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le ciel, l'ironie et l'esprit, l'argent et l'amour, toutes les délices se réunissent dans le même drame pour réjouir le jeune roi de cette cour brillante. Molière à part, heureux sont les rois et

les peuples qui s'amusent à moins de frais!

Maintenant, si vous voulez savoir le nom de l'auteur de la Malade imaginaire, eh bien! saluez Son Altesse Royale madame la princesse Amélie de Saxe, une princesse aimée, honorée, entourée de louanges, facile à vivre, malgré sa double qualité de princesse et de poëte dramatique ! Un instant, lorsque S. M. l'empereur Napoléon se lassant, de sa couche bourgeoise et stérile, se mit à chercher autour de lui-même, en Europe, quelque princesse des royales familles à qui il pût confier l'éternité de sa dynastie, le nom de la princesse Amélie de Saxe fut prononcé parmi les aspirantes à cette illustre couronne. Peu s'en fallut qu'elle ne s'appelât S. M. l'impératrice des Français..... et du monde! L'Autriche l'emporta dans cette lutte qui devait aboutir à tant de misères; soyez-en sûr cependant, si la princesse Amélie a regretté quelquefois cette lourde couronne, son regret n'est venu qu'aux mauvais jours, quand à la place de la couronne l'impératrice des Français n'eut plus à porter que des calamités étranges. Alors, en comprenant combien eût pu être belle et grande la destinée d'une fille de tant de rois, partageant l'exil de ce grand soldat de la fortune, quelle est la noble femme qui ne se soit prise à pleurer?

Witikind, Witikind, vous le rival de Charlemagne, vous le fier et indompté Saxon que le baptême seul a pu dompter, quand la Germanie tout entière se soulevait à votre voix toute-puissante, quand le Rhin, l'Elbe et l'Oder coulaient sous vos lois, quand vous défendiez la patrie saxonne contre les Francs de Charlemagne, quand, en désespoir de cause, vous alliez chercher les les Danois et les Normands pour revenir en aide à vos Saxons; - ô terrible soldat! vous qui faisiez reculer les Francs, si les Francs n'eussent pas obéi à Charlemagne, qui vous eût dit qu'à onze siècles de distance, un princesse de Saxe charmerait ainsi par sa grâce et par sa fécondité toute française, ces mêmes peuples qui ont été les fiers Saxons de Witikind?

LA DESTINÉE DES HÉROS DE MOLIÈRE.

HARPAGON. CATHOS ET MADELON.

L'ÉTOURDI.

GROS-RENÉ.

MASCARILLE.

REGNAR D.

C'était en 1696, il y avait déjà vingt-trois ans que Molière était mort, et avec Molière la comédie. Tout ce beau monde du xvir siècle, dont il était l'esprit, le bon sens et la gaieté infatigable, se remettait peu à peu des alarmes qu'il avait causées à tous et à chacun, aux petits marquis et aux bourgeois, aux précieuses et aux hypocrites les uns avaient tout simplement profité des leçons de Molière; les autres, les plus endurcis, avaient dissimulé plus que jamais leurs ridicules et leurs vices. Ce serait un beau livre à faire, celui-là: l'influence de cette grande comédie sur les mœurs de cette grande époque. Dites-moi, en effet, si vous le savez, quel a été le sort de tous ces héros de la comédie, ces hommes si nettement dessinés, ces femmes si charmantes et si belles? Que sont-ils devenus depuis que Molière est mort? Qu'ont-ils fait de leurs vices, de leurs ridicules, de tous les travers que Molière a poursuivis? La question est compliquée, et pourtant elle n'est pas d'une solution impossible.

Mademoiselle Cathos et mademoiselle Madelon, les précieuses, devenues plus sages, ont épousé, à leur premier cheveu blanc, deux procureurs an Châtelet; Sganarelle, le cocu imaginaire, est devenu veuf; il pleure sa femme, et il raconte, à qui veut l'entendre, son aventure avec le jeune Lélie; la gentille Agnès de l'École des Femmes, charmante et malicieuse enfant qui n'a pas d'autre maître que l'amour, vient de mettre au monde son troisième fils, et elle ne demande plus si les enfants se font par l'oreille. Avez-vous entendu raconter l'histoire de madame Célimène? Elle est plus triste que celle de Ninon de Lenclos.

Voici le fait quand le grand et généreux Alceste eut abandonné, à ses passions de chaque jour, cette femme dont il était la gloire et la force, Célimène s'imagina qu'elle n'avait jamais été davantage la souveraine maitresse de ses actions, de ses amours. Délivrée de ce censeur importun, elle s'abandonna plus que jamais, la frivole! à ses coquetteries cruelles. Mais à force de jouer avec le feu, elle se brûla elle-même. Depuis longtemps le

petit marquis Clitandre serrait de très-près Célimène. Le marquis Clitandre était un beau de la cour; il avait à cœur toutes les injures qu'il avait reçues; il voulait se venger; il savait attendre il attendit. On l'aima, il fut insolent insolent, on ne l'aima que davantage. Elle fut battue... et battue, elle adora Clitandre. Clitandre adoré, trouva que la dame était insupportable, et il la joua au pharaon avec le marquis Acaste. Ainsi cette belle veuve de tant d'esprit et de tant de grâces, qui recevait dans son antichambre les plus jeunes et les plus élégants courtisans de Versailles, trahie par ses propres faiblesses, passa de mains en mains et d'amours en amours jusqu'au jour où sa maison fut déserte, où la vieille Arsinoé elle-même la fit consigner à sa porte.

On dit qu'enfin Célimène est morte d'ennui de ne plus être belle et surtout de ne plus être aimée. Avant de mourir, elle écrivit pour demander son pardon au pauvre Alceste, qui la pleura. Tel fut le dénouement de cette comédie, où le rire était mêlé aux larmes. Les larmes ont fini par dominer; c'est l'histoire de toute comédies en ce monde, quand on la pousse un peu trop loin.

Avec de la bonne volonté et quelques heures de méditation, vous pourriez savoir, à ne pas vous tromper, ce qu'ils sont devenus, tous ces héros galants ou naïfs, amoureux ou ricaneurs. M. Harpagon, malgré la verte leçon, est resté un avare. Seulement, en vieillissant il est devenu plus avare. Il a renvoyé, le même jour, son cuisinier et son cocher, lesquels est parti les trois mains vides, et sans cette admirable casaque où il y avait une tache d'huile. M. Harpagon a vendu ses deux chevaux dont il volait le foin, et avec son carrosse il a complété un emprunt usuraire. Le carrosse de M. Harpagon a remplacé le lézard empaillé, le luth de Bologne et le trou-madame.

Il y a des vices que l'on ne corrige pas: Molière le savait mieux que personne, et voilà pourquoi il flagelle jusqu'au sang certains vicieux. Ne me demandez pas des nouvelles de Tartufe. Cet horrible Tartufe s'est sauvé de la Bastille, non pas sans voler le geôlier et sans lui enlever sa fille. En vain a-t-on couru après lui, nul n'a su retrouver ses traces. Le seul homme qui eût pu le reconnaître, Molière, était mort depuis vingt-quatre heures, quand Tartufe s'est échappé, justement assez à temps pour couvrir de fange la mémoire de Molière. Ainsi peu à peu

cette comédie joyeuse et riante devient silencieuse et sévère. Vingt-trois ans ont passé sur ces tètes brunes et bouclées ; ces tètes si jeunes ont perdu une partie de leur flottante parure, et ces cœurs qui battaient si vite se sont ralentis; hélas! ce grand éclat de rire est un songe à cette heure, à peine un pâle sourire est resté sur ces lèvres pâlies aujourd'hui par les veilles ou par les baisers. Telle est la comédie, et tel est le monde, son image!

Ces vives passions ont changé et se sont déplacées; ces amours s'amortissent et s'en vont où vont toutes choses. Ces ridicules sont remplacés par d'autres ridicules, comme les modes d'hier sont remplacées par les modes du lendemain. La jeune fille est mère, la mère est grand'mère, la coquette est dévote, la dévote est morte en odeur de sainteté. Le compagnon étourdi de Mascarille prête son argent au denier dix, et si la chose était à refaire il ne se donnerait pas tant de soucis et tant de mensonges pour épouser une fille sans dot et sans famille. Cependant, qu'est devenue Lisette, qui riait toujours? Gros-René, qui se jetait si bien aux genoux de Marinette? Marinette est devenue madame Gros-René, elle est battue autant que la femme de Sganarelle.

C'en est fait, de toutes parts, dans l'univers comique, le bâton remplace l'éclat de rire, le mariage efface l'amour, les passions font place aux intérêts. Versailles s'est attristé tout aussi bien que le théâtre. Tout a vieilli là-bas comme ici. Le temps n'est plus, hélas ! où Molière et le roi étaient si jeunes, où ils s'entendaient à demi-mot, pour faire à eux deux, vingt chefs-d'œuvre, où celuici empruntait les bons mots de celui-là, où ils soupaient tête à tête aux dépens des petits marquis; le temps n'est plus où la comédie riait, folâtrait et montrait son épaule brune et nue sous les charmilles de ces jardins.

Oui, cela est triste de voir mourir les grands poëtes; mais cela doit être bien plus triste de voir, tout d'un coup, leurs œuvres vieillir et se faner comme les fleurs de l'automne. Seulement les œuvres du génie ne sauraient mourir. Elles ont à réclamer un printemps éternel. Laissez-les vieillir! Laissez mourir la génération qui les a vues naître, laissez-les arriver à leur seconde jeunesse et cette jeunesse ne finira plus. Voilà justement ce qui est arrivé à la comédie de Molière. Lui, mort, le xvir siècle tout entier fut saisi d'une profonde indifférence pour cette comédie que

le siècle de Louis XIV avait tant aimée. Le xvIe siècle s'était figuré tout simplement, l'orgueilleux! qu'il vivrait de la vie de Molière et qu'il vivrait aussi longtemps que Molière !

Comme il vieillissait, comme il était devenu grave et prosaïque, comme il renonçait déjà aux folles et heureuses vanités de la jeunesse, cela lui faisait mal de revenir sur la comédie faite pour ses beaux jours. Ainsi ce siècle boudait contre ce même Molière qui l'avait tant amusé. Il s'en prenait à Molière de la tristesse qui s'était emparée de son esprit et de ses sens. Était-ce la faute de Molière? Eh! donc, cela venait tout simplement de ceci : ce beau siècle était entré dans le cercle fatal où 1789 attendait Louis XIV, et sa monarchie et sa royauté.

Moi, cependant, il me semble que je les entends tous, après Molière, les uns et les autres, à Paris, à Versailles, qui s'écrient et qui se récrient : « On ne fait plus de comédie! la comédie est morte! Molière est mort! » Les siècles, plus que les hommes, ne veulent pas vieillir, ils aiment bien mieux dire : - Voilà mon chef-d'œuvre qui est mort! Hélas! c'est toi-même, mon pauvre ami, qui es mort; et dans mille ans d'ici ce chef-d'œuvre, dont tu chantes le De profundis, plus jeune, plus frais, plus galant et plus amoureux, le pied levé, dansera sur ton cercueil.

La comédie était encore en deuil de son poète quand tout à coup, comme je vous le disais, en 1696, au commencement de l'hiver, circula dans Paris une rumeur joyeuse. « Un poëte comique nous est né! Tout n'est pas perdu, nous aurons encore de la comédie! » A cette nouvelle, qui était vraiment une grande nouvelle, on s'inquiète, on s'informe, on s'agite. De quel côté nous viendra le nouveau poëte? Quel est son nom? Où se tient-il? Est-il donc, lui aussi, comme l'autre, un comédien ambulant, a-t-il fait son tour de France, de tréteaux en tréteaux? Où sont ses fringantes comédiennes? Il se fait bien temps aussi qu'on nous en donne de nouvelles; les nôtres sont bien vieilles et bien usées; elles ont posé la première pierre de l'Hôtel de Bourgogne, et elles y ont laissé leur dernière dent!

Ainsi l'on parle dans la ville. Depuis que Molière est mort, jamais plus grande anxiété n'a préoccupé les esprits. Un siècle qui se meurt est si heureux de se rattacher à une poésie naissante! La vieille Ninon, à quatre-vingts ans, ne fut pas plus fière

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