous peine d'ingratitude, il ne nous est pas permis à nous de ne pas l'accepter.

Les philosophes du XVIIIe siècle n'estimaient en Descar tes que le mathématicien, et tournaient en ridicule sa métaphysique. Les philosophes de nos jours qui ont remis er honneur le cartésianisme, l'ont presque réduit à la métaphysique. Il fallait avant tout restaurer le spiritualism fort compromis et fort décrié. On sait la part considérabl qui revient à M. Cousin dans cette croisade contre le doctrines matérialistes, et l'éloquence qu'il déploya. Il eu de nombreux disciples, qui tous, ou presque tous, on repris et développé la thèse du maître. Mais il y a autr chose dans le cartésianisme. Descartes n'est pas un pu métaphysicien ce puissant esprit avait embrassé, dan

1. J'emprunte ces détails à la thèse de M. Millet (Descart avant 1637).

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