Page images
PDF
EPUB

dans le gouvernement, Bossuet dans la chaire voilà les chefs de file et les bienfaiteurs. La régularité, la noblesse soutenue, les peintures générales et abstraites: voilà ce que la prédication devrait à Bossuet. En supposant qu'il en soit ainsi, et que Bossuet lui-même n'ait pas plutôt suivi que créé un mouvement général et une sorte d'évolution qui se faisait dans le goût public, y a-t-il lieu de s'applaudir? On prouve à grand renfort de citations habilement choisies que le mauvais goût et souvent le mauvais ton dominaient dans la chaire chrétienne, et qu'à partir de 1650, ils en furent bannis. Ce mauvais goût régnait aussi au théâtre, dans la littérature courante, dans les ruelles, dans la conversation, Qu'on ne le regrette pas, soit; mais avec lui disparurent des qualités qu'on ne remplaça point. Quelles ? La familiarité libre, la hardiesse, l'originalité, l'imprévu. Les prédicateurs de cour n'improvisaient jamais, ils récitaient. Massillon disait : « Mon meilleur sermon est celui que je sais le mieux. >> Bourdaloue

fermait les yeux en parlant et suivait le manuscrit de son sermon ouvert dans son cabinet.

Il ne fallait apporter devant le roi et cette cour raffinée que des vérités générales, d'une application vague, mais revêtues de toutes les élégances d'une diction travaillée. Rien n'était livré au hasard; une expression trop vive, un' mouvement trop libre pouvaient perdre l'orateur. Pas un d'eux n'eût osé risquer cette apostrophe de Lejeune aux dames qui se pressaient aux pieds de la chaire dans tout l'éclat de la plus mondaine parure.

Voyez les tombes des morts qui sont enterrés en l'église, Mesdames; percez avec les yeux de l'esprit ces pierres sur lesquelles vous êtes assises : vous y verrez les ossements de plu

sieurs demoiselles qui ont été autrefois aussi belles, aussi braves, éclatantes, glorieuses que vous, et encore plus; et toute leur gloire n'a été que fumée; elles sont mises en oubli; leur corps est la proie des vers: Dieu veuille que leur âme ne soit point rongée du ver qui ne meurt point1 !

Et ailleurs, ce vif commentaire sur le Sursum corda:

Sursum corda, dit le prêtre. Et vous : « Non, ne les élevez pas à Dieu, abaissez-les à une vile créature, appliquez vos cœurs à me regarder et aimer ! » On répond au nom de tout le peuple : Habemus ad Dominum, nous élevons notre cœur à Dieu, et vous êtes cause que l'on meurt; car plusieurs ont le cœur à vos vains ornements, au lieu de le porter à leur créateur et

sauveur.

Il n'y a plus de ces apostrophes directes et familières dans Bossuet 2, ni après lui. Est-ce à son exemple et à son influence qu'il faut l'attribuer? Il n'importe guère : ces questions d'influence sont insolubles et oiseuses. Ce qu'il y a de certain, c'est que le roi et la cour n'auraient pas toléré les hardiesses des prédicateurs précédents.

C'est à partir de 1660 que l'usage s'introduisit d'écrire le sermon et de l'apprendre par cœur, ce qui explique, soit dit en passant, que l'on parle si rarement de l'action des prédicateurs. Elle devait être à peu près nulle. Il y a un abîme entre l'homme qui récite et l'homme qui parle; l'un est Isocrate, l'autre est Démosthène. Bossuet ne récitait pas et n'écrivait pas, sauf, cela va sans dire, pour

1. Cité par M. Jacquinet, p. 162 et 168.

2. Comment ne pas dire un mot du petit père André, du moins dans une note ? Le malheur pour lui, c'est qu'on ne peut guère le citer. Essayons cependant. Quelle verve et que d'esprit dans cette comparaison, qui n'est pas dans le goût de Bossuet!

- « Le christianisme est comme une grande salade; les nations en

les Oraisons funèbres; non-seulement il écrivait tout le discours, mais il y avait même certaines parties pour lesquelles il préparait des variantes. Quant aux Sermons, il. se bornait à une préparation sérieuse le texte d'abord, c'est-à-dire le sujet même, cette idée générale et féconde qu'il présentera sous toutes ses faces; puis les divisions principales, et les développements indiqués. Certains passages saillants étaient écrits d'avance et servaient plusieurs fois telle fameux morceau sur la mort qui passa d'un sermon dans l'oraison funèbre de Madame. La préparation générale était très-complète; il portait en chaire toutes les parties du sermon bien arrêtées, souvent même dans l'expression. Pour le reste, il s'en fiait à l'inspiration. — C'est ce qui explique comment les sermons nous sont parvenus incomplets et semés de disparates les lacunes et les imperfections, c'était l'orateur qui dans le feu de l'action les comblait. Il est douteux cependant qu'il ait jamais modifié sensiblement le canevas primitif. - Il avait trouvé de bonne heure une couleur et une allure de style qui sont une des plus belles créations du XVIIe siècle. Richesse, force, éclat, harmonie, il n'y a peut-être pas une qualité réellement supérieure qui lui fasse défaut. Il ne manque même pas de simplicité, si l'on entend par lå l'absence d'affectation. Pouvait-il avoir plus de variété, de souplesse, d'abandon? Il serait bien difficile de concilier

sont les herbcs; le scl, les docteurs; le vinaigre, les macérations; ct l'huile, les bons pères jésuites. Y a-t-il rien de plus doux qu'un bon père jésuite? Allez à confesse à un autre, il vous dira: Vous êtes damné si vous continuez. Un jésuite adoucira fout. Puis, l'huile, pour peu qu'il en tombe sur un habit, s'y étend et fait insensiblement une grande tache mettez un bon père jésuite dans une province, elle en sera enfin toute pleine. »

XVIIE SIÈCLE.

19

tout cela. On ne doit pas omettre l'éclat imprévu que jettent sur le tissu de son style les nombreuses citations des Livres saints. Il est le premier qui ait rendu hardiment les fortes images du langage biblique. La traduction de Sacy atténuait, énervait; la sienne semble ajouter au relief de l'expression originale. Avec tout cela, c'est un modèle dont on a singulièrement abusé dans l'enseignement des colléges. Nous n'avons que trop de penchant en France à la rhétorique sonore, aux lieux communs éclatants et vides.

Il faut aujourd'hui un certain effort d'impartialité pour rendre à Bossuet ce qui lui appartient, et ne pas aller au delà. C'est ce que j'ai essayé de faire. Il est probable que ni les admirateurs quand même, ni les détracteurs ne seront satisfaits. Il est si commode de se jeter tout d'un côté et d'aller droit devant soit, à la Bossuet! M. SainteBeuve qui d'ordinaire excelle à bien tenir en équilibre les plateaux de la balance, me semble avoir été excessif dans l'éloge comme dans le blâme. Il débute en style d'oraison funèbre : « La gloire de Bossuet est devenue une des religions de la France; » puis il retire un à un les éloges prodigués. Bossuet n'est ni un historien accompli, ni même un historien équitable; ce n'est pas non plus un philosophe, ni un ami à aucun degré de l'examen et de la critique. Il a l'imagination d'Homère, et point d'esprit. « Avec son air de grandeur et de bonhomie autoritaire, il est impatientant et irritant. » Ailleurs, il est question dernier trait est le plus

des pieds de nez de Bossuet. Le vif: c'est un prophète du passé. « Quand on a une si belle sonnerie, on n'a pas besoin de chercher midi à quatorze heures ». Nous voilà bien loin de cette gloire qui est devenue une des religions de la France!

Les modernes et Boileau.

telligence, ses aptitudes.

BOILEAU

Sa physionomie, son caractère, son in

Sa place parmi ses amis. Boileau et

Louis XIV. Les périodes de la vie littéraire de Boileau. bornes de son imagination.

Sa fonction essentielle.

- Les

Boileau est peut-être de tous les auteurs du XVIIe siècle celui dont il est le plus difficile aujourd'hui d'apprécier équitablement les mérites. Si le poète est chose légère, ailée, sacrée, comme le veut Platon; si l'idéal est son domaine et sa patrie; s'il habite cette région intermédiaire qui le rapproche des dieux sans le séparer absolument des mortels; si ses chants d'une harmonie délicieuse sont l'écho des choses supérieures et des mystères les plus doux de l'âme humaine, il faut convenir que Boileau ne peut guère prétendre à ce beau nom, que telle n'a jamais été sa fonction ici-bas. Son œuvre subsiste cependant et subsistera aussi longtemps que la langue française; son influence a été profonde; son autorité bien que fort diminuée, n'a pas péri; elle se confond souvent avec celle du bon sens, qui est éternelle. Les jeunes gens et les femmes ne le goûtent guère, parce qu'il représente ce qui leur manque le plus; ceux qui ont un penchant à s'émanciper, ne peuvent le sentir, parce qu'il représente la règle; ceux que l'imagination et la sensibilité tourmentent le trouvent sec et froid. Avec tout cela, c'est bien un des Français les plus français qu'ait portés notre sol; ses qualités sont bien les qualités de la race, et il n'est pas

« PreviousContinue »