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pas sans charme. Il semble que votre jeunesse vous revient, parée et charmante à l'unisson.

Bientôt, de ces profonds silences qui vous effrayaient tout d'abord, s'élèvent des bruits confus; ce sont des voix aimées qui vous parlent toutes à la fois; bientôt encore on dirait que la confusion s'arrête et que chaque voix veut parler à son tour.

Écoutez-les, et si chacune de ces voix, qui représente une année, une passion de votre vie, arrive à vous, racontant des opinions auxquelles vous êtes resté fidèle, des haines qui vivent encore en votre âme, et des admirations qui n'ont fait que grandir; si en même temps vous rencontrez, dans ce concert qui ne vous déplaît pas, quelque souvenir de luttes généreuses, de résistances loyales, de combats courageux : le faible protégé dans sa faiblesse imméritée, et le fort attaqué dans sa gloire injuste; et si vous pouvez dire à coup sûr voilà une renommée que j'ai faite, voilà un esprit que j'ai découvert le premier, voilà un nom qui est un nom, grâce à moi; et parmi vos erreurs, si vous en trouvez plusieurs qui vous ont été facilement pardonnées; et parmi les hardiesses de votre goût, si vous en rencontrez quelques-unes qui aient été justifiées, et dans vos prévisions, s'il arrive que vous ayez deviné juste, une fois sur dix, et si, en fin de compte, vous avez pour amis les vaillants, les fidèles, les courageux, les grands esprits, et si les autres seuls vous haïssent; les impuissants, les vaniteux, les faux poëtes, les faux historiens, les faux railleurs, les faux braves, les faux hommes de lettres, et si parmi les choses que vous avez écrasées, il ne s'est pas rencontré un chef-d'œuvre, et si parmi les choses que avez le plus louées, il ne s'est pas découvert une honte, et si votre instinct vous a guidé dans les passages difficiles, de façon à vous faire éviter les trappes, les écueils et les abîmes dont le sentier des belles-lettres pratiques est semé de toutes parts, et si, de tous ces obstacles.....

Tant de violences, de haines, de cris étouffés, tant de fureurs anonymes, tant d'injures, tant de calomnies, tant et tant de rages sourdes de l'amour-propre offensé, n'ont pas laissé plus de traces que l'escargot quand il passe... un peu d'écume gluante que la rosée efface et que le soleil emporte, alors, véritablement, cette profonde horreur que vous inspirait cet amas de feuilles, amoncelées dans le Capharnaüm du journal, devient une fête... une

fête de votre esprit! O bonheur! tout n'est pas mort dans ces catacombes. O bonheur ! il y avait dans ce nuage une lueur, dans ce silence un bruit, dans ce cadavre une âme; le feu est resté dans ces cendres éteintes. O mort! où est ta victoire? Esprit, j'ai retrouvé ton aiguillon!

Voilà comment, peu à peu, je suis venu à bout de cette œuvre de ténèbres, et bien m'en a pris d'avoir été fidèle à tout ce que j'aimais; bien m'en a pris de n'avoir juré par aucun maître, et d'avoir obéi uniquement aux convictions de mon esprit, aux penchants de mon cœur, n'acceptant pas d'autre volonté et d'autre caprice que les volontés et les caprices d'une imagination qui avait pris les habitudes les plus calmes et les plus régulières. Ces habitudes loyales d'un travail plein de conscience et de zèle, la critique les impose et bien vite, même aux esprits les plus disposés à la tentation et aux libertinages du hasard.

Vous avez vu, dans le premier tome de ce dépouillement, les premiers essais de cette muse à pied qu'on appelle la muse du feuilleton! Maintenant nous aborderons, s'il vous plaît, un terrain plus solide que le terrain de la fantaisie. A Dieu ne plaise, cependant, que nous lui donnions un congé définitif à cette folle du logis; elle nous a ouvert, de sa main complaisante, les longues avenues qui nous devaient conduire à l'analyse des œuvres sérieuses; elle a été, bien souvent le repos, et la consolation du lecteur fatigué d'analyse, et que de fois, quand j'allais commencer une critique à perte de vue, ai-je reçu de la fantaisie un bon et fidèle conseil; le conseil même que la muse badine donnait au poëte Horace à l'heure où il voulait tenter les hasards de la haute

mer:

-

Phoebus volentem prælia me loqui

Victas et urbes, increpuit lyra
Ne parva tyrrhenum per æquor
Vela darem.....

Soyez prévenus cependant que nous entrons dans les domaines fleuris de la comédie, à la suite de mademoiselle Mars, et que bientôt nous marcherons dans les sentiers sanglants de la tragédie, à la suite de mademoiselle Rachel. Car ce fut la chance heureuse du feuilleton de rencontrer mademoiselle Mars à son apogée,

et mademoiselle Rachel à son aurore; il arriva, juste à l'heure où la comédie était vivante encore, où la tragédie expirée allait renaître, et dans cette ombre éclairée et dans cette lumière douteuse, il sut entourer de ses hommages et de ses louanges la grande actrice vieillissante; il sut entourer de ses encouragements et de ses conseils la jeune tragédienne encore ignorée et qui s'ignorait elle-même! Il pressentit que mademoiselle Mars se pouvait rebuter au moindre obstacle à sa gloire, et il lui fit la route aussi facile qu'elle était glorieuse; il comprit aussi que la louange sans retenue était un péril à mademoiselle Rachel en pleine lumière; à sa louange, il mêla bientôt quelques rudes et sincères conseils. Entre ces deux femmes, celle-ci qui s'en va emportant la comédie avec elle, et celle-là qui arrive apportant à sa suite la tragédie, il faut placer une autre femme, une illustre, une infortunée, une passionnée, une éloquente... l'honneur et la maîtresse du drame moderne, qui est né avec elle, qui est mort avec elle est-il besoin de nommer madame Dorval?

Mademoiselle Mars, mademoiselle Rachel, madame Dorval, ces trois femmes sont trois drapeaux, trois guidons qui nous mèneront dans cette suite d'études dont elles ont été, tantôt le couronnement et tantôt le prétexte. Une phrase de M. le duc de Saint-Simon dans ses Mémoires se peut appliquer au feuilleton de 1830; M. le duc de Saint-Simon félicite le jeune roi Louis XIV, parmi les rares bon- . heurs qui attendaient sa royauté, de ce grand cortège d'hommes très-distingués qu'il rencontra en chemin. « Sa première entrée <«< dans le monde fut heureuse en esprits distingués. » Il ajoute, et ceci se peut appliquer à la critique, lorsqu'elle est faite avec zèle, avec bonheur, «Né avec un esprit au-dessous du médiocre, <«< mais un esprit capable de se limer, de se former, de se raffi«ner, d'emprunter d'autrui sans imitation et sans gêne, il profita «< infiniment d'avoir vécu toute sa vie avec les personnes du « monde qui toutes en avaient le plus, et des plus différentes « sortes, en hommes et en femmes de tout genre, de tout âge et « de tous personnages. »

On voudrait écrire l'histoire même du feuilleton, né avec un esprit au-dessous du médiocre, empruntant d'autrui, et se formant et se raffinant avec les personnes du monde qui ont le plus de goût, de science et d'esprit, on n'écrirait pas une

plus juste et plus véridique histoire. - Un peu plus loin, M. le duc de Saint-Simon, complétant le dénombrement des hommes considérables du siècle de Louis XIV, ajoute que rien ne manquait à ce beau siècle : « Pas même cette espèce d'hommes qui ne sont << bons que pour le plaisir. » Il voulait parler des poëtes et des artistes en tout genre; il aurait eu honte de les confondre avec les hommes de robe, avec les hommes d'épée, avec les hommes d'État, et surtout avec les grands seigneurs, qu'il considérait comme l'ornement le plus précieux de la cour de Versailles!

Combien on l'eût étonné cependant, ce grand seigneur belesprit, si on lui eût dit que son immortalité tiendrait un jour, qui n'était pas loin, uniquement à cette gloire: qu'il serait reconnu un des grands écrivains de son siècle; et comme on l'eût fâché si l'on eût ajouté Monseigneur, ces hommes dont vous parlez si légèrement, ces peintres, ces poëtes, ces musiciens, ces archi-. tectes, ces philosophes, ce comédien Molière, et plus tard, ce fils de votre notaire, Arouet, que vous voulez bien appeler un garçon d'esprit, survivront tout bonnement, non-seulement par leurs chefs-d'œuvre, mais encore par les plus simples bagatelles de leur génie, à cette imposante société française qui, pour vous M. le duc, commençait au roi, et s'arrête aux ducs et pairs. Heureux cependant le roi de France, heureux le feuilleton qui rencontrent, en leur chemin, beaucoup de ces hommes « qui ne sont bons que pour les plaisirs de l'imagination, de l'esprit et du cœur!»> Pourtant, comme disait Suétone en ses Histoires: Maledicere senatoribus non oportet.

Quelques-uns, même au premier rang des braves gens qui reconnaissent que la poésie a droit de cité parmi nous, que la philosophie, après tout, n'est pas faite pour se morfondre à la porte des écoles, que l'auteur dramatique est nécessaire au théâtre, et le romancier au foyer domestique; ils vont plus loin; ils acceptent l'historien comme un vengeur nécessaire, ils ajoutent que la fable est utile aux enfants, que l'élégie est bien séante au jeune homme; une nouvelle bien faite a son prix pour la femme oisive, un long poëme endort agréablement le vieillard, un bon dictionnaire est la science de l'ignorant; même le conte de fée a sa faveur et son charme, ils en conviennent. Mais, disent-ils, à quoi bon la critique, et que peut-on faire, ici-bas, de ces jurés peseurs

de diphthongues, au sourcil dédaigneux, qui ne trouvent rien de bon, rien de vrai, rien de juste et de naturel? Au sens de ces hommes sérieux, les critiques de profession blessent le poëte, ils impatientent le lecteur; leur goût consiste absolument à n'avoir pas le goût de tout le monde; ils imposent leur volonté à la foule obéissante, à regret obéissante; ils brisent ce que le public adore, ils relèvent ce qu'il a brisé; quand ils devraient donner la force et le courage aux artisans de la belle gloire, ils s'appliquent, au contraire, à leur montrer l'obstacle, à leur faire sonder l'abime, à leur prouver qu'ils tentent l'impossible.

« O l'étrange chose, disait l'ancien Balzac, qu'un grammairien qui n'a étudié que les syllabes, prononce hardiment sur les cuvres de tant de grands hommes. Voilà, à mon sens, ce qu'on ne devrait pas souffrir. » Lui-même, Voltaire, qui était le bon sens et le génie en personne, il eût voulu que le roi envoyât Fréron... aux galères! Eh Dieu! que de violences, que de larmes, que de colères, que d'injures et quel débordement incroyable de mille fureurs insensées contre les écrivains malavisés qui se figurent qu'il leur est permis de dire: Ceci est bon, ceci est douteux !

Comment donc, ces rhéteurs donnent au drame son droit de bourgeoisie! Ils donnent ses lettres de noblesse au vaudeville! De quel droit, et comment? et pourquoi ?.. qui te l'a dit?

Ainsi parlent tous ces esprits impatients du joug et de la contrainte; ainsi se révoltent, à chaque mot qui les presse, ces grands inventeurs de chefs-d'œuvre; ainsi, les patriotes de la poésie et des beaux-arts, les saltimbanques de la chose écrite, les maladroits, les médiocres, les éreintés, les impuissants, les inconnus, qui voudraient être célèbres en vingt-quatre heures, les esprits fanfarons et stériles, les diseurs de quolibets, de proverbes et d'équivoques, les braves gens qui vivent des lettres ou du théâtre, et qui se figurent qu'ils exercent un métier comme tout autre métier, régulier, patenté, accepté, régi par des lois, par des ordonnances, par des maîtrises, imaginent d'échapper, par l'injure, à cette loi de la critique universelle qui permet à quelques-uns de formuler l'arrêt de la foule, à condition que si la foule se trompe, elle soit blâmée et raillée et censurée à son tour! Que de sifflets mérités par le parterre applaudissant le sonnet d'Oronte, et trouvant que c'était une belle chose! Que de haine et de mépris pour le par

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