Page images
PDF
EPUB

justifie toutes les colères de Boileau. Et ce qu'il y a de plus puéril dans cette dialectique à outrance, c'est que Perrault applique à la critique d'Homère les règles du poème épique dont Homère ne se doutait guère. Il se fait pédant pour les besoins de la cause; il invoque l'autorité d'Aristote, et démontre magistralement : 1o que la fable de l'Iliade est puérile; 2° que la composition est défectueuse; 3° que les caractères sont mal dessinés; 4° que les mœurs sont grossières; 5o que le style est détestable. Estce dans Aristote qu'il a trouvé tout cela? Aristote dit tout le contraire. Mais lui, Perrault, exige qu'un ancien pense, sente, écrive comme on écrivait au XVIIe siècle. Ce qui ressemble dans Homère aux choses que goûtent les contemporains de Perrault, il le tolère; le reste, il n'en veut pas entendre parler. Seulement; par respect pour cette grande gloire, il consent à admettre que si Homère avait eu le bonheur de vivre dans une société polie, il eût pu, grâce à son génie naturel, produire une œuvre supportable. Je ne le suivrai pas dans les jugements qu'il porte sur Pindare, les Tragiques, Ménandre, les Orateurs : il n'y a aucun intérêt à étaler ces bizarreries. Un mot seulement sur Platon qu'il honore d'un mépris particulier. Il lui semble que les farces de Tabarin sont bien supérieures aux dialogues du grand philosophe.

- J'ai toujours regardé Socrate et Platon comme deux saltimbanques qui ont monté l'un après l'autre sur le théâtre du monde. Ils disaient quelquefois des choses excellentes, mais ils retombaient toujours dans un galimatias mystérieux et profond qui était leur fort.

Quelque opinion que l'on ait sur la partie critique du Parallèle (et il est difficile que les avis soient partagés à

ce sujet), ce qui est hors de doute et hors de cause, c'est l'absolue sincérité de Perrault. Qu'il ait çà et là un peu forcé la note pour égayer la matière et mettre les rieurs de son côté, c'est fort probable, mais il pensait ce qu'il disait. C'était chez lui une conviction profonde, qui datait de loin: il avait près de soixante ans quand il se décida à la rendre publique. Toutes ses études, toutes ses observations, toutes ses réflexions avaient pris naturellement cette direction. L'ouvrage parut improvisé et lancé comme un défi à la contradiction; mais il y avait longtemps que Perrault le portait en lui. C'est le livre de toute sa vie. On ne peut en contester l'originalité. De tous les adorateurs, de tous les glorificateurs du XVIIe siècle, Perrault est avec Bossuet, le plus complet, le plus logique. Boileau, Racine et les autres prétendent concilier l'admiration qu'ils ont pour les merveilles du grand règne avec le respect dû à l'antiquité; Perrault immole l'antiquité. Tout ce qui a existé avant Louis XIV n'est rien. De même que le roi éclipse la gloire des Alexandre et des Auguste, de même toutes les œuvres qui se sont produites sous son auguste influence sont supérieures à tout le travail des siècles passés. Comment dire qu'il va même au delà? Oui, il va jusqu'à sacrifier sa belle idée du progrès, dont il a fait un si étrange abus, mais qui a de la grandeur et qui est vraie par certains côtés, il la sacrifie, dis-je, à son inconcevable fétichisme. Après Louis XIV, il n'y aura plus rien; le génie de l'homme s'arrêtera dans sa marche ascendante; la décadence commencera. La prévention ne saurait aller au delà. Voici le passage: c'est un argument propre à réjouir ceux qui pensent, comme Perrault, que hors du XVIIe siècle, il n'y a point de salut.

Je me réjouis de voir notre siècle parvenu en quelque sorte au sommet de la perfection. Et comme depuis quelques années le progrès marche d'un pas beaucoup plus lent, et paraît presque imperceptible, de même que les jours semblent ne croître plus lorsqu'ils approchent du solstice, j'ai encore la joie de penser que vraisemblablement nous n'avons pas beaucoup de choses à envier à ceux qui viendront après nous.

Quand il écrivait ces lignes, Montesquieu avait cinq ans, Voltaire allait naître. Elles sont de trop. On se sent de l'indulgence, de la sympathie même pour l'apôtre du progrès indéfini, on voudrait partager sa foi; mais le sujet de Louis XIV qui déclare aux générations qui ne sont pas encore qu'elles viendront trop tard, que les lettres, les sciences et les arts ont dit leur dernier mot, qu'il ne reste plus, dans le domaine illimité de l'inconnu et du beau, une découverte à faire, un chef-d'œuvre à créer, qu'il soit banni du cercle des philosophes, qu'il ne compte plus parmi ceux qui ont eu foi dans la raison humaine. De ce que le soleil est immobile, fallait-il en conclure que la terre ne marchie pas?

La querelle des anciens et des modernes ainsi engagée se continua bien des années. Ni Perrault ni Boileau n'en virent la fin. Je n'ai pas à la raconter ici. Boileau prit tout son temps pour répondre et répondit lourdement et faiblement. Relever les contre-sens de Perrault, ses bévues géographiques et autres, démontrer que "Ovos est un vocable du style noble, et que le vrai pédant ressemble plus à Perrault qu'à Boileau; c'était prendre la question par les petits côtés, escarmoucher au lieu de livrer bataille. Mais Boileau ne se hasardait guère sur le terrain de la philosophie; passe encore pour la théologie. Il aimait mieux étudier, même en vers, l'amour de Dieu et la

théorie des cas de conscience que de s'embarquer dans les mystères de la loi du progrès appliquée aux arts. La question resta donc entière. Il y eut entre les deux adversaires réconciliation chrétienne, dont le grand Arnauld se fit l'intermédiaire; mais chacun d'eux garda son opinion. Perrault publia bientôt après son ouvrage monumental, Les hommes illustres du siècle de Louis le Grand, avec de fort beaux portraits, accompagnées de notices. C'était son Versailles à lui. Chacun de ces grands hommes était un argument à l'appui de sa thèse. Le silence se fit. Boileau retourna à ses infirmités, à sa solitude et aux tristes ouvrages de ses dernières années; Perrault se renferma de plus en plus dans cette douce vie de famille qu'il avait toujours tant aimée. Les anciens et les modernes continuaient à échanger des arguments et des injures; lui, il prenait sur ses genoux son dernier enfant et il lui racontait l'histoire du Petit Poucet. Les Contes des Fées, voilà son œuvre à lui, voilà sa gloire, gloire douce, aimable, impérissable, car elle est sous la sauvegarde de l'enfance. C'est lui, lui qui refusa de comprendre la grâce naïve et divine de l'Odyssée, ce conte de fées des anciens, c'est lui qui, sans effort et en laissant courir sa plume, a trouvé du premier coup la simple et naturelle couleur du sujet! Ce n'est ni Straparole ni le Pentaméron d'Italie qui la lui donnèrent. J'aime mieux le voir évoquant le souvenir d'une vieille nourrice, ou plutôt de sa mère qui l'endormait au bercement de la merveilleuse histoire. D'où venait-elle? On n'en sait rien. De la vague région où le fantastique et le réel se donnent la main. Plus anciennes que le christianisme, les Fées avaient été jadis les Parques, ces mystérieuses personnifications de l'avenir,

qui chantaient leurs oracles sur le berceau des nouveaunés. Au triomphe du culte nouveau, elles s'étaient réfugiées parmi les simples habitants des campagnes, les derniers païens (pagani, paganisme), et elles étaient restées dans la mémoire et l'imagination des hommes. Tantôt méchantes et cruelles, tantôt bonnes et secourables, elles étaient ce qu'est l'homme lui-même, ce qu'est la vie. Que Perrault ait cherché à loisir le sens mystérieux de ces antiques légendes, il n'y a aucune apparence, et c'est un bonheur. Ce n'est pas un critique qu'il fallait pour en fixer la grâce naïve, mais un croyant, et il l'était, non pour lui-même, mais pour les enfants qui l'écoutaient. Ce fut sa dernière œuvre : Les contes des Fées parurent en 1697, il mourut en 1700.

LA BRUYÈRE

-

Sa position

Ce que l'on voudrait savoir de la vie de La Bruyère. chez les Condés. Les Caractères, succès de scandale d'abord. Le discours de réception à l'Académie. timidités de La Bruyère. Les procédés de style.

[ocr errors]

- Les hardiesses et les

On se résigne difficilement de nos jours à ne pas connaître dans ses moindres détails la vie des hommes célèbres. L'œuvre en elle-même n'a plus rien à nous apprendre; la critique l'a tournée et retournée en tous sens, et il serait téméraire de prétendre apporter du nouveau. On ne peut cependant s'empêcher d'en rêver; non que l'on espère découvrir quelque ouvrage inédit, qui n'existe pas

« PreviousContinue »