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dyspepsie, de la dyspepsie dans l'apepsie, de l'apepsie dans la lienterie, de la lienterie dans la dyssenterie, de la dyssenterie dans l'hydropisie, et ce faisant, à pas un de ceux qui l'entourent, la dame ne donne ni paix ni trève. Mais surtout c'est la pauvre Anna, sa belle-fille, qui supporte ces dégoûts et ces fatigues.

En ceci, la malade imaginaire nous paraît plus logique et plus sincère que le malade imaginaire. Ce digne M. Argan n'est guère à charge qu'à Toinette, sa servante; il n'exige guère les bons offices de sa fille Angélique ou de sa petite fille Louison; sa femme elle-même n'en prend qu'à son aise. Si vraiment cet homme se sentait bien malade, il serait d'une tout autre exigence; il ferait comme madame Sturmer, il serait égoïste, il serait impitoyable, il serait insupportable. Le malade de Molière est un grand enfant, mais madame Sturmer est le véritable malade imaginaire; on rit de celui-là, mais on déteste celle-ci.

Toutefois la jeune et douce Anna, tout comme mademoiselle Angélique Argan, est en train d'aimer un jeune homme, le baron Jules de Lowemberg. Rassurez-vous, cependant, notre auteur a l'esprit libéral, et il veut bien vous prévenir que c'est là un baron de fraîche date, le fils d'un marchand enrichi; ainsi ne vous gènez guère plus avec ce baron-là que s'il s'appelait Cléante, comme l'amant d'Angélique. Notre baron, en sa qualité de baron, a fait des dettes, il a peu étudié le droit, il a laissé là, sans lui dire pourquoi, une jeune fille à qui il avait juré un amour éternel.

Sous aucun rapport ce baron ne vaut notre roturier Cléante. Cléante est un honnête garçon très-amoureux, très-fidèle, et trèsdévoué. C'est en vain que tout s'oppose à son mariage, en vain que M. Argan l'a chassé de chez lui, sous prétexte qu'il n'est pas médecin, Cléante est resté fidèle à la belle Angélique ; il est là, près d'elle sans fin et sans cesse; il ne la quitte ni des yeux, ni du cœur ; de bonne foi, cela vaut bien autant que d'être baron, voire un des premiers barons chrétiens ou non chrétiens.

Malheureusement, comme je vous le disais tout à l'heure, la pauvre Anna est loin d'être aussi libre que mademoiselle Angé lique. Anna passe le jour et la nuit à côté de sa belle-mère, c'est elle qui endort madame de Sturmer aux accords de la harpe, et c'est elle qui supporte tous les dégoûts de cette maladie.

Ce n'est pas elle qui recevrait un amant dans sa chambre, sauf à

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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

lui dire: - Sortez, sortez, sortez, vous me mettez au désespoir... et tout le reste du récit de la petite Louison.

Une fois seulement, par une pluie battante, madame de Sturmer, la malade imaginaire, ordonne à la douce Anna d'aller chercher à l'instant même le plus habile médecin de la ville. Anna obéit. Elle prend un parapluie et elle s'en va, au plus fort de ce déluge, jusqu'à la porte du médecin. A la bonne heure, enfin, voilà le médecin réhabilité, et de très-haut. D'abord celui-là ne s'appelle ni M. Purgon, ni M. Diafoirus, ni M. Thomas Diafoirus, ni M. Fleurant, celui-là s'appelle, devinez? Il s'appelle: M. Loewe! C'est un homme de trente-huit ans déjà, mais du plus noble cœur. Les infortunés n'ont jamais eu d'ami plus dévoué; toutes les misères humaines trouvent en lui un consolateur.

Entrez, la maison est ouverte, l'appartement est dans ce savant et heureux désordre qui indique un brave homme: des oiseaux qui chantent, des fleurs qui fleurissent, des tableaux et des marbres, des livres qui murmurent leurs plus nobles pensées, des pauvres à la porte, et qui s'en vont les mains pleines, l'âme consolée. M. Loewe, ainsi entouré, est loin d'être heureux.

Sa solitude lui pèse; il pleure encore la première jeune fille qu'il a aimée... elle est morte, faute d'avoir rencontré un docteur Loewe; enfin son coquin de neveu n'est pas un médiocre souci pour ce bon docteur. - Telle est cette heureuse image; c'est moins amusant à regarder que la thèse du petit Thomas Diafoirus, mais c'est plus consolant. Aussi eût-on peut-être bien fait d'intituler tout simplement la présente comédie: Le Médecin imagi

naire.

Anna arrive chez le docteur Loewe comme si elle était venue à la nage. L'eau ruisselle de ses habits; ses cheveux même sont tout mouillés; nul ne se douterait, à la voir ainsi faite, que c'est là une riche héritière d'un million, un million, tout autant, pas un florin de moins, et encore c'est bien peu. Voilà donc notre médecin et notre jeune fille qui sont en présence et qui se compren nent à merveille. La jeune fille est déjà un habile praticien sans le savoir. Elle panse, de ses blanches mains, une pauvre femme qui s'est blessée au front: le bon docteur est ravi de cette cha-te et naïve apparition. Je vous assure que la scène est fort jolie, un peu allemande peut-être, mais où est le mal? Si vous aviez là

sous la main, quelque bon et honnête roman d'Auguste Lafontaine, ne le liriez-vous pas avec le plus grand empressement?

A l'acte suivant, le docteur Loewe se fait annoncer chez la malade imaginaire, madame de Sturmer, et certes il est loin d'avoir les lâches complaisances de MM. Diafoirus père et fils pour M. Argan. Au contraire, le docteur Loewe est sévère jusqu'à la rudesse. Il ne va pas s'occuper à rechercher si le pouls de madame est « dur, repoussant et même un peu capricant; » tout ce qu'il peut faire, et encore par amour pour miss Anna, c'est d'ordonner à la malade des boulettes de mie de pain. En même temps, plus il regarde cette jeune fille, plus il la trouve belle et à son gré. Que vous dirai-je? le docteur Loewe finit par mettre aux pieds d'Anna sa fortune et sa main. En véritable malade imaginaire, madame de Sturmer ne demande pas mieux que de donner sa fille à un médecin. « Je veux me faire un gendre et des alliés médecins, afin « de m'appuyer de bons secours contre ma maladie et d'être à « même des consultations et des ordonnances. >>

cet

Tout ceci ne fait guère le compte d'Anna; à vrai dire, homme de trente-huit ans, ce savant modeste, qui aime tant les beaux livres et les oiseaux chanteurs, ne lui déplairait guère, mais elle a un tendre penchant pour le jeune baron de Lowemberg. D'abord il est beau, et ensuite il est le premier qui lui ait dit: Je vous aime! ce qui est un grand point; mais quand elle vient à savoir que le baron aimait autrefois une jeune fille, et que cette jeune fille est à attendre encore l'ingrat qui ne revient pas, la pauvre Anna est bien malheureuse. Épouser un perfide, quel danger c'est courir! Ici nous nous trouverions en plein drame, si nous n'avions pas, pour nous réjouir quelque peu, les transes sans cesse renaissantes de la malade imaginaire, les gaillardises de la soubrette, mademoiselle Henriette, et même un peu de politique. Si vous saviez le nom de l'auteur, vous trouveriez qu'il faut être bien malade pour trouver de la politique dans ses comédies. — En voici, cependant:

Madame Sturmer. -- « Que me font les Espagnols, les Belges « et les Grecs? Si tous ces gens-là eussent été de la même hu« meur que moi-même, aucun d'eux n'eût songé à faire une révolution. » Voyez-vous la politique! Voyez-vous le nom de la France qui manque sur cette liste de nations révolutionnaires?

Eh bien il y aurait peut-être une guerre possible, avec ce nom

là de plus.

nette.

Quant à la soubrette Henriette, elle a la dent quelque peu méchante, sa plaisanterie est moins gaie que la plaisanterie de ToiC'est celle-là, Toinette, qui est une bonne et heureuse fille, un joyeux boute-en-train, une franche servante, un caractère bien fait! Mademoiselle Henriette, au contraire, rage en dedans, et dans ses plus joyeux moments elle s'écrie en parlant de sa maîtresse : « Si le docteur Loewe pouvait l'empoisonner! » C'est fort bien fait de nous faire aimer les médecins, mais il ne faudrait pas nous faire détester les soubrettes. Il est vrai que la soubrette est un produit éminemment français, tout comme l'opéracomique est un genre éminemment national.

Cette comédie, dont le nœud est suffisant, se dénoue avec bonheur. Vous assistez d'abord à la réhabilitation du notaire, tout comme vous avez assisté à la réhabilitation du médecin. Dans la comédie de Molière, M. Bonnefoi le notaire est bien près d'être un fripon, ainsi que la scène l'indique. M. Bonnefoi est consulté par M. Argan, qui veut dépouiller ses propres enfants de tout son bien. La coutume y resiste, dit le notaire; mais, en personne accommodante, il indique certains expédients pour passer doucement par-dessus la loi et rendre juste ce qui n'est pas permis; tout au rebours le notaire de notre comédie. Le baron de Lowemberg lui a offert deux mille écus (c'est bien peu pour une dot d'un million), à condition qu'il remplacerait sur le contrat de mariage le nom du docteur Loewe par le nom du baron de Lowemberg. Naturellement, les parties contractantes signeront le contrat sans le lire, et quand le docteur Loewe se croira bien marié avec miss Anna, on lui prouvera que c'est son coquin de neveu qui a épousé la dame. Cela se fait ainsi dans le Barbier de Séville, ajoute notre poëte comique, qui est trop honnête en vérité pour vouloir nous tromper.

Mais, à cette proposition, le notaire a répondu : — Vous me donneriez dix mille écus, que je ne ferais pas ce faux-là! Ce qui est bravement répondu.

A cette horrible nouvelle d'une pareille escroquerie par devant notaire, qui est bien affligé? C'est le bon docteur. Les ingrats! s'écrie-t-il; et comme ils m'ont trompé ! Cependant on apporte le

contrat; on le signe sans le lire, le docteur Loewe le signe d'une main ferme, Anna d'une main joyeuse, le baron de Lowemberg d'une main tremblante. O surprise! ô bonheur! Anna a été loyale, elle a demandé au notaire un contrat sérieux, dans lequel elle donne tout son bien à son mari; elle est donc à tout jamais la femme du docteur Loewe; elle n'a pas voulu épouser ce petit baron qui avait une autre fiancée et qui voulait se marier à l'aide d'un faux contrat. Chacun est heureux, et même la malade imaginaire, qui pourra tout à l'aise consulter le bon docteur.

Voilà cette comédie allemande. Cela est d'une grande et élégante naïveté. C'est ainsi que doit s'amuser une honnête cour toute composée d'affables grands seigneurs, que l'aspect des vices importune et fatigue. Excepté deux ou trois mots cruels de la soubrette, il y a dans tout ce dialogue une réserve, une décence, une tenue incroyables. On dirait l'écho lointain et tamisé d'une petite comédie des premiers jours de M. Scribe. Dans cette comédie, plusieurs petits ridicules contemporains sont effleurés en passant et comme si l'on avait peur de s'y arrêter. — Les gros vices sont traités tout à fait comme la révolution de 1830, dont on n'a point parlé. A quoi bon introduire une si grosse chose dans une si futile comédie?

Mais, direz-vous, quelle est donc la cour souveraine assez heureuse, assez calme, assez exempte d'ambition et de terreurs, assez dégagée de toutes les passions des sens pour se plaire à ces légères et murmurantes esquisses? Nous parlions tout à l'heure du Malade imaginaire de Molière, de cette comédie faite pour amuser Louis XIV une heure ou deux; comparez les deux comédies :

Que de silence là-bas ! Le calme heureux et quel sans-gène bourgeois! - Ici, dans le Versailles du XVIe siècle, que de pompe, que d'éclat! Quelle gaieté jetée à pleines mains comme l'esprit ! Quelle profusion presque insensée de joies, de paradoxes, de divertissements, de poésies de tout genre! Cela commence par un prologue entre Célimène et Daphné, Dorilas et Tircis ; cela se termine par une bouffonnerie pour laquelle il ne faut rien moins que tous les comédiens de la comédie. Au troisième acte l'action s'interrompt pour faire place à Polichinelle et à sa bande — musiciens et danseurs. Ce ne sont que festins, concerts, poésies italiennes, rondeaux, joutes, tournois, illuminations; la terre et

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