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Dieu des Juifs, tu l'emportes !

C'est lui qui a tout fait.

Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit!

Le meurtre et l'extermination espérés, annoncés, ménagés, éclatent enfin; pas de pitié, pas de recours possible: c'est une tuerie épouvantable; sur les cadavres on dresse le trône du jeune roi, et la voix sévère de Joad prédit au successeur d'Athalie le destin que Dieu réserve aux princes qui désertent ses voies.

Puis, parmi ces sombres magnificences, l'hymne de la foi nouvelle, le chant de triomphe et d'universel amour qui éclate; un pur rayon de l'Évangile pénétrant la mystérieuse horreur des annales juives, les cieux fermés et d'airain qui répandent leur rosée, la terre qui enfante son sauveur. L'élément lyrique, si malheureusement banni de la tragédie profane, se déploie librement dans la tragédie sacrée et s'y adapte par la plus étroite harmonie. N'est-ce pas cette ardente et sombre race juive qui à enfanté David, Isaïe, Jérémie, et tout le chœur éblouissant et tragique des prophètes? Comment ne pas jeter dans une œuvre de ce genre un écho de cette puissante poésie?

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Tout cela resta lettre morte pour les contemporains : le grand siècle ne comprit pas. Le siècle suivant fit ses réserves, et blåma le fanatisme de Joad, ce prêtre séditieux et régicide. C'est de nos jours que l'on a rendu entière justice au chef-d'œuvre; la critique a commencé la réparation, mais elle n'a été complète que le jour où Athalie a pris possession de la scène, avec la magnificence extérieure qui lui était due.

L'école romantique a fort malmené Racine, et les clas

XVIIE SIÈCLE

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siques ne l'ont pas très-heureusement défendu. Il est aussi injuste de ne lui rien accorder que de lui attribuer tout. L'ordre, les proportions harmonieuses, l'analyse pénétrante des passions de l'amour, il était souverainement injuste, presque ridicule, de ne pas reconnaître ces éminentes qualités; prétendre qu'il n'y a rien au delà, ce n'est pas se faire une idée exacte de ce que doit être le poème dramatique. Les romantiques ont trop souvent confondu la violence avec la force, et nié le génie quand il était uni à l'art; les classiques ont trop accordé à la régularité. Racine n'a pas le génie tragique; Corneille le lui fit entendre clairement après la Thébaïde et Alexandre. Je ne comprends pas bien comment M. Sainte-Beuve a pu dire que le style de Racine côtoyait la prose. Il me semble que son principal défaut, c'est d'être trop poétique, dans le ? sens où on l'entendait au xvIIe siècle. La diction est trop ornée, trop fleurie; il y a trop de noblesse, pas assez de simplicité et d'énergie, et surtout pas assez de variété. Le poète oublie ses personnages pour ne se souvenir que des règles de la composition littéraire. De là, ces horsd'œuvre éclatants où il a épuisé toutes les couleurs de sa palette, le songe d'Athalie, la mort d'Hippolyte, le discours d'Agrippine. La nourrice, Phèdre, Théramène, Thésée, tous parlent du même ton, tous s'épanchent en alexandrins pompeux constellés de périphrases. La périphrase, là est le défaut essentiel de ce style merveilleux. Rien de plus opposé au génie du langage dramatique, qui doit avant tout être rapide, net et fort.

Racine redoute les situations violentes, il redoute plus encore les expressions vraies. Il semble avoir passé sa vie à surveiller le démon qui était en lui, de peur qu'il ne

l'emportât et rendît le retour impossible. Racine a touours été préoccupé du retour. Émancipé de Port-Royal, traînait dans le monde un bout de sa chaîne, et devait an reformer tous les anneaux. Corneille, Molière, Boileau lui-même ont l'allure plus franche et sont plus impérieusement, plus absolument ce qu'ils sont. On dit que Louis XIV demanda un jour à Boileau quels étaient les plus grands poètes du temps et qu'il répondit : « Corneille, Molière et moi. Et Racine? dit le roi. Racine est un très-bel esprit à qui j'ai appris à faire difficilement des vers faciles. On peut ne pas accepter, si l'on veut, la dernière partie de la réponse, où l'on ne retrouve pas la clarté ordinaire à Boileau; mais la première partie subsiste.

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Dans ses études sur les femmes illustres du XVIIe siècle, études si remarquables par l'érudition et les fausses couleurs, M. Cousin n'a pas donné place à Mme de La Fayette. Est-ce oubli? est-ce indifférence? je croirais plutôt que la matière lui a semblé « infertile et petite », comme dit La Fontaine. Dans les sujets qu'il choisit un auteur ne s'oublie pas; il va d'abord à ceux qui lui per

mettent de mettre en tout leur jour les qualités de son talent. L'éloquence et les mouvements oratoires un peu prodigués à propos de Mme de Longueville n'étaient guère de mise avec Mme de La Fayette. L'érudition si ingénieuse et si enthousiaste qui pouvait tirer du grand Cyrus la matière de deux volumes, comment aurait-elle fait ses frais avec l'auteur de la Princesse de Clèves? Ni la personne ni l'ouvrage ne rentraient dans le cadre cher au biographe. De quelque manière qu'on veuille expliquer l'omission, ne la considérons pas du moins comme défavorable à Mme de La Fayette.

Il n'est pas besoin de justifier d'avance la place qu'on lui donne dans ce tableau de la littérature française au xvII* siècle. Elle y a incontestablement autant de droit que la plupart des écrivains de son temps; et elle a sur plu sieurs d'entre eux l'avantage d'une originalité vraie qui s'est exercée dans un genre, secondaire peut-être aux yeux de certains critiques, mais dont l'importance sociale s'accroît de jour en jour.

Ceux qui veulent absolument découvrir dans la vie d'un romancier, surtout quand ce romancier est une femme, des révélations piquantes et la clef de son œuvre, sont ici légèrement déçus. Il y a bien un roman dans la vie de Mme de La Fayette, mais on n'en connaît pour ainsi dire que le titre, c'est sa liaison avec La Rochefoucauld. On a beau se mettre en quête d'indiscrétions contemporaines; il y a comme une conspiration du silence et du respect pour envelopper et protéger l'union des deux amis. Ce qu'elle fut, Mme de Sévigné nous le dira : « Je crois que nulle passion ne peut surpasser la force d'une telle liaison. » Ce qui nous l'apprendra mieux encore, c'est la lan

gueur désespérée où tomba Mme de La Fayette quand elle eut perdu La Rochefoucauld. Elle ne fit plus que traîner, elle semblait avoir été oubliée et attendre que la mort se souvînt d'elle. Cet épisode de sa vie fut donc toute sa vie les années qui précédèrent en sont comme la préparation et l'attente, celles qui suivirent l'inconsolable regret.

Mme de La Fayette est née en 1634. Elle avait donc seize à dix-sept ans quand la Fronde sérieuse cessa et quand commença la Fronde folle, celle des grands seigneurs. La galanterie, l'intrigue, de l'héroïsme aussi, mais à tort et à travers, un grand étalage de beaux sentiments, parfois sincères, mais de bien courte durée, beaucoup de mouvement, peu de sérieux, de grandes passions, y compris celle du bien public, aboutissant à de bien chétives conséquences voilà ce qui frappa ses yeux et son esprit, qui était naturellement réfléchi. Elle ne fut pas insensible assurément à ce qu'il y avait d'éclat dans les personnes, les sentiments, les aventures; le romanesque parla à son imagination, et y déposa cette première empreinte que l'expérience et les années effacent peu à peu, mais qui ne disparaît pas sans laisser au cœur un vague regret. Dix ans après, les brillants personnages qu'elle avait peut-être admirés et enviés, elle les vit dépouillés de leurs rayons, fatigués, découragés, honteux de s'être aimés, et ne croyant plus à l'amour, cherchant l'ombre, la retraite et la pénitence. Quelle leçon pour une personne comme elle! Ses instincts romanesques furent sinon étouffés, du moins tenus en bride. Elle se maria, et le roman fut ajourné plus que jamais. Le comte de La Fayette qu'elle épousa, n'était ni bien, ni mal, ni spirituel, ni sot; c'était un mari. Si par hasard il eût été comme Sévigné, un franc mauvais sujet,

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