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d'État. « Non, disais-je, en mon premier-Paris du 14 novembre 1829, César lui-même, fùt-il à la place de M. de La Bourdonnaye aujourd'hui, croyons-en l'histoire présente et l'histoire passée, aujourd'hui Jules César ne passerait pas le Rubicon. >> Ce qui était, comme on voit, puissamment raisonner! Si grande était mon expérience des choses humaines, et si profonde ma sagesse précoce! Ai-je fait passer, à mon compte, de cruels moments à M. Guernon de Ranville, à M. de Montbel! Me suis-je agréablement moqué de la contre-révolution; ai-je tourné gravement autour de l'accord des libertés publiques et de la royauté! - Ai-je maltraité M. Rives et les censeurs, les bêtes noires de ma jeunesse. « Un censeur! ô misère ! un homme qui tue et qui taille, en plein drap, l'idée et la forme, la pensée et la parole; inintelligente et formidable puissance, puissance occulte et sans nom; le censeur, pareil à ce bourreau voilé qui monte sur l'échafaud pour faire tomber la tète d'un roi! La censure, une sœur de Pluton, une furie, ou, pour mieux dire, toutes les furies en une seule :

Plutonis soror aut furiarum sanguinis una. »

Figurez-vous aussi, le croirez-vous, races futures? que les ministres de Charles X avaient chassé des Champs-Élysées, devinez quel révolutionnaire et quel ennemi de M. de Polignac ? Ils avaient chassé..... Polichinelle! « Ils ont tué cet aimable déguenillé, qui donnait la comédie aux bonnes d'enfants. O fi! un ministre en lutte avec Polichinelle! » Et sur ce thème ingénieux, j'allais à bride abattue: « Ils ont fait ce que n'a pas fait Venise..... Ils ont tué Polichinelle! Oui, l'Italie avec sa double censure a échappé à ces outrages. Le peuple s'assemble sur la place, la noblesse et le peuple, le clergé lui-même; Polichinelle va paraître, il paraît, le voilà..... le véritable polichinelle! il se joue, il se moque de tout le monde ; il a des allusions, il prononce des noms propres; il entre chez le cardinal-ministre; il se glisse, comme Rabelais, dans le palais du souverain Pontife; il parle, il tonne, il éclate comme Rabelais; il rit et il mord, et le malicieux Italien applaudit à ces saillies sans cesse renaissantes. Polichinelle égratigne à tort et à travers, bien plus cruellement que Molière; il réunit à la fois le proverbe de Sancho, la panse de Falstaff, le sarcasme de Pantagruel. L'Italie n'a pas besoin de journaux avec son Polichinelle;

Polichinelle, plus vieux que Dante, plus amusant que l'Arioste. » Et vous me croirez si vous voulez, je n'ai jamais su à quel point le conseil des ministres s'était inquiété de mon oraison funèbre de Polichinelle.

Un autre jour, j'enflais ma voix, je disais avec Mirabeau : Silence aux Trente! et je commençais ainsi ma philippique : « Ce qui manque surtout au ministère, c'est l'intelligence; » et quand je relis ces vieilleries, plus éteintes mille fois et plus oubliées que le dernier des dix mille vaudevilles que j'ai frappés de ma griffe, il me semble que ce n'est pas moi qui écrivais ainsi en quatre colonnes les craintes, les désirs et les volontés de la France, à la veille de la révolution de juillet.

Dans mon passé politique (et voilà un bien grand mot pour expliquer une petite chose) il se trouve que moi aussi j'ai eu l'honneur d'écrire un premier-Paris à propos de ce grand procès que notre admirable patron, M. Bertin, venait de gagner aux applaudissements universels. Il y a un mot de Fénelon pour expliquer ces grands triomphes de l'opinion: « Il faut, dit-il, avoir grand égard à l'improbation du public. » C'est pour avoir affronté cette improbation écrasante que tant de puissances sont tombées, et que ces trônes, élevés la veille, ont été balayés le lendemain. Tout novice que j'étais, j'avais touché juste ce jour-là. « Nos magistrats, disais-je alors, savent depuis longtemps qu'avec la liberté de la presse, il y va de toutes nos libertés. Faites disparaître le droit d'examen, aussitôt plus de charte, plus de peuple libre, plus d'autorité, plus de triple pouvoir, plus de citoyens ! »> Or (à propos de ce mot citoyen devenu une terreur depuis 4848), il était arrivé que M. le premier président Séguier, celui qui rendait des arrêts et non pas des services, avait prononcé ce mot: citoyens! dans le procès gagné par M. Bertin; et les défenseurs de M. de Polignac offensé par ce mot citoyens! avaient accusé de forfaiture M. le premier président, à quoi je répondais, - ô la chose étrange!-que je ne voyais pas de quel droit ces messieurs se fâchaient si fort. » Le mot existe, il est dans nos lois, il est dans nos mœurs, il est, à la cour royale, dans le cœur, dans la tête, dans le langage de son illustre chef. » Ainsi je prenais la défense d'un mot qui dix-neuf ans plus tard me faisait bondir d'indignation et de douleur. O révolutions, ce sont là de vos coups!

Je fis aussi, en premier-Paris, un bel article sur Mathieu Laensberg, et quand je pense aux bonnes et belles choses que j'aurais pu dire, à propos de ces petits livres d'almanachs empoisonnés, plus tard, et qui devaient contenir dans leurs feuillets à bon marché tant de doctrines sauvages, tant de menaces et tant de meurtres, je suis vraiment tout honteux de mes folâtres plaisanteries à propos des prédictions du bonhomme. Entre autres prédictions du vénérable Mathieu Laensberg qui me faisaient rire alors, je faisais mille gorges-chaudes de cette prédiction : « Juillet (1830) sera signalé par un monstre ailé et un météore lumineux; en septembre, un banquier fera banqueroute! » Il n'était pas un si mauvais prophète, ce vénérable Mathieu Laensberg.

Il y eut en ce temps-là une petite révolte en Hollande, et je ne m'en inquiétais pas le moins du monde, au contraire, je trouvais que cette agitation des Pays-Bas était faite pour nous rassurer sur les clameurs des nouveaux terroristes! Il paraît que certains particuliers de ces pays constitutionnels avaient fait mine de refuser l'impôt, et je disais « que le refus de l'impôt n'est pas une menace, c'est un avis tout au plus » d'où je tirais cette conséquence auguste, « que le refus du budget ne sera jamais une révolution, ce serait tout au plus un retard. »

J'ai fait aussi un brillant parallèle entre le ministère de M. de Villele et le ministère de M. de Polignac. J'ai raconté l'ouverture des Chambres : « quand les Chambres ont entouré le trône royal et que le monarque, en leur présence, a relevé le manteau fleurdelisé qui recouvrait de sa gloire ce ministère inconnu. » Je ne traitais guère d'une façon plus indulgente les journaux de la province, dévoués au ministère Wellington-Polignac. Ai-je maltraité la Gazette de Lyon et l'Apostolique du Puy-de-Dôme! Pauvre France, que deviendrais-tu, si tu n'avais pas pour t'éclairer cette poignée de grands hommes ? Et cependant les villes ingrates qui les possèdent, les regardent comme une honte et comme un malheur. »

En ce temps-là aussi fut prononcé ce mot affreux, ce mot sanglant: Prenez garde à la guerre civile! Choisissez, il est temps, entre César et Pompée, entre Sylla et Marius. « Et voilà donc, m'écriai-je, enflant ma voix, la France constitutionnelle transfor

mée tout à coup par ces furieux en un champ de bataille où s'agitent des ambitions individuelles, où Marius succède à Sylla, César à Pompée, le triumvirat à César, Auguste à la République, sans qu'il soit jamais dit un mot de cette république expirée ! Ce sont là de tristes images. Quoi donc, à entendre le ministère, la royauté de France en serait à sa bataille d'Actium? Brutus verrait-il encore le fantôme de Philippes? S'il en est ainsi, pressonsnous donc autour de M. de Bourmont; serrons les rangs sous les drapeaux de ce nouveau Pompée: son parti est le parti de Rome et du Sénat; il a pour lui le peuple et les dieux. »>

Et plus loin « Vous êtes du tiers-parti, dites-vous; apprenez donc ceci : dans les guerres civiles, il n'y a pas de tiers-parti. Que Brutus et Cassius disparaissent; que Marc-Antoine expire sur le sein de son Égyptienne; que le grand Condé soit enfermé à la Bastille; que Mirabeau, qui n'est pas encore pour la cour, mais qui n'est plus pour le peuple, soit dévoré par le poison, tous ces hommes du milieu devaient finir ainsi, au compte de M. de Polignac et de ses adeptes. A ce compte c'est justice que Cicéron, homme du tiers-parti, tende la tête à un esclave; c'est justice que Henri IV tombe sous le poignard d'un jésuite, que Thomas Morus monte à l'échafaud, que Fénelon soit exilé de la cour. Toutes ces morts et toutes ces disgrâces, c'est justice, selon le journal de M. de Polignac, car tous ces hommes étaient des hommes du tiers-parti, de ces gens qui, dans tous les temps, ont été flétris du nom de modérés, et pour lesquels le mot de tolérance, le plus beau mot de notre langue, méritait d'être inventé. »

Voilà, j'espère, de la philippique. Et quand le ministère essayait de répondre : « Le roi le veut, » osez-vous dire, m'écriais-je, osez vous soutenir que vous êtes l'expression de la volonté royale?... Et quand ils se mettaient à l'abri de l'adresse : « Si c'est le droit de la couronne, ai-je répondu, de maintenir un ministère en dehors de la majorité, c'est le droit de la Chambre des députés de refuser le budget, quand bon lui semble. » Et voilà comme à tant de sourdes menaces qui commençaient à gronder, je me moquais agréablement des politiques qui avaient peur; j'admirais, cinq mois avant la catastrophe finale : « l'attitude paisible de la France, sa patience à toute épreuve, sa confiance sans bornes dans ses forces, son inébranlable attachement à cette monarchie de tant

de siècles qu'elle a reçue avec tant de transports... Que voulezvous qu'on pleure à l'aspect d'un royaume ainsi fait, quand, sur ce trône qu'ils menacent de ruine, est assis le meilleur et le plus sage des monarques, appuyé sur deux Chambres, l'une héréditaire, et l'autre choisie par les quatre-vingt mille propriétaires de la France, les plus imposés et les plus riches?.. Lamentez-vous donc à l'aspect de ces forces imposantes! rêvez des révolutions, des coups d'État, des assassinats et des régicides; mettez-vous à trembler encore devant la nation des faubourgs, quand il n'y a plus de faubourgs! ayez peur à votre aise; faites-vous peur; grossissez vos voix, grandissez-vous de votre épouvante! Quant à nous, nous ne tremblerons pas. »

Quand il n'y a plus de faubourgs était un peu hasardé, je l'avoue; il y en avait des faubourgs, il y en a encore; dans ces armées campées à nos portes, il y aura toujours de ces assiégeants, qui s'écrient comme le maréchal Lefèvre aux soldats du génie devant Dantzick: Je n'y entends rien; mais faites-moi un trou, je passerai!

Cela vous fatigue et vous lasse, à coup sûr, de me suivre en mes exploits de tribun, et déjà vous vous demandez : Qu'allait-il faire dans cette galère? Prenez patience, l'heure arrive où cette bataille, qui est encore une bataille sans nom, va prendre une forme terrible, où ce roi infortuné, que pressent de toutes parts ses amis imprudents, aimera mieux se jeter dans l'abîme que de se donner la peine de le combler. Laissez-moi, cependant, vous raconter cette dernière fête de la monarchie aux abois, cette fète du Palais-Royal que M. de Salvandy a définie en deux mots dignes de Tacite : Une véritable fête napolitaine, disait-il, nous dansons sur un volcan! L'antique royauté nous représentait, en ce moment, ce solennel coucher de soleil dont parle Tacite : « A l'extrémité de l'hémisphère, entendez-vous le bruit que fait le soleil en s'immergeant? Sonum insuper immergentis! »

FÊTE AU PALAIS-ROYAL.

« Les étrangers et tous ceux qui n'ont pas vu le Palais-Royal, entouré d'élégantes colonnes et transparent comme un palais de cristal, comprendront difficilement toute la beauté de la fête que

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