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tions qui lui furent dévolues, fonctions qui réclament du sérieux, un zèle et un assujetissement perpétuels. Or Mme de Montausier n'avait rien de tout cela.

Vu son humeur et sa manière de vie toujours dissipée dans les choses extérieures, elle paraissait plus dévouée à l'estime publique qu'à l'amitié particulière.

Encore une citation. Bien que le passage soit fort agréablement tourné, il y manque la grâce suprême, cette vivacité spirituelle que Mme de Sévigné n'eut pas manqué d'y mettre. Il s'agit justement d'un de ses parents, le marquis de la Trousse, aussi célèbre par ses duels que par son exquise urbanité.

Le marquis de la Trousse fut tué en cette occasion, qui était estimé brave, honnête homme, et si civil que même quand il se battait en duel, ce qui lui arrivait souvent, il faisait des compliments à celui contre qui il avait affaire. Lorsqu'il donnait de bons coups d'épée, il disait à son ennemi qu'il en était fâché; et parmi ces douceurs, il donnait la mort aussi hardiment et avec autant de rudesse que le plus brutal des hommes.

Peut-être avons nous tort de demander à cet estimable écrivain d'autres qualités que celles qu'il possède. Mme de Motteville a été surfaite, à ce qu'il nous semble. La génération qui suivit, goûta médiocrement les Mémoires lorsqu'ils parurent en 1723. Les petits détails prodigués, les réflexions morales un peu longues et banales, une sorte de parti pris de n'effleurer que des surfaces, une réserve et une discrétion qui approchaient du déguisement, des lacunes essentielles enfin, valurent à l'ouvrage un accueil assez froid. On venait de découvrir Retz, si coloré et si hardi; c'était un terrible voisinage. Depuis, on a rendu plus de justice aux mérites aimables de ce style tempéré.

Le goût qui a régné, et qui règne encore, pour les infiniment petits détails de la chronique de ce temps, a ramené à Mme de Motteville beaucoup de lecteurs. Bien que née en 1621, elle est par l'esprit, le goût, la langue et le style, du pur siècle de Louis XIV. Elle se contient, s'observe, soigne l'expression et le tour, évite tout ce qui est insolite ou excessif; elle n'a rien de grand dans la manière, rien d'énergique. Cette âme tempérée a trouvé sans effort un langage à son image. C'est une lecture d'arrière-saison. L'impression en est douce, un peu triste, et au fond salutaire, si l'on y met un peu du sien. Mme de Motteville avoue qu'elle a connu le martyre de l'ambition, qu'elle a eu bien de la peine à quitter la cour « ce délicieux et méchant pays. » Le sacrifice était fait, quand elle se mit à écrire. Cela donne à ses récits une sérénité un peu froide, mais qui pénètre peu à peu. Elle prépare au détachement, elle y invite, sans trop presser et sans trop prêcher. Si on ne la suit pas jusqu'où elle est allée, on ne peut s'empêcher de dire avec elle en la quittant que la figure de ce monde passe.

LE JANSENISME

Louis XIV et le jansénisme. — La doctrine. Les hommes : Saint-
Cyran, la famille des Arnauld. Les Écoles de Port-Royal.
Le style janséniste.

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M. Sainte-Beuve a consacré à l'histoire de Port-Royal cinq volumes substantiels, renforcés de notes et d'éclair

cissements, et il s'en faut bien qu'il ait épuisé la matière; il le reconnaît lui-même en plus d'un endroit. Les documents sont innombrables, interminables surtout ce n'est pas par la sobriété et la concision que se distinguent les Jansénistes. Parmi toutes ces longueurs, toutes ces pesanteurs, se détache, brille et court la prose de Pascal. On serait bien excusable, dans une histoire littéraire, de s'en contenter, de ne regarder ni avant, ni après, ni à côté, de s'en tenir à cette fleur unique mais la tige qui l'a portée, n'est-il pas intéressant de la connaître ? On aime à se représenter les hommes de génie comme dans une sphère supérieure d'où ils dominent et planent: il ne faut pas les rabaisser; mais tout en les maintenant sur leurs hauteurs, il est juste de montrer le fil par lequel ils tiennent à terre. Comment expliquer Pascal, si on supprime le Janséisme? Le Jansénisme, pour Pascal, est ce que Dieu est pour saint Paul: in eo vivimus et movemur et sumus, en lui il vit, il se meut, il est.

Il y a plus, Pascal n'est qu'un accident dans l'histoire du Jansénisme. La doctrine existait avant lui, elle a continué d'être après lui; elle remplit tout le dix-septième siècle; elle trouble la première moitié du dix-huitième ; et après les orages de la Révolution qui firent tant de ruines, elle apparaît encore, bien modifiée sans doute, reconnaissable pourtant, et d'une humilité superbe, dans la forte personnalité de M. Royer-Collard. Je voudrais en réunir les traits principaux, en composer une espèce de cadre, d'où se détachera la figure de Pascal.

Ni par la date de sa naissance, ni par son esprit, le Jansénisme n'appartient au pur siècle de Louis XIV. Il est antérieur et au-dessus. Le roi, bien que fort ignorant, ne

s'y trompa jamais : d'instinct, il sentit qu'il y avait là une force qui lui échapperait toujours, et, comme tous les despotes, il voulut l'anéantir. Ses confesseurs Jésuites ne manquèrent pas de l'entretenir dans ces dispositions naturelles, que la vieillesse et les aiguillons de la peur exaspérèrent en cruauté. En vain l'opinion publique s'émouvait, réclamait la fin de l'exil du grand Arnauld: il fallut que ce sujet fidèle mourût loin de son pays. En 1709, le roi qui avait toute l'Europe sur les bras, trouve le temps de s'occuper des dernières religieuses qui achèvent de vivre à Port-Royal; il leur expédie d'Argenson avec des agents armés; il les fait enlever et disperser par toute la France. Enfin, l'année suivante, la maison est démolie jusque dans ses fondements; on exhume les corps des personnes de distinction ensevelies dans le couvent; quant aux autres, ils sont entassés et livrés pêle-mêle aux outrages des hommes, à la dent des chiens. A aucune époque de ce long règne, ni les prières des personnes les plus considérables, ni les protestations les plus vives de fidélité et de dévouement de la part de ceux qu'on appelait Jansénistes, ni la haine évidente et intéressée de ceux qui les accusaient, ne purent l'incliner à l'indulgence ou à la simple équité. Il voulut toujours voir en eux des ennemis. Il importe de constater ici, comme nous l'avons fait pour Corneille et pour Descartes, que tout ce qui constitue le Jansénisme, personnes, œuvres, esprit, tendances, tout cela ne dut rien à l'influence du grand roi, que l'honneur de la persécution.

Bien qu'il y ait plus d'un exemple, dans l'histoire, de la violence, de la férocité même à laquelle les querelles théologiques peuvent porter les hommes, il se mêle pres

que toujours aux questions de doctrine des passions et des intérêts d'un tout autre caractère. Ce n'est pas le seul amour de l'orthodoxie qui jetait sur le riche pays des Albigeois Simon de Montfort et ses croisés. Les discussions sur la grâce n'auraient été ni si longues ni si ardentes, elles n'auraient pas eu des conséquences si terribles pour les jansénistes et les religieuses de Port-Royal, si le maintien de l'intégrité du dogme en avait été le seul principe. On ne découvre bien pourquoi les hommes se font la guerre que quand la guerre est finie. Nous pouvons donc ne pas entrer dans le fond même du débat théologique ; mais il faut au moins signaler l'importance de l'opinion qui fut condamnée, et les conséquences qui en découlaient naturellement.

Au fond, Jansénius, Saint-Cyran son ami, et Arnauld avaient en vue un retour sincère et énergique à la pureté de la foi sur la redoutable question de la grâce, qui est à vrai dire tout le christianisme. On épiloguá, on équivoqua pendant cinquante ans sur les cinq fameuses propositions qui étaient ou qui n'étaient pas dans l'Augustinus : il eût été plus digne de ne pas se mettre en quête de fauxfuyants, et de déclarer hautement que, sur tel et tel point, on se séparait de la Sorbonne et de la cour de Rome. C'était l'hérésie, ils n'en voulurent pas; ils se prétendirent jusqu'au bout chrétiens orthodoxes, firent des soumissions ambiguës, et en fin de compte passèrent aux yeux de tous pour des hérétiques. Ils l'étaient, puisqu'ils avaient été condamnés par l'autorité la plus haute que reconnaissent les chrétiens, et qu'au fond, ils gardaient leur opinion. Ils ne l'étaient pas, parce qu'ils étaient réellement les représentants de la véritable doctrine du christianisme : eux XVIIE SIÈCLE.

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