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L'auteur de la Chute d'un Ange a un autre langage, mais

dit-il autre chose?

Ceux-là fuyant la foule et cherchant les retraites

Ont avec le désert des amitiés secrètes;

Sur les grèves des flots en égarant leurs pas,
Ils entendent des voix que nous n'entendons pas.
Ils savent ce que dit l'étoile dans sa course,
La foudre au firmament, le rocher à la source,
La vague au sable d'or qui semble l'assoupir,
Le bulbul à l'aurore et le cœur au soupir.

Les nobles et harmonieux alexandrins! Pourquoi ne puisje m'empêcher de me réciter encore les vers boiteux et disloqués de La Fontaine?

C'est ainsi que ma muse aux bords d'une onde pure
Traduisait en langue des dieux

Tout ce que pensent sous les cieux

Tant d'êtres empruntant la voix de la nature...
Car tout parle dans l'univers;

Tous deux

Il n'est rien qui n'ait son langage.

Ont entendu des voix que nous n'entendons pas.

Non les mêmes, assurément. Celles qui ont frappé l'oreille de Lamartine ont je ne sais quoi de plus éthéré, de plus vague c'est comme une caresse lointaine, un bercement du cœur. Mais ne se sont-ils pas rencontrés un jour, et Lamartine a-t-il pu l'oublier? Les admirables vers de Jocelyn où le poète proteste contre la théorie de l'âme des bêtes, La Fontaine les avait déjà fait entendre à sa manière, sur sa lyre et dans son rhythme à lui. Cette fois encore, ils avaient tous deux entendu des voix que nous n'entendons pas, mais cette fois, c'étaient les mêmes.

Nous voilà bien loin en apparence de la morale dans les Fables de La Fontaine. Je dis en apparence, car nous

sommes au cœur même de la question. A l'exemple d'Ésope et de Phèdre, il a bonne intention de prêcher çà et là; mais d'abord telle n'est pas sa vocation, il n'a pas grande autorité en telle matière; ses devanciers ne sont pas non plus des guides bien sûrs, et puis, la nature l'a fait plutôt pour peindre que pour enseigner, plutôt pour montrer ce qui est que pour recommander ce qui devrait être. De toutes les scènes auxquelles il a assisté, scènes tantôt sublimes et imposantes, tantôt odieuses, ridicules, révoltantes, parfois gracieuses, douces: consolantes, une vérité irrésistible s'est dégagée pour lui: c'est que ce n'est ni la justice, ni le droit, ni la raison qui mènent ce monde, que la force y domine, avec ses caprices violents ou sots, que les rois et les grands, lions, tigres, léopards, ours, loups, milans, aigles et autres tyrans, ne songent qu'à manger, pressurer, exploiter les misérables vilains, moutons, lièvres, lapins, rossignols, toute l'innombrable tribu de ceux qui sont nés pour servir de proie; que les uns sont saisis, emportés, dévorés sans autre forme de procès, comme le pauvre agneau qui tète encore sa mère; que les autres luttent follement et sont brisés, comme le pot de terre qui va heurter le pot de fer; que les autres enfin se sentant de l'intelligence et de l'esprit, courbent l'échine, se font humbles, insinuants, flattént les oppresseurs, les amusent par d'agréables mensonges, dupent leur épaisse vanité, vivent aux dépens d'eux, et, l'occasion s'offrant, prennent leur avantage, les font tomber dans l'abîme et les raillent. Les choses ne se passent guère ainsi entre animaux : la nature les a assujétis à des lois dont ils ne peuvent se départir; mais parmi les humains, n'est-ce pas le train ordinaire des choses?

Jupin pour chaque état mit deux tables au monde;
L'adroit, le vigilant et le fort sont assis

A la première, et les petits

Mangent leur reste à la seconde.

Ne plus manger les restes des autres, passer de la seconde table à la première, n'est-ce pas l'occupation où se consument les hommes? Le fameux combat pour la vie de Darwin ne le retrouvez-vous pas dans les luttes qui troublent les sociétés humaines? Parmi ceux qui comprennent le spectacle mis sous nos yeux, les uns gémissent, les autres consolent, d'autres déclament et menacent, d'autres se perdent dans des espéránces fantastiques d'une idéale et universelle félicité. La Fontaine n'a ressenti ni colère ni indignation, tout au plus, une pitié passagère, une pointe de dédain contre les grands et les oppresseurs. Au fond, il a su gré à tous ces êtres d'exister, de se montrer à lui, de poser devant lui, pour être jetés dans le drame immense où se jouait sa fantaisie. De là est née la fable,

Cette ample comédie à cent actes divers.

Elle est à la fois tragique et comique, sublime et familière; elle attriste et elle fait rire; elle révolte la conscience et la satisfait; elle est à la fois narration et drame; elle a de plus l'élan lyrique qui emporte et ravit le poète, la confession abandonnée, et d'une grâce inexprimable, le conseil sympathique ou railleur; l'éloquence même, et la plus noble, y jette sa grande voix où a-t-il trouvé les mâles accents de son Paysan du Danube? Et ne semble-til pas que celui-là parle au nom des opprimés de tous les temps et de tous les pays? Le langage même de la science la plus exacte et la plus noble, on l'y trouvera. Que reste-t-il de la fameuse théorie de l'âme des bêtes

après la Fable des Deux rats, le renard et l'œuf? Mais qui pourrait épuiser l'infinie variété des aspects qui éclatent à chaque page de l'œuvre? S'il y a eu au xvfIe siècle une autre poésie que la poésie dramatique, c'est dans La Fontaine qu'il faut la chercher. Il y en a de plus haute, qui le nie? L'idéal n'est pas là, ni la forte nourriture morale, et l'on comprend que les enfants, les jeunes gens et les femmes n'y trouvent pas grand charme. Plus vieux, on est moins exigeant. Quand l'âme ne monte plus sans effort et d'elle-même vers les sommets, on ne repousse pas la société de cette âme charmante, qui reste à notre niveau et qui exprime si bien ce que nous ne saurions dire. L'extrême variété des mètres, qui choque tant Lamartine, est une grâce de plus. Comment, lui, n'a-t-il pas senti l'art profond et l'habile souplesse du rhythme chez celui de tous nos poètes qui n'a pas de rival en ce genre? Comment eut-il pu rendre la diversité infinie des cadres, des personnages, des situations, s'il avait enfermé sa muse dans le pompeux et monotone alexandrin? Il a des audaces et des surprises délicieuses. Sa phrase poétique est à la fois ample, coulante, et elle a des repos habilement ménagés, avec des reprises soudaines et gracieuses comme un oiseau qui reprend le vol. Il y aurait à ce point de vue toute une étude à faire, je ne puis que l'indiquer ici.

Parmi les contemporains de La Fontaine, le seul qui semble avoir rendu au poète pleine justice, l'avoir compris et senti, c'est Fénelon. Quand il apprit sa mort, n'osant, lui, le précepteur du duc de Bourgogne, déplorer officiellement une telle perte, il écrivit en latin une petite oraison funèbre qu'il donna à traduire à son élève. Ce

n'est qu'un cri de deuil et d'admiration. Comment Lamartine a-t-il oublié ce détail? Et s'il s'en souvenait, comment a-t-il écrit ce qu'il a écrit?

MOLIÈRE

De la sympathie universelle qu'il inspire.

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-L'éducation, la vocation. Les divers milieux : la province, la ville, la cour. Ce que Molière doit à Louis XIV. La composition de l'œuvre, l'action, le comique, le dénouement. delà dans Molière. La langue et le style.

- L'au

Prétendre dire du nouveau à propos de Molière, serait chose dangereuse : tout a été dit et redit. On en publie en ce moment une édition nouvelle, plus complète que toutes les précédentes et accompagnée d'un travail de critique et d'érudition fort estimable ', je dirai même indispensable pour tout ami de Molière, et quel lecteur n'est son ami? Il y a sans doute encore plus d'un chercheur à l'œuvre. La découverte du Médecin volant et de la Jalousie du barbouillé a mis les explorateurs en appétit. Si l'on pouvait mettre la main sur une de ces pièces antérieures à l'Étourdi, et qu'il improvisait dans les hasards et suivant

1. Euvres complètes de Molière. Nouvelle édition, revue sur les plus anciennes impressions et augmentée de variantes, de notices, de notes, d'un lexique des mots et locutions remarquables, d'un portrait, d'un fac-simile, etc., par M. Eugène Despois, 10 volumes in-8°, librairie Hachette et Cie. Cette édition fait partie de la Collection des grands écrivains de la France, publiée sous la direction de M. Ad. Regnier, membre de l'Institut.

XVIIE SIÈCLE.

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