Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

celui-ci que celle-là; plus l'habit prête à une obscénité, et plus il est recherché; le balayeur, son balai à la main, demande à balayer des cabinets pleins d'appas; le marchand de poules se vante de faire tout ce que peut faire un bon coq; la hotteuse aux provisions dit des gueulées avec le joueur de bâtons à deux bouts, pendant que la servante à tortillon se moque du secrétaire de saint Innocent. Vous avez aussi l'Éveillé et l'Arracheur de dents, le Joueur de luth et les Batteurs de fusil, la Demoiselle jouant de la basse et le l ́endeur de vieilles ferrailles, autant de marchands et de colporteurs d'équivoques plus ou moins ordurières, et qui eussent cruellement scandalisé les bourgeois de la rue Saint-Denis! Ces choses-là s'appelaient tantôt la Vallée de Misère, tantôt les Plaisirs de la Jeunesse, et parmi ces plaisirs, le gros Rieux et la belle Pâtissière, la Dame de pique et la Dame de carreau: dames, écoliers, pages, chevaliers.

On passait ensuite à la Mascarade du Mardi-Gras, où le paysan et la paysanne plaidaient la Cause grasse, et leurs discours étaient un peu gras de saupiqué. Puis, venait dame Poucette, qui chantait une chanson restée à la mode : Poucette n'aime pas le son, Si ce n'est le son des pistoles!

Le cabaretier, l'afficheur des comédiens, le capitan, le veilleur et l'ivrogne avaient leur tour. Une fois, c'était la mascarade de la foire Saint-Germain, le balayeur (encore le balayeur!) était représenté par M. Séguier... M. le chancelier trente ans plus tard. Et M. Séguier (un futur garde des sceaux de France!) son balai à la main, disait des choses... Il y avait le crilleur de sorts, représenté par mademoiselle de Morfontaine, et une Égyptienne sous les beaux traits de mademoiselle de Lorge.

Les mauvais garçons, les jardiniers, et chose étrange, la rue en action, jouant son rôle, et portant sur sa robe fleurdelisée, son nom de baptême: la rue Constant-Vilain, des Lavandières, de la Savatterie, Geoffroy-l'Anier, des Bons-Enfants, des Marmousets, les pimpantes, les gaillardes et les chante-fleuries — sans oublier son excellence le Pont-Neuf qui chantait des chansons aux belles dames! La fantaisie a-t-elle jamais rien produit de plus curieux et de plus étrange que ces fêtes dans lesquelles toute cette

[ocr errors]

jeunesse, qui allait être le grand siècle, jouait son rôle d'esprit, de bonne humeur et de bonne grâce? Sur ces programmes, je retrouve tous les grands noms des champs de bataille et de l'histoire le duc d'Enghien, le comte d'Harcourt, le comte de La Roche-Guyon, les ducs de Luynes et de Coislin, le marquis de Brézé et la liste entière de l'incorruptible d'Hosier.

Parmi les danseuses du divertissement, les mêmes noms se retrouvent, mêlés aux noms des artistes suivant la cour; ceux-là, danseurs et danseuses par métier, restaient chargés des grands rôles, des railleries, des bruits, des chansons et des belles danses en dehors de la danse noble. Quand donc on dit : « ballet dansé par le Roi, cela veut dire que le jeune roi, semblable à un roi d'Asie dans toute la splendeur de la beauté, de la puissance et de la jeunesse, s'est montré à sa cour, au milieu d'une fête, entre les gloires, les batailles, les compliments, dans ce magnificat perpétuel et bruyant qui a rempli la première moitié de son règne.

Au premier abord, et quand on se souvient de ce mot : politesse, et de cet autre mot: urbanité, qui ont été le fond de cette langue française, « dont les moindres syllabes nous sont chères, disait un académicien, parce qu'elles nous servent à glorifier le Roi, on se figure que, plus tard, après Richelieu et Mazarin, les ballets dansés par Louis XIV ont perdu quelque peu de leur entrain et de leur gaieté, pour ne pas dire pis. Eh bien ! non; c'est la même fête qni se mène sous les ombrages touffus, au bruit de ces eaux jaillissantes, à la lueur de ces flambeaux, aux sons mélodieux de ces vingt-quatre violons et de ces quarante petits violons (tout un orchestre) conduits par Lully, dans cette foule de toutes les grandeurs de la noblesse, de la fortune, de l'amour et du génie.

Ce qu'on appelait les mascarades du Palais-Cardinal, cette résurrection des temps passés, ces modes d'autrefois, remises en lumière, ces Valois et ces Carlovingiens un instant ressuscités... tout ce que peut faire le jeune roi, maître de sa personne et de son royaume, c'est de lutter avec ces magnificences au milieu de ce palais d'Armide où règnent en souveraines les beautés de la cour: mademoiselle de Bourbon, madame de Longueville, madame de Montbazon, mesdames de La Valette, de Retz, de Mortemart, mesdemoiselles de Rohan, de Liancourt, de Sénécé, de La Fayette, de Sévigné (en amazone, avec deux tetons! remarquait Bensérade),

ce fut de ne pas rester trop au-dessous des mascarades du PalaisCardinal. Lui-même, le roi-soleil, le plus roi des rois, disait Leibnitz, en habit d'émeraudes et de perles, il lui fallait se défendre contre tant de jeunes gens, ses rivaux légitimes, chargés de représenter à ses côtés les héros du poëme et les dieux de l'Olympe : Lycée, Yolas, Alceste, Télamon et le berger Endymion dans sa grotte du mont Lathmos. En ce moment, tous les colibris de Versailles chantaient la chanson des oiseaux de Lesbie: Je suis un Dieu!

Vous étiez dieux aussi, jeunes gens, mêlés aux déesses joyeuses : Saint-Aignan, La Meilleraye, Maulevrier, Langeron, Thémines, Sillery, Fiesque, Coligny, Richelieu, danseurs choisis de Clio et de Melpomene, de Thalie et de Calliope, et autres cruautés aimables, mademoiselle de Praslin, et les trois Mazarins, suivies de tout le corps de la musique.

Voyez le beau recueil de ces divines choses!

Que de ballets pour célébrer la jeune reine! et bientôt mademoiselle de La Vallière ! et plus tard madame de Montespan! et la naissance de M. le Dauphin!

Courage, bons buveurs, nous avons un Dauphin!

Quand le mot mascarade n'était pas assez fort, on appelait cela une bouffonnerie. J'ai sous les yeux la bouffonnerie du Point du Jour, écrite et composée sous l'invocation du Père Liber, étrange Dieu, accompagné de soixante-quatre voix, vingt-huit violes et quatorze luths! Voilà donc comment se passait la vie à Versailles. «Le roi, comme un autre Godefroy, assis sur son a trône, disparaissait dans l'éclat des pierreries! et pas un seul des Français ne se lassait de bénir la gentillesse de son roi et « de s'étonner comment la majesté, qui semble contraire à de « telles actions, était toujours au-devant de ses pas. >>

De ces fêtes de la toute-puissance, Molière et Lulli étaient les suprêmes ordonnateurs; ils inventaient, ils disposaient ces mascarades, ils instruisaient les acteurs; eux-mêmes, ils se chargeaient des rôles les plus difficiles, et pour récompense ils voyaient leurs noms, imprimés sur les programmes, à côté des plus grands noms de la monarchie. « Le jeune roi, dit Saint-Simon, élevé

<«< dans une cour brillante où la règle et la grandeur se voyaient « avec distinction, et où le commerce continuel des dames, de la « reine-mère et des auteurs de la cour l'avait enhardi et façonné « de bonne heure, avait primé et goûté ces sortes de fêtes et d'a«musements parmi une troupe de jeunes gens des deux sexes, << qui tous portaient et avaient le droit de s'appeler des dames et « des seigneurs, et où il ne se trouvait que bien peu, ou même « point de mélange, parce qu'on ne peut appeler ainsi trois ou << quatre peut-être de médiocre étoffe, qui n'y étaient admis, visi<«<blement, que pour être la force et la parure du ballet par la « grâce de leur figure et l'excellence de leur danse, avec quelques << maîtres de danse pour y donner le ton. »

A ce compte, Molière et Lulli, son compère, étaient visiblement et uniquement admis, en cette illustre compagnie de jeunes gens et de jeunes dames: « Formés à la grâce, à l'adresse, à tous les exercices, au respect, à la politesse proportionnée et délicate, à la fine et honnête galanterie, » parce que, sans le poëte et sans le musicien, il n'y avait pas vraiment de divertissement qui fût possible. Avec une bonne grâce assez rare, M. le duc de Saint-Simon en convient, et il faut lui tenir compte de l'aveu, quand on songe que Molière était un comédien, un excommunié, quand on songe que Lulli avait été marmiton chez la grande Mademoiselle, et bien en prit au jeune apprenti cuisinier de rencontrer une maîtresse si disposée à lui pardonner ses polissonneries : « J'aimais fort à danser, dit-elle <«< dans ses Mémoires, et celle qui l'aimait autant que moi, était « mademoiselle de Longueville. Nous avions, elle et moi, l'habi<«<tude de nous moquer de tout le monde, quoiqu'il eût été fort « aisé de nous le rendre : nous étions habillées aussi ridiculement « qu'on le pouvait être, et il n'y a grimace au monde que nous << ne fissions. » Je le crois bien, quand on est jeune, qu'on veut être reine de France et qu'on danse pour son plaisir.

Entre Molière et Lulli, pour n'oublier personne, il faut placer le vrai héraut de ces amours, le jeune poëte Quinault, le poëte de Renaud et d'Armide. Celui-ci, à l'heure où son musicien tournait la broche, avait la main à la pâte dans le pétrin de monsieur son père, et déjà il essayait ses chansons dans la boulangerie paternelle, pendant que l'autre essayait son violon dans les cuisines

de la princesse.

A eux trois, ces grands amuseurs, ils se furent bien vite emparés de Versailles, et de ses amours; à eux trois, ils se mirent à célébrer les dieux nouveaux de cet Olympe : La Paix, la Sûreté, la Joie et la Concorde! — On les retrouve à chaque instant dans ce recueil aux armes royales, intitulé: Ballets dansés par le Roy. On les trouve même comme acteurs dans les ballets qu'ils n'ont pas composés: tantôt les délices de l'Ile heureuse et inaccessible, tantôt le ballet royal de la Raillerie, de l'Impatience, enfin le ballet des Saisons dans les agréables déserts de Fontainebleau !

[ocr errors]

Si le ballet n'était que joli et amusant, si les danses n'étaient que plaisantes, si le dialogue, improvisé sur un banc de gazon, n'était que suffisant à l'heureuse disposition du moment, la chose restait enfouie au milieu des ballets dansés par le Roy, et tout le monde était content. Henriette d'Angleterre, en attendant l'oraison funèbre où elle éclate en ce grand deuil éternel, avait représenté la Flore du printemps, et le roi avait dit qu'elle était charmante! Mademoiselle de La Vallière avait chanté les louanges de l'Été, il est vrai que le roi représentait Cérès, Flava Ceres, la tête couronnée d'une couronne d'épis d'or; Molière était changé en vieux berger maussade et grognon, Lulli lui-même était le chef des moissonneurs, il menait la bande heureuse à travers ces moissons enchantées, pendant que les Nymphes des chœurs, armées de faucilles et parées de bluets, mademoiselle de Comminges, mademoiselle de Lamothe-Houdancourt, mademoiselle de Salmes et mademoiselle de Laval (une Montmorency!) chantaient de leurs voix fraiches et d'un bel accent:

Toute la gloire et la fleur du hameau.

Oui, mais parfois il arrivait que ces fêtes improvisées, ces paroles écrites en courant dans les allées des grands jardins, ces chansons que dictaient aux poëtes les jeunes cœurs amoureux, survivaient aux heures de folie. - Ainsi fut improvisé, au mois de mai 4665, l'Amour médecin, qui a l'honneur d'être compté parmi les comédies de Molière. « Ceci est un simple crayon, dit

il, un petit impromptu dont le roi a voulu se faire un divertisse«ment. Ce divertissement est le plus précipité de tous ceux

« PreviousContinue »