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qui est divine, le tient droit: il a des éclairs dans les yeux, son front est le siége de grandes pensées. Il ignore l'art des supplications et des concessions habiles. Il res pecte l'hôte supérieur qui habite en lui. Tel était Corneille, tel eût été Pascal, en face de Colbert et de Louis XIV. Boileau lui-même ne put se défendre d'un senti ment de tristesse, le jour où il fut honoré d'une pension: il sentit qu'il venait de perdre sa liberté. Liberté! Voil la faveur la plus précieuse que les princes puissent accor der aux lettres, mais c'est la dernière dont ils s'avisent. Ils ont la fatuité de croire qu'ils fournissent des inspira tions au génie, qu'ils le font éclore. En échange d'un sac d'écus, on commande à Corneille une tragédie impossible, Bérénice; à Molière des comédies à faire en vingt-quatre heures; on croit rehausser la gloire de Racine en le trans formant en plat panégyriste du roi; on s'oppose à ce que La Fontaine soit de l'Académie; on fait payer aux acadé miciens en compliments ridicules et bas les misérable jetons qu'on leur attribue. Quels effets produit cet auguste protection? Avant le règne personnel du roi, de génies créateurs, les plus grands, les plus originaux écr vains du XVIIe siècle, Descartes, Pascal, Retz, La Roche foucauld; sous le règne de Louis XIV, Boileau, Racine, L Bruyère. Et ceux-là mêmes, que doivent-ils au roi? N'esh ce pas lui plutôt qui leur doit cette auréole qui va pâli sant? Il ne manque pas d'ouvrages où l'on célèbre av effusion les prétendus bienfaits des princes envers lettres; il y en a un plus original à faire et plus vrai, dont le titre pourrait être de l'influence funeste rois sur les lettres, les sciences et les arts.

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L'ACADÉMIE

Sa fondation, ses statuts, ses rapports avec le pouvoir.

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gelas.

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Sa vocation.

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La théorie de l'usage.

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Furetière. M. de Vau

Les Remarques sur la langue françoise. Objections et critiques. - La Mothe Le Vayer, Ménage, le père Bouhours, Fénelon.

On est assez enclin en France à faire honneur au pouvoir, en quelques mains qu'il soit tombé, de toutes les créations qui ont jeté quelque éclat sur le pays: pendant tant de siècles, c'est le pouvoir seul qui a tout fait ou tout empêché! Il est convenu, par exemple, que Richelieu est e véritable fondateur de l'Académie française, et c'est un de ses titres de gloire devant la postérité. Il serait juste cependant de rendre aux gens de lettres l'initiative qui leur evient, et de montrer les funestes effets d'une protection ui fut médiocrement généreuse, et fit payer fort cher ses ienfaits.

Dès le xvie siècle, il y eut des réunions libres de gens e lettres, de poètes surtout, que la sympathie et la défénce groupaient autour d'un chef. L'érudit Daurat d'aord, puis Ronsard, son plus docte élève, furent les prédents de l'école si célèbre sous le nom de la Pléiade. ès que Malherbe eut pris l'attitude d'un réformateur, il t, lui aussi, un certain nombre de disciples qu'il menait

haut la main et à coups de férule. Ils se réunissaient dans son galetas, s'asseyaient comme ils pouvaient, et présentaient humblement leurs ouvrages à la censure du maître. Bien que la société qui se réunissait à l'hôtel de Rambouillet comptât plus de gens du monde que de gens de lettres, les questions de littérature et de beau langage y étaient à l'ordre du jour, et, pendant plus de trente années, tout ce qu'il y avait de beaux esprits en France vint rendre hommage à ce tribunal délicat 1.

C'est dans une réunion de ce genre que l'Académie française eut son berceau. Un Mécène au petit pied, le conseiller Conrart, homme peu instruit, mais qui aimait et vénérait la littérature et les littérateurs, et qui avait la passion et le génie du procès-verbal, recevait chez lui régulièrement les illustres de ce temps-là, j'entends ceux qui étaient connus dans les ruelles et qui donnaient le ton aux rimeurs mondains. C'étaient Godeau, plus tard évêque de Vence, un des fidèles de l'hôtel de Rambouillet, le chaste et raide Gombauld, l'auteur d'Amaranthe et d'Endymion, Gombauld qui troubla un instant le cœur de Marie de Médicis, le docte Chapelain, personnage d'une autorité considérable, et à qui l'on préparait un piédesta en face d'Homère, Habert, Cérisy, de Malleville, peu con nus aujourd'hui, mais qui occupaient au Parnasse de siéges d'honneur. De prosateurs il n'y en avait pas. Balza était déjà retiré dans son château, Descartes et Pascal n comptaient pas encore, et ne comptèrent jamais pour ce nourrissons des Muses. Corneille et Rotrou n'étaient pa d'assez bonne compagnie pour être appelés. C'était u

1. Voir sur Malherbe et sur l'hôtel de Rambouillet les leçons du v lume précédent : La Littérature française des origines au XVII° sièch

petit cénacle de personnages fort inoffensifs et qui ne songeaient guère à troubler l'État. Ils reconnaissaient pour arbitre, pour oracle, le plus savant d'entre eux, le grave Chapelain, l'inventeur des trois unités, et qui faisait de mauvais vers, mais en petit nombre, dans toutes les langues. Il leur expliquait les préceptes de la poétique, il leur inspirait le respect et l'amour des règles: c'était un homme d'ordre et d'autorité. Richelieu qui, comme tous les vrais tyrans, avait des prétentions littéraires, Richelieu qui n'aimait pas les réunions libres, qui avait plus d'une fois témoigné sa mauvaise humeur contre l'hôtel de Rambouillet, et qui, lui aussi, avait directement sous ses ordres sa petite académie des cinq auteurs, chargés de versifier ses tragédies, ne voulut pas laisser à la jeune société le temps de s'étendre et d'assurer son indépendance. BoisRobert, son factotum dans les petites choses, qui jouait tous les rôles, celui d'émissaire, d'espion, de bouffon et même de poète par-dessus le marché, fut par lui député et demanda de la part de Son Éminence aux hôtes de Conrart: « S'ils ne voudroient pas faire un corps et s'assembler régulièrement et sous une autorité publique. » Ils furent troublés, hésitèrent, et moitié par crainte de déplaire, moitié par vanité, ils consentirent. Le Parlement, de son côté, montra une certaine répugnance à enregistrer l'édit de fondation. Il craignait que Richelieu *ne songeât à se former un conseil à lui et un nouvel auxiliaire contre ce qu'il restait de libertés publiques. De là la clause formelle ajoutée à l'édit (1635).

L'Académie ne pourra connoître que de la langue françoise, et des livres qu'elle aura faits, ou qu'on exposera à son jugement.

Les académiciens entendaient bien d'ailleurs se renfermer dans ces attributions. Ils avaient eux-mêmes défini ainsi la tâche qu'ils assumaient « d'établir un certain 1 usage des mots, et de rendre la langue plus éloquente. » Bossuet dira plus tard « de tempérer les dérèglements d'un empire trop populaire. » Il ne faut jamais perdre de vue ce point de départ. L'Académie française, fondée à un moment où la société polie, ou qui allait l'être, appelait tout à son aide pour se distinguer de celle qui ne l'était pas, devait naturellement entrer dans la même voie, et elle y a persévéré jusqu'à nos jours, peut-être avec trop de rigueur. Elle n'a jamais songé à enrichir la langue, mais à l'épurer, à lui donner de la noblesse, à la rendre plus éloquente. Elle n'a accepté que bien longtemps après les locutions et les termes que l'usage imposait. Aujourd'hui encore, dans notre société toute démocratique, le Dictionnaire refuse la naturalisation à une foule de mots que tant de révolutions en tout genre ont légitimés en les rendant indispensables. C'est que l'Académie n'est ni un guide ni un éclaireur : c'est une barrière. Nos impatiences se révoltent, cette lente circonspection nous irrite; c'est un tort 2. Tout mot nouveau, né viable, a la force d'attendre, et même ne perd rien pour attendre. Il fait ses preuves chaque jour; il se place sous des plumes autorisées, il se produit à la tribune, au barreau; il se fait reconnaître comme étant de la famille. Après l'adoption du cœur, viendra l'adoption légale; elle ne peut pas ne pas venir.

1. On dirait aujourd'hui un usage certain, fixe, invariable. 2. Ce n'est pas l'opinion de Sainte-Beuve qui réclame vivement l'admission de bien des intrus: baser, émotionner, etc.

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