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rive recueille l'épave. Il fallait finir ainsi, c'était l'usage. Les Retz, les Bussy, les Condé, la princesse Palatine, et tant d'autres incrédules se convertissaient avec plus ou moins d'ostentation. Du berceau à la mort, tout était ostentation, vie artificielle, agitation misérable. Voilà ce que La Rochefoucauld a vu, senti, rendu. La précision tranchante de son style, le ton dogmatique et absolu font illusion, on ne veut pas voir en lui un peintre de la société de son temps, mais un moraliste universel: il est l'un et l'autre; c'est là sa puissante originalité. Que cet esprit, étroit au fond, que ce grand seigneur ignorant, qui acceptait sans examen toutes les institutions et tous les préjugés de son temps, qui croyait qu'un homme de son rang n'était pas de même nature que les autres, qui n'avait aucune idée de ce que pouvaient être la liberté, la justice, le droit, la science, la vérité, ait pu cependant s'arracher à l'influence du milieu où il était enfermé, et saisir par delà les réalités passagères qui s'étalent et qui passent, les traits essentiels de la nature humaine : voilà où éclate le génie. C'est peut-être à cette révision incessante du style, à cette poursuite d'une briéveté idéale qu'il doit la profondeur de la pensée. En supprimant de plus en plus les détails particuliers et qu'il jugeait oiseux, ou sujets aux interprétations malignes, il atteignait cette concision forte, qui donne à l'idée toute sa portée et ce relief qui la grave profondément dans l'esprit. La société qui a inspiré le livre a péri, le livre reste. Les naïfs et les hypocrites prétendront le réfuter, les gens sincères diront peut-être.

MADAME DE MOTTEVILLE

Mme de Motteville.

Son origine, sa position, son caractère.
- Les diverses parties de

Ce qu'elle a vu et ce qu'elle ne dit pas. l'œuvre, la couleur, le style.

Il y eut parmi les successeurs de Ronsard (je dis successeurs, et non disciples),un poète du nom de Bertaut, qui plut à Marie de Médicis, fut choisi par elle pour être son aumônier, et enfin élevé à l'épiscopat. Parmi les gens de lettres qui avaient quelque tenue, ces fortunes n'étaient pas rares. On commençait par quelque bénéfice, comme Desportes, on finissait par un évêché. Godeau, le nain de Julie, fut évêque; l'érudit Huetle fut aussi, Balzac l'eût été s'il n'eut pas eu l'esprit si rogue; c'est peut-être Boileau aidé de Molière qui a empêché Cotin de l'être. Ce Bertaut, dont il ne reste que quatre jolis vers, d'un tour tendre, est mentionné en passant par Boileau: il paraît que la chute de Ronsard le rendit plus retenu.

Ce poète orgueilleux trébuché de si haut

Rendit plus retenus Desportes et Bertaut.

Il est permis de croire qu'il l'était naturellement. Mme de Motteville était sa nièce, et elle eut au plus haut degré cette qualité, qui serait bien précieuse, si d'ordinaire elle n'en excluait beaucoup d'autres.

Elle est née en Normandie (1621). Elle passa la plus grande partie de sa vie à la cour. Dès l'âge de sept ans elle y suivait sa mère, d'origine espagnole comme Anne

d'Autriche, très-avant dans sa confiance, et qui l'aidait dans tous ces petits complots qui impatientaient Richelieu. A la fin, il la chassa (1631). L'enfant avait déjà une pension de six cents livres, qui fut plus tard portée à deux mille. C'est dans cette première période de disgrâce que, restée orpheline et éloignée de la cour, elle fit ce qu'on appelle un mariage de raison. Ele épousa à dix-huit ans M. de Motteville qui en avait quatre-vingts. Son mari la laissa veuve deux ans après, mais il ne la fit pas son héritière. Anne d'Autriche se souvint d'elle, et la mort l'ayant débarrassée presque en même temps de Richelieu et de Louis XIII, elle rappela la fille de sa confidente, qui resta attachée à sa personne jusqu'à sa mort, en 1666. Dans quelle position? Cela est assez difficile à déterminer. Le titre officiel était femme de chambre, mais la charge était ce que la faisait la personne. Ne quittant pas la reine mère, lui servant de secrétaire, chargée de ses commissions les plus délicates, Mme de Motteville pouvait espérer une brillante fortune. Elle était jeune, libre, sage, dans une cour où on l'était peu, médiocrement belle, ce qui pouvait rassurer un mari plus soucieux de l'ambition que du reste; avec cela un esprit cultivé, une dévotion sincère, une maturité précoce, qui n'excluait pas un charme discret, une sorte de Mme Scarron, sauf la beauté. Il ne lui eût pas été bien difficile, à ce qu'il semble, de prendre sur la reine mère assez bornée, et qui avait besoin d'être conduite, une influence sérieuse. Malheureusement pour elle, ce fut Mazarin qui prit cette influence, et Mazarin, avec ses formes doucereuses et son patelinage, marchait au but aussi opiniâtrément que Richelieu avec toute sa violence. Il toléra Mme de Motteville, dont il ne se sentait pas aimé et

qu'il n'aimait pas, mais ce fut tout. Toutes les mesures importantes qui furent prises pendant les années si tourmentées de la Fronde, Mme de Motteville les ignora. En 1649, la reine mère après avoir célébré gaîment la fête des Rois avec son entourage, quitte Paris pendant la nuit et se retire à Saint-Germain, laissant sa maison au pouvoir de l'émeute. Mme de Motteville fut reconnue dans la rue, poursuivie, huée, menacée jusque dans une église où elle s'était jetée éperdue. En 1650, la reine mère se rend en Guyenne, voyage tout politique; elle n'emmène pas Mme de Motteville. Quand Mazarin dut céder à l'orage et quitter la France, Anne d'Autriche conserva près d'elle sa femme de chambre; mais quand la reine l'année suivante alla rejoindre à Poitiers Mazarin, qui rentrait triomphant, Mme de Motteville ne fut pas du voyage. A partir de ce moment, sa faveur déclina de plus en plus. Le coup le plus sensible l'atteignit en 1657. Elle avait réussi à faire obtenir à son frère la charge de lecteur du jeune roi, qui prenait le plus vif plaisir au Roman Comique de Scarron, alors dans sa fleur de nouveauté. Mazarin destitua le lecteur. La mort la débarrassa enfin de cet incommode ministre, et lui livra la confiance presque entière de la reine mère. Elle espéra, grâce à cette protection, la charge de gouvernante des enfants de Madame. Louis XIV n'y voulut point consentir : il soupçonnait, à tort ou à raison, Mme de Motteville d'avoir pris part dans un sens qui lui déplaisait aux intrigues de la jeune cour. La crime de Mme de Motteville était de ceux que ne pardonne pas un prince jeune, enivré de sa puissance et amoureux. La pauvre reine venait à chaque instant se jeter toute en larmes dans les bras de sa belle-mère et gémir sur les infidélités de son

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mari. Anne d'Autriche et Mme de Motteville la consolaient, la calmaient. Au sortir de ces scènes pénibles, la reine mère se rendait auprès du roi et lui faisait de vives représentations sur sa conduite. Ces sermons ne rendaient pas la reine plus aimable aux yeux de son époux, ni la reinemère plus chère à son fils, ni Mme de Motteville plus agréable au roi. Anne d'Autriche mourut en 1666, et Louis XIV ne se gêna plus. Me de Motteville quitta la cour où elle semblait n'être restée que pour prodiguer ses soins à la reine mère fort malade et fort délaissée, et vécut encore vingt-trois ans dans une demi-retraite. Elle se prêtait au monde mais ne se donnait pas. Toujours mesurée, discrète, s'effaçant volontiers, il lui arrivait parfois de rêver profondément. Le mot est de Mme de Sévigné. Les pratiques de dévotion d'une part, de l'autre la composition des Mémoires remplirent ses dernières années. Elle se demanda plus d'une fois sans doute, comme plus tard Saint-Simon, si un vrai chrétien avait le droit de médire de ses frères, si la vérité sur les personnes n'était pas une offense à la charité. Saint-Simon résolut ce cas de conscience dans le sens de son impétuosité de génie; Mme de Motteville prit un biais, ce qui allait bien à sa nature un peu molle et indécise: elle donna à la malignité humaine une demi-satisfaction; elle ne faussa pas la vérité, mais elle ne la dit pas tout entière. C'était sans doute à trouver ce mezzo termine qu'elle rêvait profondément. Il y avait bien de quoi.

Ses Mémoires ne satisfont pas : ils sont trop discrets, disons le mot, pas assez méchants. On voit trop que l'auteur a passé toute sa vie à côté des événements, sans avoir eu la volonté ou le pouvoir d'y prendre une part active.

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