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CHARLES PERRAULT

Perrault et Boileau. Oppositions de nature.

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Perrault; son esprit curieux et inventif. La théorie du christianisme poétique. Le siècle de Louis le Grand et la loi du progrès. Les Contes des Fées.

Charles Perrault ne compte pas parmi les classiques. Les historiens officiels de la littérature française le mettent hors cadre, avec les Chapelain, les Cotin, les Cassagne, les Desmarets Saint-Sorlin, tous gens dont le seul mérite est d'avoir reçu de Boileau quelque coup de boutoir. Ils lui savent gré d'avoir fourni au satirique l'occasion d'un nouveau triomphe; ils montrent quelque indulgence pour ses bévues sans nombre, heureuses bévues, puisqu'elles ont été si doctement, si solidement, si ingénieusement redressées par l'infaillible arbitre du goût. De quoi s'avisait Perrault d'ailleurs? Quand on a écrit les Contes des Fées, il faut se connaître et se tenir à sa place. Comme il n'y a jamais prescription pour des arrêts de ce genre, il est permis de reviser le procès. Il ne s'agit pas de réhabilitation, ni de glorification; mais il importe de rétablir les faits. La vérité est que Perrault ne fut pas écrasé par Boileau; ce fut lui au contraire qui eut tous les honneurs de la guerre. L'Académie se déclara en sa faveur, le public et les gens du monde l'applaudirent. Enfin lorsque, après de longs débats, les deux adversaires se réconcilièrent, Perrault ne fit aucune concession essentielle; ce fut Boileau qui se rangea à son opinion en se

réservant toutefois de l'appuyer sur des raisons différentes. Au fond, c'étaient deux natures antipathiques. On connaît Boileau, faisons connaissance avec Perrault.

La première idée que je m'en forme est celle-ci. Perrault était un homme à remercier Dieu chaque soir de l'avoir fait naître en France, au XVIIe siècle, pour être témoin des merveilles infinies du règne de Louis XIV. Qu'on ne lui parle pas du passé, ni d'Auguste, ni de Périclès, ni de Charlemagne, ni des Médicis: tout cela est misérable et terne auprès des splendeurs du présent. De quelque côté que Perrault tourne les yeux, il ne voit que grandeur, gloire, félicité. Le roi est orné de tous les dons. du génie; ses ministres sont les dignes exécuteurs de ses volontés; l'Europe est dans l'admiration et le respect; la France est au comble de la joie et du bonheur, la paix et l'abondance prodiguent leurs bienfaits, l'hérésie est exterminée, les arts et les sciences s'épanouissent magnifiquement; Versailles, la pensée du règne, est comme le foyer où toutes ces splendeurs viennent se concentrer. N'est-ce pas là à peu près ce que pensait Boileau? Oui, sans doute, mais autrement. La guerre qui éclata entre eux fut d'autant plus vive qu'ils étaient plus près de s'entendre.

Charles Perrault est né à Paris, comme Boileau, mais quelques années auparavant en 1628. Il appartenait à une famille de bonne bourgeoisie. Il eut sur Boileau un grand avantage, celui d'être élevé au foyer même de la famille, sur les genoux de ses parents : c'est sa mère qui lui apprit à lire, c'est son père qui fut son premier précepteur. Il avait deux frères, et la plus parfaite amitié ne cessa de les unir. Il suivit en qualité d'externe les cours du collége

de Beauvais. Il connut donc toutes les douceurs de la vie de famille et toutes les affections qu'elle développe et satisfait. Qu'on rapproche de cette heureuse enfance celle de Boileau, si sombre, si triste, les procès et les démêlés avec les frères, la mère absente, le père absorbé par la chicane, partout je ne sais quoi d'aigre et de froid. Quel contraste au début! On le retrouve au terme : Boileau écrit la satire sur les Femmes, et Perrault ses Contes des Fées. Élevé avec tendresse et liberté, Perrault suivit la pente de sa nature. Au collège, il se permet d'adresser des objections au régent qui lui enseigne la vieille scolastique, objections embarrassantes probablement (peut-être cartésiennes ou gassendistes), car le régent l'envoie philosopher dehors. Il étudie seul et à bâtons rompus; histoire, jurisprudence, théologie, sciences, arts, tout lui est bon, rien ne le rebute; mais aussi rien ne l'arrête, rien ne le captive décidément. Il ne sera étranger à rien, mais il n'aura pas de spécialité. C'est tout le contraire de Boileau, qui a une vocation bien nette et s'y renferme étroitement.

Autre opposition: à l'âge où Boileau, fidèle au précepte d'Horace, feuilletait jour et nuit les modèles de l'antiquité et s'en nourrissait pieusement, Perrault, en compagnie de ses deux frères, se mettait à parodier le sixième livre de l'Eneide 1. Il avait à propos de tout une foule d'idées

1. On attribue toujours à Scarron les quatre vers suivants, qui sont de Perrault;

Tout près de l'ombre d'un rocher,
J'aperçus l'ombre d'un cocher,
Qui tenant l'ombre d'une brosse,
Nettoyait l'ombre d'un carrosse.

Il est aussi l'auteur d'un poème burlesque, les Murs de Troie (1653). On voit que de bonne heure il perdit le respect de l'antiquité.

originales, souvent bizarres, parfois d'une portée sérieuse. Par exemple, il demandait l'abolition des diverses coutumes et l'adoption d'une seule loi pour toute la France, réforme qui ne fut opérée qu'en 1789. Son esprit inventif et jamais à court plut à Colbert qui l'attacha de très-près à sa personne. C'est Perrault qui donna l'idée de la petite Académie des Inscriptions, qui d'abord fut l'atelier où se fabriquèrent les fameuses devises consacrées à la gloire du roi. C'était Perrault qui trouvait toujours ce qu'il y avait de mieux. C'est encore lui qui fournissait aux Gobelins ces allégories mythologiques si fort à la mode et qui peuplèrent Versailles. On le retrouve partout; il a sa part dans toutes les innovations, dans toutes les créations du règne. Il est associé au travail de son frère l'architecte; c'est lui qui eut l'idée du péristyle du Louvre. Mais c'est à l'Académie que son esprit inventif se donne carrière. Il y entre dès 1671, quinze ans avant Boileau, et propose tout d'abord à ses confrères de rendre publiques les séances de réception. On n'osa pas du premier coup admettre les dames à ces solennités qu'elles décorent et qu'elles envahissent, dit Sainte-Beuve; mais le huis clos cessa, et l'éloquence put se donner carrière. C'est encore à Perrault que l'Académie doit le scrutin secret, cette précieuse garantie de l'indépendance qu'elle croyait avoir. La mesure acceptée, il confectionna et déposa l'urne des votes. C'était un homme excellent, très-humain et charitable. Les Parisiens du XVIIe siècle, et peut-être ceux d'aujourd'hui, lui doivent la libre promenade du jardin des Tuileries. La première pensée de Colbert fut de l'interdire au public; Perrault l'y fit renoncer. Voici comment il raconte la chose :

Quand le jardin des Tuileries fut achevé de replanter, et mis dans l'état où vous le voyez : « Allons aux Tuileries, me dit M. Colbert, en condamner les portes; il faut conserver ce jardin au roi, et ne le pas laisser ruiner par le peuple, qui, en moins de rien, l'aura gâté entièrement. » La résolution me parut bien rude et fâcheuse pour tout Paris. Quand il fut dans la grande allée, je lui dis : « Vous ne croiriez pas, Monsieur, le respect que tout le monde, jusqu'au plus petit bourgeois, a pour ce jardin ; non-seulement les femmes et les petits enfants ne s'avisent jamais de cueillir aucune fleur, mais même d'y toucher. Ils s'y promènent tous comme des personnes raisonnables; les jardiniers peuvent, Monsieur, vous en rendre témoi gnage ce sera une affliction publique de ne pouvoir plus venir ici se promener... Ce ne sont que des fainéants qui viennent ici, me dit-il.-11 y vient, lui répondis-je, des personnes qui relèvent de maladie, pour y prendre l'air on y vient parler d'affaires, de mariages, et de toutes choses qui se traitent plus convenablement dans un jardin que dans une église, où il faudra, à l'avenir, se donner rendez-vous. Je suis persuadé, continuai-je, que les jardins des rois ne sont si grands et si spacieux, qu'afin que tous leurs enfants puissent s'y promener. » Il sourit à ce discours, et dans ce même temps, la plupart des jardiniers des Tuileries s'étant présentés devant lui, il leur demanda si le peuple ne faisait pas bien du dégât dans leur jardin : « Point du tout, Monseigneur, répondirentils presque tous en même temps, ils se contentent de s'y promener et de regarder. — Ces messieurs, repris-je, y trouvent même leur compte, car l'herbe ne croit pas si aisément dans les allées. » M. Colbert fit le tour du jardin donna ses ordres et ne parla point d'en fermer l'entrée à qui que ce soit. J'eus bien de la joie d'avoir en quelque sorte empêché qu'on n'ôtât cette promenade au public. Si une fois M. Colbert eût fait fermer les Tuileries, je ne sais quand on les aurait rouvertes.

Il avait des amis un peu partout, et la faveur dont il jouit pendant plusieurs années auprès de Colbert lui en fit davantage. Chapelain, Cotin, Cassagne, Desmarets, Saint-Amant, Benserade, voilà pour les gens de lettres.

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