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lits politiques, n'est pas une interprétation illégale et cruelle de l'esprit de la loi.

« La maison de Poissy est à la fois une prison et une fabrique où chaque habitant est forcé de travailler, sous peine d'être enfoui dans un cachot. Le prisonnier que le gouvernement adresse la devient un ouvrier, aussitôt qu'il a mis le pied sur le seuil de la porte; il est à la fois l'homme de la geôle et l'homme de l'entreprise, le prisonnier du gouvernement et le salarié forcé de l'entrepreneur, à qui il appartient tout entier. L'État fournit à l'entrepreneur la prison et le détenu; l'entrepreneur, moyennant travail, fournit au détenu la nourriture et l'entretien. Chaque détenu, nourri, blanchi et vêtu, coûte à l'entreprise à peu près 44 sols par jour.

« Aussitôt qu'un malfaiteur est jeté dans cette horrible maison, il est déshabillé et mis au bain. C'est la même cérémonie qui attend les forçats au bagne. M. Fontan n'y a pas échappé. Après ces sept mortelles lieues parcourues à pied et en plein soleil, au pas d'un cheval de gendarme, il a été forcé de se déshabiller et de s'accroupir dans l'eau, à côté d'un voleur son compagnon, qui faisait partie de la même escorte. Cependant on plongeait dans le vinaigre ses habits et ceux de ses camarades, on les numérotait pour les leur rendre dans dix ans à leur sortie de prison; l'infortuné disait adieu en même temps à son habit et à son nom. Sorti de la cuve de Poissy, qui que vous soyez, vous n'avez plus de vêtements, plus de linge, plus de nom à vous; vous êtes le no 55 ou 500; vous avez une livrée, et quelle livrée! des haillons qu'on vous jette au hasard, et qui ont déjà servi à plusieurs générations de bandits!

Les trois premiers jours, M. Fontan n'a pas eu d'autre vêtement que les vieux habits qu'on lui avait prêtés, encore tout souillés des ordures du premier occupant; au quatrième jour, l'entrepreneur de la maison fit donner à notre confrère une carmagnole et un pantalon tout neufs, en disant, ce sont ses propres termes : Monsieur aura des poux assez tôt. »

La salle habitée par les prisonniers est une espèce de corridor entre deux murs, humide et infect; les prisonniers prennent leurs ébats, deux heures par jour, dans cet étroit espace. Figurezvous que cette salle est composée de tout ce que la police correc

tionnelle condamne de plus impur; ce sont, pour la plupart, des hommes ardents et capables de tout; c'est tour à tour de l'ennui et de la colère, ce sont d'horribles discours, d'effroyables menaces, et dans cette foule nul moyen pour un honnête homme d'être seul; il faut subir malgré soi ces jurements, cet argot, ces combats, ces menaces; il faut toujours avoir sous les yeux ces compagnons et ces geôliers. Les geôliers s'appellent des argousins, au bagne de Poissy comme au bagne de Toulon.

« Ce qui n'est pas un moindre supplice, c'est que toute la maison se couche à la nuit tombante, à sept heures du soir en été. Chaque dortoir se compose de trente lits; ces lits sont cloués à la muraille. C'est une espèce de bière ouverte, formée de trois planches qui contiennent un matelas qui pèse cinq livres. Ce matelas est contenu dans un sac de toile. On se calfeutre dans ce sac jusqu'au lendemain ; les gardiens enlèvent l'habit du prisonnier et ferment le sac; absolument il faut dormir. Or, le sommeil est impossible. Cette couche est infecte et elle dévore. On regrette la paille et la solitude du cachot, et il faut passer toute une nuit dans cette fétide atmosphère, toute une nuit qui commence à sept heures du soir, et pas un moment de repos, pas de silence, et pas un livre, pas un ami; mais en revanche d'infâmes paroles, des actions plus infâmes encore; des rêves à haute voix, des sursauts! Encore si l'on pouvait prier!

« On a dit que les cheveux de M. Fontan en avaient blanchi. « Le lendemain, à cinq heures du matin, on rend à chaque prisonnier ses habits de la veille et on le conduit immédiatement au travail. La maison est un vaste atelier où l'on file, où l'on ourdit la soie et le coton; ce moment de travail est le plus supportable de la journée. Le premier jour, on plaça M. Fontan à un dévidoir; il parait qu'il y fut malhabile, car depuis on l'a fait passer aux écritures de la maison. Son travail consiste à présent à tenir les livres, à faire le compte des ouvriers ses compagnons ; il a beau dire: Je sais un métier plus lucratif; ses amis ont beau s'écrier Laissez-le se livrer à ses travaux accoutumés, et nous vous paierons sa dépense. On est sourd à ces prières et à ces larmes. Il est sous une loi de fer; il le faut; un habit plus clément, une nourriture plus saine, une chemise moins grossière, autant d'interdictions: sois nourri, sois logé, sois habillé, tra

vaille et dørs comme tes confrères, comme ces hommes repris de vol et de crimes; tu es sous une autre loi que la loi ordinaire, tu es placé en dehors du Code civil, tu es la propriété de l'entreprise, on t'a livré, tu es à Poissy!

« Deux hommes de lettres, qui ont été voir M. Fontan et porter quelques consolations à des douleurs auxquelles nul de nous n'a droit de se croire étranger, l'ont entendu supplier l'administrateur de la prison pour obtenir le privilége de porter la casquette qu'il portait à Sainte-Pélagie, et la permission de boire un peu de vin à son diner; l'administrateur s'est vu forcé de lui refuser ces deux grâces, disant qu'il ne pouvait y avoir de privilége pour personne, et qu'il ne lui était pas permis de reconnaître deux espèces de condamnés.

« C'est un spectacle étrange que d'assister au repas de ces malheureux. Ils mangent debout; un banc, fixé contre la muraille, leur sert de table; ils sont dix affamés par chaque gamelle, car il faut manger à la gamelle; et, quand la soupe est achevée, ils n'ont pas de fourchettes, c'est une arme qui leur est défendue; chaque convive mange avec ses doigts: voilà les repas qui attendent les condamnés politiques à plus d'un an; car on n'échappe pas plus à ce repas sans fourchettes, qu'à ce lit sans draps: il faut subir toute la loi de cette maison. A cela près, n'est-ce pas une prison comme une autre, et M. Fontan n'est-il pas condamné à la prison?

J'ai dit qu'on n'avait pas de vin à table. Après le dîner, qui ne peut durer plus de dix minutes, les condamnés se précipitent à la cantine, et là l'entreprise leur vend du vin, qu'ils boivent avidement dans un gobelet attaché au mur; triste bonheur !

Je ne vous parle pas des autres ordonnances. Par exemple, avant qu'une lettre parvienne au détenu, quand ce serait une lettre de sa mère, elle est décachetée et elle est lue par cinq personnes; il en est ainsi de la réponse. Vous allez à Poissy embrasser votre ami, vous êtes fatigué et vous avez hâte; à peine arrivé, il faut courir chez le préfet de Versailles qui seul peut vous donner la permission de franchir ce seuil de fer. Le préfet seul peut permettre au condamné de lire quelques journaux et d'apprendre ainsi, de temps à autre, ce qui se passe dans le monde, dont il est séparé. Il n'est pas jusqu'à une barbe à faire qui ne soit une

grande affaire. Les rasoirs sont défendus à Poissy; et quand, par basard, un rasoir s'introduit dans la maison, il faut, pour être rasé, se mettre sous la protection de deux argousins, autrement vos jours seraient en péril. Un caprice est si dangereux, là!

« Il est des détails sur lesquels il faut passer. Toutefois on conçoit cette vie de travail et de misère pour les malheureux que la justice envoie aux maisons de correction jusqu'à ce qu'ils s'amendent ou que les bagnes les réclament; mais il est impossible que jamais le législateur ait pensé à imposer pareille peine aux délits politiques. Cette peine, qui ne peut rien même contre le crime, et qui renvoie, le plus souvent, à la cour d'assises les hommes que la police correctionnelle a frappés, n'a pas de sens appliquée à l'écrivain. C'est une peine mensongère, un châtiment qui aigrit son âme ou qui le tue; la vie de l'écrivain c'est le calme, la solitude, la pensée; elle tient à sa plume, à ses livres, dignes compagnons des grands esprits qui franchissent le seuil de sa prison quand ils ne peuvent plus le suivre aux lieux habités par ses semblables. Eh! quel crime de prose ou de poésie a jamais mérité cet habit infamant, ce travail forcé, cette société de bandits? Tout cet homme, qui donnait de si belles espérances, après cinq ans de cette galère, sera perdu mème pour le repentir!

« A propos d'un écrivain, ce sont là de bien incroyables détails, ils sont encore plus incroyables sous un roi bon et généreux, qui ne s'est pas senti blessé, et dans une époque comme la nôtre, où, vous l'avez dit, Monsieur! il n'est pas un homme de cinquante ans qui n'ait été proscrit, chargé de fers, et sur le point de perdre la tête pour des délits politiques! Sans nul doute, si une époque doit avoir de la pitié, c'est notre époque. Si le malheur est respectable pour un peuple, c'est pour le peuple français.. Si la privation de la liberté, rien que la prison, sans ses haillons, sans ses tortures et son séquestre, est une grande peine, c'est surtout sous le règne honnête et bon de S. M. le roi Charles X.

« Cependant toutes ces rigueurs accumulées sur la tête d'un écrivain déjà condamné à cinq ans de prison et à 40,000 fr. d'amende, n'ont pas empêché les écrivains du ministère de faire de l'ironie à propos de cette infortune. L'un a plaisanté ce poëte faisant des bonnets de coton qui n'étaient pas des bonnets rouges; l'autre a dénoncé le drame de ce prisonnier, un drame écrit entre deux

guichets, aussi bien que le théâtre qui devait le représenter; un troisième enfin s'est écrié avec cet air de triomphe qui leur va si bien: Pourquoi avez-vous détruit la Bastille? Je suis étonné qu'il n'ait pas ajouté et les lettres de cachet!

« De sorte qu'à l'aspect de ces insultes contre un malheureux, et de ce sang-froid avec lequel le pouvoir, le croyant trop heureux à Sainte-Pélagie, l'a plongé dans un abîme de maux dont je ne vous raconte que la moitié, l'âme s'inquiète, et l'on se demande si nous ne sommes pas revenus à ces temps de terreur politique où la honte le dispute à la cruauté? »

Cette lettre était vraie au fond, et vraie dans ses détails, seulement elle n'est pas vraie en ce sens que l'obstination de Fontan est vouée au silence, et que rien n'indique à quelle impulsion était due cette visite que nous faisions à la prison de Poissy. Pour être tout à fait justes, il eût fallu, après avoir raconté ces misères, raconter aussi tout le penchant du roi au pardon, tout le penchant du gouvernement à l'indulgence, et l'espèce de repentir que montrait le ministre d'avoir obéi, si cruellement, à ce qui était la loi. Vint la révolution de Juillet; elle donna tort à la France entière, au seul Fontan elle donna raison; elle en fit un Caton, elle en fit un Brutus, elle en fit le sage d'Horace, assis sur les ruines du monde et dédaignant de courber la tête sous la foudre qui le frappe. Elle fit mieux que cela de Fontan, elle le fit libre, et le roi Louis-Philippe, à peine roi, voulut donner tout de suite, à l'auteur du Mouton enragé, une des premières croix d'honneur qu'il ait distribuées dans tout son règne. Je rencontrai Fontan comme il venait d'attacher cette croix inespérée à sa boutonnière; il traver-ait le Pont-Neuf pour se rendre à l'Odéon, où il portait son drame de Jeanne la Folle. M. Duviquet, avec ce tact si rare qui était en lui, et sans se préoccuper, comme je l'eusse fait à sa place, à coup sûr, des antécédents de l'ancien hôte de Poissy, rendit compte en ces termes de la pièce de M. Fontan :

JEANNE LA FOLLE.

S'il faut s'en rapporter à l'histoire de M. Daru, et au drame de M. Fontan, c'était un terrible pays que cette Armorique à ⚫ laquelle l'invasion de quelques milliers d'Anglo-Saxons imposa

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