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flétrir en chaire les scandales de l'adultère; mais il faut que l'assemblée du clergé de France signe la célèbre déclaration des quatre articles (1682). Les liens qui unissent l'Église de France au Saint-Siége sont tendus jusqu'à rompre. Le gallicanisme est plutôt un acte de servilité envers le roi que d'indépendance envers la cour de Rome. En retour, on livrera au clergé, ou plutôt aux jésuites tout-puissants sur la conscience du roi, les jansénistes et les protestants, la plus pure, la plus intelligente, la plus laborieuse partie de la nation. Les esprits honnêtes, Fénelon et La Bruyère s'indignent à la vue de ces jeunes prédicateurs qui ne rêvent qu'une chose, prêcher devant le roi. Où est l'éloquence libre, familière, sincère des vrais pasteurs, de ceux qui avaient plus de souci du salut de leur troupeau, que de leur vaine gloire et de leur fortune? C'est le clergé qui élabore et promulgue le code du despotisme émané de Dieu; c'est lui qui pousse aux sentences iniques et sanglantes un roi enivré de sa puissance, et qui paie, par des édits de proscription contre ses sujets, les dons volontaires que lui offre son clèrgé. Quelle déconsidération s'amasse lentement sur l'Église et sur la royauté, associées dans une œuvre commune de compression! Le temps n'est pas éloigné, où cette fameuse révocation de l'édit de Nantes, que tous proclamaient l'acte le plus glorieux du plus glorieux règne, sera maudit et flétri par la conscience universelle.

Dans la société ainsi organisée et animée d'un tel esprit, quelle est la condition des gens de lettres, des saants, des artistes ?

Suivant certains critiques, c'est à l'influence personelle et directe de Louis XIV que la France dut cette

XVIIE SIÈCLE

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riche moisson d'hommes supérieurs en tous genres qui apparurent alors. C'est pousser un peu loin l'idolâtrie monarchique, et se faire une singulière idée de cet attribut supérieur et vraiment divin qu'on appelle le génie. Qu'un poète famélique et mendiant, comme Martial, sollicite la générosité d'un protecteur en lui criant: « Qu'il y ait des Mécènes et il y aura des Virgiles » (sint Maecenates, non deerunt, Flacce, Marones)! Que Boileau, trop enclin à traduire, et pour cause, s'écrie de son côté :

Un Auguste aisément peut faire des Virgiles!

Ces niaiseries plates et serviles doivent-elles être prises au sérieux? Louis XIV exerça sur les arts de son temps une influence réelle, on ne le conteste pas : il ne pouvait en être autrement, puisqu'il imposait à toute la nation sa volonté et son goût. Que cette influence ait pesé sur tous les hommes illustres du xvII° siècle, c'est ce qu'il est impossible d'admettre; que ceux qui l'ont subie aient été supérieurs aux autres, qu'ils aient été élevés au-dessus d'eux-mêmes, qui oserait le prétendre? Racine est-il plus grand que Corneille? Bien plus, n'est-ce pas le roi qui poussa Racine à quitter le théâtre, comme il fit quitter la poésie à Boileau? Et pourquoi? Pour en faire des historiographes! Les exemples abondent; on les trouvera en leur lieu dans les leçons consacrées à chaque écrivain. Reste la protection effective accordée aux gens de lettres, c'est-à-dire les jetons attribués aux académiciens, avec les fauteuils et une salle au Louvre, et enfin les pensions. C'est beaucoup; mais il ne faut pas exagérer ces libéralités. Depuis le règne de François Ier, les grands seigneurs avaient tenu à honneur d'avoir parmi leurs domestiques

ou leurs clients quelque poète, un homme de lettres, un artiste. On sait que les Valois se montrèrent fort généreux pour Ronsard, Desportes, Amyot et bien d'autres : c'était entre le roi et les courtisans du plus haut rang une rivalité de munificence. Henri IV fut moins libéral, mais la noblesse française n'abdiqua pas le rôle de protectrice des gens de lettres. Richelieu fit tous ses efforts pour assurer exclusivement cette gloire au roi de France; mais elle ne séduisit guère le triste Louis XIII. La plupart des écrivains de cette période étaient attachés à la personne d'un prince ou d'un grand seigneur ; ils faisaient partie de sa maison; ils recevaient des gages; la renommée qu'ils pouvaient acquérir par leurs œuvres, revenait en partie au protecteur. Celui-ci, du reste, avait souvent recours à leurs talents, soit pour rédiger ses lettres, soit pour rimer quelque madrigal, ou quelque couplet satirique contre Mazarin. Dès que le roi Louis XIV eut pris en mains la direction des affaires, il annonça l'intention d'être le protecteur des artistes, des savants, des gens de lettres. Il les regardait avec raison comme les futurs instruments de sa gloire. En échange des bienfaits solides qu'ils recevraient, ils levaient publier et immortaliser les incomparables mérites du plus grand des rois. Ce fut Colbert, le moins propre le tous les ministres à cette tâche délicate, qui fut chargé e dresser un état des pensions à accorder (1663). Fort mbarrassé, il chargea le plus considérable des gens de ettres d'alors, Chapelain, de rédiger la bienheureuse ste. Elle a été conservée. Rien de plus curieux et de us triste que ce monument, qu'il faut lire tout entier. orneille y figure pour la somme de deux mille livres, lière pour mille livres, l'abbé Cotin pour douze cents

livres; le sieur Dauvrier (?) pour trois mille livres, l'abbé Cassagne pour quinze cents livres : le mieux renté de tous, c'est Mézeray, historiographe, qui reçoit quatre mille livres, et Chapelain, le rédacteur de la liste, qui s'adjuge trois mille livres, et se déclare lui-même le plus grand poète françois qui ait jamais été et du plus solide jugement. Boileau brille par son absence, ainsi que La Fontaine. La Fontaine ne recevra jamais de pension; il avait été distingué par Fouquet et avait pleuré sa disgrâce. Boileau sera porté sur la liste un peu plus tard en 1669. C'est l'année mémorable entre toutes; les gens de lettres n'en revirent pas une pareille. Le chiffre des pensions s'éleva alors à 111 550 livres. L'année suivante, il y eut une légère diminution, 107 900. En 1671,

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nouvelle diminution, 100 075. Puis on tombe à 86 000, 84 000. En 1674, on est à 62000, en 1675, à 57 000.

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Ainsi en six années, le chiffre à diminué de moitié. Veut-on savoir ce qu'il était en 1690, vingt-quatre ans après l'institution des pensions? Il n'est plus que de 11 966. Il baissa de plus en plus, et à la fin cette dépense inutile fut rayée du budget. Il y a à ce sujet un å témoignage assez curieux; c'est celui d'un des plus fanatiques admirateurs du roi, de l'homme, qui, avant Voltaire, inventa le siècle de Louis le Grand, Charles Perrault.

Il alla de ces pensions en Italie, en Allemagne, en Danemarck en Suède et aux dernières extrémités du Nord. Elles y allaien par lettres de change. A l'égard de celles qui se distri buaient à Paris, elles se portèrent la première année chez tou les gratifiés par le commis du greffier des bâtiments, dans de bourses de soie d'or les plus propres du monde; la second année, dans des bourses de cuir. Comme toutes choses ne peu

vent pas demeurer au même état, et vont naturellement en dépérissant, les années suivantes, il fallut aller recevoir soimême les pensions chez le trésorier en monnaie ordinaire. Les années bientôt eurent quinze et seize mois; et quand on dé-, clara la guerre à l'Espagne, une grande partie de ces gratifications s'amortirent.

S'amortirent est charmant. M. Sainte-Beuve, qui cite ce passage, et qui a toujours rêvé, même sous l'empire, un Auguste ou un Louis XIV pour les lettres, ajoute ce commentaire qu'on pourrait croire ironique :

Mais l'idée, l'intention première surnagea, et la postérité de oin a fixé son jugement sur l'ensemble de l'apparence.

Fixé, est peut-être téméraire : les jugements faux se assent; mais l'ensemble de l'apparence est bien joli. Mais à quoi bon cet inventaire et ces chiffres? Admetons, si l'on veut, l'ensemble de l'apparence, c'est-à-dire préjugé (bien ébranlé) qui attribue à Louis XIV des proigalités envers les gens de lettres dont il ne fut jamais Dupable depuis quand une pension a-t-elle fait d'un crivain médiocre un grand écrivain? A ce compte, Chaelain, le mieux renté de tous les beaux esprits, serait, mme il le dit lui-même, le plus grand poète qui ait mais été. Ces faveurs, le plus souvent distribuées sans elligence, tombent d'ordinaire sur des personnages soues, flatteurs et sans mérite. Ils ne font ombrage à perne et caressent tout le monde; ils sont à l'affût des casions, et savent les chemins de traverse qui mènent s vite au but. Rien dans leurs productions qui puisse roucher le maître le plus ombrageux de l'ordre, de la ularité, de la tenue, de bons principes, comme on dit ourd'hui. Ce sont des sujets qui offrent des garanties. génie a d'autres allures. La force qu'il sent en lui et

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