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de gênes qui pèsent cruellement sur eux? Quel singulier emploi de toute une vie, que de peser les mots, demander à chacun sa carte d'entrée, prononcer des exclusions? Quoi! l'auteur de génie que l'inspiration échauffera, qui aura besoin pour rendre une pensée grande, neuve, vraie, d'un mot à lui, ne pourra l'employer, si le tribunal des caillettes et des courtisans le condamne? Il lui faudra hésiter, trembler, laisser refroidir la vive chaleur de l'imagination, pour consulter les tables de proscription et s'assurer qu'il ne donne pas refuge à un proscrit? En vérité, M. de Vaugelas donne bien la mesure de son génie. Ce n'est pas un esprit original et fécond qui eût conçu l'idée d'un ouvrage de ce genre: « Les aigles ne s'amusent pas à prendre des mouches. >>

Vaugelas fut piqué au vif, on le voit assez par les passages de sa préface où il essaie de réfuter La Mothe Le Vayer qu'il ne nomme pas. Il n'en publia pas moins ses Remarques, et La Mothe Le Vayer, de son côté, releva avec plus d'esprit et de vivacité qu'il n'avait coutume un grand nombre des décisions édictées par le greffier de l'usage. Il s'en faut qu'il ait toujours raison; mais il n'a pas toujours tort. Le temps a fait justice des sévérités excessives de Vaugelas, et confirmé bien des revendications de son critique. Citons quelques exemples, des plus significatifs. Vaugelas comdamnait le substantif superbe. La Mothe Le Vayer le maintient. C'est Pascal qui se chargera de le donner définitivement à la langue française. Il dira en parlant des stoïciens: Cette superbe diabolique. Nous avons conservé, ou plutôt nous avons repris les mots suirants que rejetait le purisme du XVIIe siècle, bref, - en somme là où allait diminuant

lors de

courir la poste étrangers

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prouesse esclavage préalable -entaché, etc., etc. La conclusion de La Mothe Le Vayer eût mérité qu'on la méditât. La langue est pauvre, disait-il, ne l'appauvrissons pas davantage. Quant aux autorités alléguées par Vaugelas, et particulièrement l'illustre Coëffeteau, traducteur de Florus, La Mothe Le Vayer, excellent humaniste, relevait de cet auteur une bévue énorme et qui tue un homme : il avait pris la ville de Corfinium pour un nom de capitaine romain.

Les réclamations de La Mothe Le Vayer appuyées de celles de l'antique Scipion Dupleix, qui semble un pur contemporain d'Henri Estienne, n'arrêtèrent pas le mouvement d'épuration qui devenait irrésistible. Critiques et grammairiens, gens du monde bien-disants, chacun se piqua de raffiner le langage. L'enquête que le roi avait commandée sur les titres de noblesse, on la fit plus rigoureuse encore sur les mots. Beaucoup d'entre eux, qui se croyaient bons Français et de bonne compagnie, furent d'abord expulsés de la cour; la ville, après les avoir tolérés, les rejeta à son tour; le peuple les recueillit, les provinces leur donnèrent asile; ils attendirent, eux aussi, leur nuit du 4 août. Ces exécutions superbes et injustes, inquié taient, attristaient même, celui que Louis XIV appelai l'esprit le plus chimérique de son royaume, Fénelon. Vers la fin du règne, il écrivait à l'Académie :

Notre langue manque d'un grand nombre de mots et de phrases. Il me semble qu'on l'a gênée et appauvrie depuis environ cent ans, en voulant la purifier. Le vieux langage se fai regretter quand nous le retrouvons dans Marot, dans Amyot dans les ouvrages les plus enjoués et les plus sérieux. Il avai je ne sais quoi de court, de naïf, de hardi, de vif et de passionné

On a retranché, si je ne me trompe, plus de mots qu'on n'en a introduit. D'ailleurs je voudrais n'en perdre aucun, et en acquérir de nouveaux. Je voudrais autoriser tout terme qui nous manque, et qui a un son doux, sans danger d'équivoque.

Que cela est bien dit, dans une bonne et juste mesure! Ce vœu ne fut pas exaucé, on le pense bien. La société monarchique et aristocratique du xvII° siècle s'était fait une langue à son image. Les barrières inflexibles qui séparaient les classes, et souvent même les individus, on les retrouve dans le vocabulaire : les termes sont divisés en termes nobles et en termes bas. Chaque fraction de la nation a les siens, comme chaque genre de littérature. Le burlesque et le comique, tolérés d'abord en haut lieu, furent bientôt abandonnés au peuple. Les mots qui désignaient les objets les plus nécessaires de la vie usuelle subirent un véritable ostracisme. On fit un crime à Homère d'avoir employé le mot âne dans l'épopée, qui ne comporte que le style sublime. Il sembla qu'on eût juré de bannir les réalités. De là ce style majestueux, mais abstrait, ces idées et ces peintures générales, qui suppriment toute vérité particulière et sensible. Quand on oublie les intempérances et les audaces, fécondes après tout, de la langue de notre temps, et qu'on se remet au ton de la société polie de ce temps-là, on éprouve une sorte d'apaisement qui n'est pas sans charmes; mais bientôt l'uniformité et la noblesse soutenues fatiguent; les idées en petit nombre et fort ébranlées, pour ne pas dire plus, ne réveillent pas l'intérêt; la perfection de la forme, qui est réelle, semble achetée bien cher. N'est-ce pas l'impression que produit aussi le palais de Versailles, ce véritable monument du règne? Rien de plus noble, rien de plus imposant, rien

XVIIE SIÈCLE

de plus froid. Il ne semble pas que ce temple ait été fait pour loger des êtres assujétis aux nécessités de la vie : tout y est solennel et incommode. C'est l'argent et le labeur de la nation qui l'ont construit, comme c'est la France tout entière qui a fait sa langue; mais, ni dans l'édifice ni dans le langage de ceux qui l'habitent, rien ne rappelle celui qui pendant un siècle encore devait n'être rien, avant d'être tout. On voit dans les montagnes du Jura d'immenses forêts de sapins dont les masses sombres s'étagent sur les flancs des collines abruptes. Les arbres géants portent dans les nuages leurs cimes superbes et serrées. Les troncs droits et élancés sont nus, mais les rameaux des parties supérieures entrelacés et drus, interceptent la lumière et l'air : pas un arbuste ne peut vivre à l'ombre de ces redoutables colosses. Eux-mêmes se disputent les sucs d'un sol qu'ils épuisent, et font le combat de la vie. De maigres racines pour soutenir le faix écrasant du tronc et des branches. A chaque instant l'un d'eux, qui ne vit plus d'en haut, car il a été foudroyé, cesse de vivre par en bas et tombe; les plus robustes, c'est la cognée du bûcheron qui les abat. Ils n'ont pas de roi autrement ils seraient l'image de cette société aristocra tique qui sembla être la France si longtemps.

DESCARTES

Ce que Louis XIV a fait pour le cartesianisme.

Descartes hardiesse et prudence.

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La science universelle entre

Le spiritualisme.

ཞ། །ན༽ ། ཏི་ཨེཀ་

Le cartésianisme dans la littérature du xvII° siècle. de Descartes.

Le style

Il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de rattacher Descartes à cette époque qu'on est convenu d'appeler le siècle de Louis XIV. Il est né en 1596 et il est mort en 1650, bien avant le règne personnel du grand roi. De plus, la plus grande partie de sa vie s'est passée hors de France. Enfin, le gouvernement de Louis XIV ne s'est jamais occupé du cartésianisme que pour le condamner et le proscrire. Suivant l'usage, c'est à Rome d'abord que l'on fait prononcer la condamnation. En 1663, la Sacrée congrégation de l'Index donne le signal; aussitôt le conseil du roi, l'archevêque de Paris, ce scandaleux Harlay, les universités, les ordres religieux, tous les pouvoirs établis, tous les corps constitués, se lèvent et fulminent contre la philosophie nouvelle. De tous côtés sont lancées des défenses d'enseigner le cartésianisme. L'Université de Paris adresse une requête au Parlement en faveur d'Aristote, et contre l'audacieux novateur. Elle a jusqu'à demander l'exécution de ce fameux arrêt de 624, qui condamnait à mort « ceux qui enseigneraient les doctrines contraires à celles des auteurs anciens et

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