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« Il faut que ce soit quelque gros monsieu, car il a du d'or à << son habit, tout depuis le haut jusqu'en bas........ Quien Charlotte, << ils avont des cheveux qui ne tenont point à leurs têtes, et ils << boutont cela, après tout, comme un gros paquet de filasse. Ils << ont des chemises qui ont des manches où t'entrerions tout << brandis toi et moi. En glieu d'haut-de-chausse, ils portont une << garde-robe aussi large que d'ici à Pâques; en glieu de pour« point, de petites brassières qui ne leur vont pas jusqu'au bri«< chet; et en glieu de rabat, un grand mouchoir de cou à résiau << aveuc quatre grosses houppes de linge qui leur pendont sur « l'estomaque. Ils avont itou d'autres petits rabats au bout des << bras, et de grands entonnoirs de passement aux jambes; et << parmi tout ça tant de rubans, tant de rubans que ça c'est une « vraie piquiè; ignia pas jusqu'aux souliers qui n'en soyont << farcis.... >>

Et si Nicole les voyait ainsi affublés les uns et les autres, que dirait-elle? « Hi, hi, hi, hi, hi!

M. JOURDAIN.

«Que veut dire cette coquine-là?

NICOLE.

« Vous êtes tout à fait drôle comme cela! - Hi, hi, hi!» Et madame Jourdain, que dirait-elle dans son gros bon sens? <«< Ah! ah! voici une nouvelle histoire! Qu'est-ce que c'est << donc, mon mari, que cet équipage-là? Vous moquez-vous du << monde de vous être fait enharnacher de la sorte, et avez-vous <«< envie qu'on se raille partout de vous?

M. JOURDAIN.

« Il n'y a que des sots et des sottes, ma femme, qui se riront << de moi. >>

Et celui-là aussi, il peut dire ce que disait, si justement de luimême, le grand Corneille :

Je ne dois, qu'à moi seul, toute ma renommée !

Il n'a rien dû à personne, pas même au faiseur de décorations. Le faiseur de décorations n'était pas inventé du temps de Molière, et le poëte, maître chez lui, eût violemment chassé le barbouilleur qui se fût mêlé de sa comédie!

Il ne devait rien, non plus, au metteur en scène, aux accessoires, aux comparses, aux claqueurs... Toutes ces belles choses lui eussent fait pitié! Il était lui-même, son metteur en scène; pour tout accessoire il avait un bâton, un sac, un miroir, une cassette grisrouge, un diamant d'Alençon. - Pour chef de claque et pour claqueurs, il avait Louis XIV et les courtisans de Versailles. revenons à l'Amphitryon.

- Mais

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Amphitryon. La plus charmante plaisanterie que l'antiquité nous ait laissée! A coup sûr c'est la comédie la plus latine de Plaute, ce vieux latin qui représenterait, au besoin, toute la langue vulgaire de l'ancienne Rome. Après le Misantrope, Amphitryon est la comédie que Molière ait écrite avec le plus de soin, de zèle et d'attention sur lui-même! Un jour, au cabaret, Boileau, qui venait de lire des vers, priait Molière d'en lire à son tour: « Ah! dit Molière, je me sauve; je n'ai pas le temps de si bien écrire... » Molière a pris son temps dans Amphitryon; il a été un poëte tout à son aise, et même le prologue, en guise d'invocation au jeune Roi, qui venait d'ajouter la Franche-Comté à la France, atteste un grand soin poétique :

Mais nos chansons, grand roi, ne sont pas sitôt faites,
Et tu mets moins de temps à faire tes conquêtes
Qu'il n'en faut pour les bien louer.

Quant au prologue, c'est un chef-d'œuvre de goût, d'atticisme et d'élégance; la plaisanterie est vive et légère, le sourire est fin et railleur ; on dirait, au ton soutenu de ce passage, du vers même de Quinault, on dirait des vers de La Fontaine :

Que vos chevaux par vous au petit pas réduits,
Pour satisfaire aux vœux de son âme amoureuse,

D'une nuit si délicieuse

Fassent la plus longue des nuits!

On devait parler ainsi, à Versailles, chez le roi Louis XIV, à Chantilly chez le prince de Condé, à qui la pièce est dédiée, « bien qu'il

<< fût plus simple, Monseigneur, de mettre votre nom à la tête d'une «< armée qu'à la tête d'un livre. » Le prologue latin, au contraire, s'inquiète assez peu de ces précautions et de ces élégances.

Plaute, en pareille aventure au moment du prologue, s'adresse uniquement au peuple romain; il ne veut pas d'autre client, d'autre protecteur. Venu dix-huit ans après Térence, ce digne enfant de Ménandre, Térence, un Athénien sous l'enveloppe romaine, l'ami, le commensal, quelques-uns ajoutent le collaborateur des plus grands seigneurs de la république, Plaute se dit à lui-même qu'il réussirait surtout en s'adressant aux passions populaires, en parlant à son auditoire aviné et sans frein (potus et exlex) la langue courante des lieux suspects, tavernes, des carrefours, des boutiques; que lui importent les applaudissements délicats de Scipion, de Lælius, de Sulpicius. Gallus?

des

Plaute en veut à l'admiration et au contentement de la foule immense; il faut que son public s'amuse à tout prix, que sa gaieté soit affranchie de toute gène, et, tant pis pour les délicats, s'ils s'offensent de cette verve hardie à tout dire. Plaute, qui est en même temps comédien, poëte comique et entrepreneur de spectacles (tout comme Molière !), ne veut pas hasarder, tout à la fois, sa renommée et sa fortune, en renonçant aux libertés, disons mieux, aux licences de la comédie romaine; plus sa comédie sera extravagante, folle, amoureuse, libertine, comique et en pointe de vin, plus le grand peuple sera content.

Voilà, en effet, par quels moyens il a réussi, ce vif représentant des passions et des mœurs de la Rome bourgeoise... Ce qu'il faut admirer dans l'œuvre de Molière, c'est justement la réunion de tant de qualités opposées qui ont fait, de ce grand maître, Plaute et Térence tout ensemble, l'ami du peuple et l'ami dų maître, le favori des halles et le favori des petits appartements, d'un côté Sganarelle, de l'autre côté les Femmes savantes. Le prologue d'Amphitryon, et la comédie d'Amphitryon devant les mêmes spectateurs, et le même jour!

Le parallèle a été fait souvent entre la comédie du poëte français et la comédie du poëte latin; au bout de ce travail, qui est des plus faciles, il est évident, pour tout homme d'un goût exercé, que Molière a raison, mais que Plaute n'a pas tort.

L'un et l'autre, ils obéissent à leur époque, à leur public, au génie de la langue qu'ils parlent si bien, chacun de son côté. Moliere est évidemment contenu par l'envie de plaire à cette cour élégante dont les hardiesses même sont correctes. Plaute, à coup sûr, s'enivre de joie d'avoir rencontré dans un sujet scabreux, tant de gravelures, de quolibets, de calembours, de bon sens, de faux sens, de bonnes folies, et, pour tout dire, d'avoir placé là, en riant aux éclats, tout ce bon esprit qui a donné des siècles entiers de popularité et d'enthousiasme à cette comédie de Plaute réprouvée par les esprits délicats, par Horace lui-même dans un jour de mauvaise humeur. (Plautinos Laudavère sales nimium patienter).

Peut-être de son art eût remporté le prix,

dit Boileau en parlant de Molière; la mauvaise humeur de Boileau ressemble beaucoup à la mauvaise humeur d'Horace, et, Dieu merci, le peut-être! de l'Art poétique français s'est trouvé démenti, tout aussi bien que le peut-être de l'Art poétique latin.

Mettons des bornes même à la délicatesse de notre goût; nous voulons rester dans le vrai, n'allons pas froncer le sourcil à des œuvres qui amusent, si longtemps, de si grands peuples. Le critique le plus timoré ne court pas, que je sache, un très-grand danger à reconnaître l'auteur du Misantrope au fond du sac où se cache la victime de Scapin; de même il est juste, quand on joue l'Amphitryon de Molière, de saluer l'Amphitryon de Plaute :

« O Jupiter souverain! que vois-je? le même signe, au même bras, à tous les deux.... Jamais on ne vit un prodige pareil! »

Amphitryon a ce grand privilége de rendre très-heureux les quelques gens d'esprit qui ne manquent pas ces bonnes occasions d'un bon rire bien franc, bien joyeux, bien incisif. On salue, d'un sourire chacun de ces vers, autant de proverbes qui ont pris leur place méritée dans la sagesse des nations; on se plait à ces joutes étranges de l'esclave poitron et du dieu en bonne fortune; on aime ce drame singulier, dans lequel la foudre de Jupiter tonnant, et les coups de bâton jouent, en même temps, un si grand rôle; et quand enfin cette étincelante fantaisie est achevée, on se demande ce qu'il faut admirer le plus, de l'imagination qui a changé en tréteaux ces nuages de pourpre et d'or, ou du génie incroyable

qui a donné la forme à ces nuages, la parole, la vie et la gaieté comique à ces solennelles fictions.

Puisque nous sommes dans la comédie latine, un instant, restons-y, nous sommes bien sûrs de retrouver Molière à propos de Térence, aussi bien que, tout à l'heure, à propos de l'Amphitryon de Plaute. Il est partout, ce Molière, il sert d'échelon à toutes les grandeurs du sourire et de l'ironie. - S'il vous plaît, nous réunirons au maître absolu, Aristophane qui fut le vrai père de la comédie.

C'est d'ailleurs une expérience de l'esprit français au XIXe siècle; il aime à refaire (même il le refait assez mal) ce qui a été fait avant lui. Certes, nous sommes de grands inventeurs; nous ravaudons les vieilles comédies, nous rapetassons les anciennes tragédies, nous mettons des manches neuves aux vieilles chlamydes, nous réparons la bande de pourpre des vieux manteaux; chez le savetier du coin on n'est occupé qu'à repiquer des cothurnes, à ressemeler des brodequins; nous sommes des poëtes en vieux, calembour à part. Sentez-vous cette vieille odeur de laine et de cuir? c'est la tragédie qui passe! Sentez-vous le safran qui vous monte à la tète? voyez-vous ces vieilles couronnes de lauriers de Postum, ces écharpes et ces roses de Malte, rosas Melithenses? c'est la vieille comédie qui passe!

Vous la reconnaîtrez aux franges de sa robe, à sa démarche avinée, à la grossièreté de son langage, à cette plaisantérie amusante comme un coup de bâton, à la folie impossible de ses narrations les plus vraisemblables. Cette comédie est la fille des vendanges et du hasard; elle est venue à Rome du fond de l'Étrurie, colportée sur tous les chemins et dans toutes les tavernes, par des bateleurs et des joueuses de flûte; elle se tenait sur un pied, elle chantait mille insolences lascives. Elle plut aux jeunes gens de la ville éternelle, jeunes gens de joie et de malice, qui mêlaient la danse au chant; mélange singulier de la prose, du vers, de la chanson bachique, de l'ode amoureuse, de l'insulte publique, de la déclamation effrontée; tout cela s'appelait en effet mélange, satire.

Ce premier hasard plein de gaieté, d'abandon et de verve moqueuse, prit bientôt une forme certaine dans les compositions du père de la comédie italienne, Livius Andronicus. - Il a deviné, il

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